l 'assistance sociologique

 

 

 

 

 

 

L'assistance sociologique

 

La banlieue strasbourgeoise continuait à être le théâtre d'incendies de véhicules ; L'année précédente , 1654 voitures selon les rapports de police étaient parties en fumée. Pour les six premiers mois de l'année en cours, on en dénombrait déjà plus de 900.

Le ras le bol de la population était sensible mais la police apparemment impuissante à enrayer le mal. Les parlementaires européens, dont certains avaient été victimes de telles exactions menaçaient de voter une motion pour transférer le Parlement à Berlin.

On avait bien organisé un séminaire spécial à l'ENA puisque la célèbre école avait été , au moins théoriquement, transportée par les soins de Madame Cresson dans la capitale alsacienne. Il en ressortit un rapport qui contenait pas moins de 35 propositions lesquelles , à défaut d'être hardies, visaient toutes à asseoir une meilleure collaboration entre l'administration et la société civile : somme toute un modèle de logorrhée technocratique. Il en ressortait de quoi organiser au moins un millier d'heures de réunions entre les administrations locales et les associations, de quoi payer des siècles de formations aux acteurs impliqués dans la lutte contre le fléau et notamment les éducateurs et animateurs de quartier. On avait même réussi, bien que le phénomène intéressât le chef-lieu du seul département de France qui , en acceptant d'être bas n'avait pas encore totalement succombé au politiquement correct, à impliquer les sous-préfets ! chaque énarque en herbe sait que l'implication du sous-préfet d'arrondissement dans toute action administrative est un exercice aussi obligé que le kyrie l'est au début de la messe pour les catholiques. Mais les auteurs de ce rapport collectif s'enorgueillissaient de ce que ces propositions devraient se faire sans moyens budgétaires supplémentaires puisque les sommes en jeu, plusieurs millions de francs , pourraient être trouvés à la fois par redéploiement des budgets publics et par une contribution spéciale des assurances qui avaient intérêt à la baisse de cette forme de criminalité. Le rapport était aussi caractérisé par un chapitre introductif d'une haute teneur intellectuelle, dans lequel on procédait à une analyse coûts avantages : parmi les pistes de réflexion avancées figurait le fait que pour faire face à ce type particulier de délinquance, les coûts -en terme d'effectifs de police , de justice ou de création de structures carcérales allaient bien au delà de celui supporté par les primes supplémentaires que devaient supporter les assurés. Cependant, cette démarche intellectuelle devait évidemment être rejetée, au nom de la morale sociale.

Quelques jours plus tard, alors même que les brûleurs de voitures ne semblaient pas vraiment intimidés par tant de détermination administrative , se produisit un événement horrible . Des voyous, manifestement très contrariés d'avoir été dénoncés pour incendie de voiture par un habitant du quartier, le capturèrent à son domicile et non sans l'avoir préalablement rossé de coups, l'enfermèrent dans sa voiture qu'ils incendièrent. Le malheureux périt carbonisé ! La police arriva une heure plus tard car une réunion de sensibilisation avait été organisée par les services de la préfecture pour présenter aux policiers le nouveau dispositif de lutte.


L'émotion fut grande dans la ville : La préfecture appela au calme . Cinquante mille personnes assistèrent aux obsèques qui furent célébrés dans la cathédrale. L'évêque prononça un sermon dans lequel il appela à ne pas répondre à la violence par la violence. Un comité de soutien à la famille appela à une marche qui devait traverser les quartiers sensibles. Au nom du maintien de l'ordre public, le Préfet l'interdit et demanda à ce qu'elle se déroulât dans le centre. Les organisateurs décidèrent alors de braver l'arrêté préfectoral. Plusieurs compagnies de CRS furent appelées pour empêcher la manifestation de passer . Mais ce qui est inconcevable pour un préfet et ne procède pas des cas de figure envisageables à l'ENA arriva : Les CRS se replièrent au passage de la foule sous les applaudissements. Le cortège traversa la banlieue puis rejoignit le centre et se dispersa sans qu'aucun incident notoire n'ait été signalé.


La presse rendit compte de l'événement : pour le Figaro la morale l'avait emporté sur l'ordre . Pour Le Monde, c'était un signe manifeste de la conjonction d'une crise de la société civile coincée entre désir d'ordre et rejet de la violence et de l'appareil politico-administratif qui ne tenait plus les commandes de l'avion. Libération rapporta l'événement sans lui donner une importance excessive, lui préférant une déclaration du secrétaire général de l'OMS sur le fait que l'Afrique centrale serait d'ici cinq ans rayée de la carte par le SIDA. En revanche, dans la rubrique Rebonds parut un long article de Samuel Oksenkott , sociologue connu pour ses travaux sur l'exclusion sociale et qui était surtout, pour la petite histoire le mari de Pervenche Desbruyeres -Oksenkott, secrétaire d'état à l'action humanitaire.


Samuel Oksenkott commençait cet article par une constatation :

« Le drame atroce qui vient de se dérouler nous interpelle tous et doit d'abord interroger notre intelligence . Comment l'inqualifiable peut il se produire ?.. J'ai été frappé par le caractère réducteur des analyses : nous avons un fait : des centaines de voitures sont incendiées chaque année dans cette ville et jusqu'à présent la machine administrative a tout le temps hésité entre une répression mal dosée et inefficace, une prévention insuffisante et un aveuglement dans l'analyse. Le rapport produit par cette promotion de l'ENA qui va apporter son lot à l'élite de la Nation est en soit révélateur de cette absence de compréhension de ce qui se passe. On ne peut pas comprendre ce qui se passe dans les banlieues quand la seule connaissance que l'on en a tient à ce qui se dit dans les amphis de Sciences Po.... En fait, je suis un peu consterné que personne n'ait souligné ce qui devrait constituer la pierre angulaire d'une analyse sérieuse.

Pourquoi ces gens brûlent-ils des voitures : la théorie économique est bien incapable de répondre à cette question car , au regard du risque encouru , le bénéfice est bien faible. Seule la sociologie est à même d'apporter une réponse. Si le monde occidental n'avait pas altéré notre conscience et notre perception, il est clair que nous devrions, tels les indiens d'Amérique , interpréter ces feux comme un message. Car c'est un message qu'ils nous adressent et s'ils nous adressent un message, c'est qu'ils ont encore quelque chose à nous dire ! C'est donc un devoir d'écoute qui nous incombe. Il nous revient, en tant qu'individus animés de rationalité, de savoir pourquoi ils commettent ces actes irrationnels : sans doute pour nous faire savoir leur désespoir. Si tel est le cas , on mesure l'incongruité des réponses qui sont apportées. D'ailleurs le rapport de l'ENA aura eu au moins ce mérite, même s'il n'en tire pas les conséquences , de montrer que pour un pays riche comme le nôtre , le coût économique de ces faits est dérisoire au regard des enjeux de société existants. »


« ...Il y a quelques années, nos société ont commencé à apporter de vraies réponses aux actes de violence qu'elles supportent parce qu'elles les ont en partie générés. Souvenons-nous des attentats. On a commencé alors à saisir que devant la violence, le premier devoir de nos sociétés était d'abord d'assister les victimes. Ainsi a été mise en place ce que l'on appelle l'assistance psychologique qui permet de secourir les victimes dans ces moments particulièrement difficiles. Tout le monde a reconnu son importance fondamentale car à défaut de pouvoir prévenir, nos sociétés doivent s'attacher à guérir. »


« Ce qui vient de se passer nous révèle un besoin du même ordre à cette différence près qu'il concerne différemment les victimes. Tout démontre que dans ces affaires , la plus grande partie du mal vient de ce que les décideurs ne sont pas suffisamment éclairés. La décision publique est d'autant plus difficile qu'à la différence de ce qui se passe pour l'entreprise où le but est clairement défini ( le profit) elle doit répondre à l'intérêt général . C'est cette obligation qui lui impose, en l'absence de sanction possible par le marché , de prendre cette précaution consistant à être éclairée par les scientifiques. C'est ce qui se passe depuis longtemps dans le domaine des sciences dites « dures » bien que je récuse ce terme où nous avons des comités de bioéthique. C'est ce qui devrait être dans le domaine des sciences humaines. Nos gouvernants, nos décideurs publics sont aveugles. L'évènement strasbourgeois le souligne : tout portait à croire que bien des évènements auraient pu être évités : il en va non seulement de l'interdiction malheureuse de cette marche mais aussi très vraisemblablement des évènements qui l'ont précédée , y compris ce crime atroce....

Ils auraient été évités, faut-il le dire et encore le répéter , si les décideurs avaient été éclairés par des spécialistes , en clair si ce que j'appellerai une assistance sociologique avait été mise en place. »


Dès le lendemain, Hildelune Becker Stohl présidente du conseil pour l'intégration sociale faisait une réponse dans le Monde et saluait cette initiative.

On demanda à la ministre des affaires sociales , Geraldine Dupoix Baufort si une telle proposition était raisonnable dans un contexte économique somme toute assez lourd . Elle resta , assez évasive , tout en reconnaissant la lucidité du diagnostic. Le ministre des finances, Armel Kergraon , se montra plus critique, considérant qu'il était nécessaire d'être attentif aux fondamentaux.


C'est des têtes d'œuf de Bercy que vint finalement la solution : en fait, il n'y avait prélèvement obligatoire que dès lors que l'on ponctionnait le contribuable par voie de taxe, d'impôt ou de cotisations obligatoires. Or , les assurances ne présentaient pas ce caractère. Il convenait donc de faire payer aux compagnies d'assurances et donc à l'assuré ce qui constituait somme toute une meilleure prise en compte de ses garanties. Il était désormais assuré que ses risques seraient mieux encadrés, grâce à des conseils adéquats et cela avait évidemment un coût.


C'est Geraldine Dupoix Baufort qui fut chargée de présenter le projet de loi à l'Assemblée nationale. Elle insista sur le pragmatisme du gouvernement. La loi, si le Parlement voulait bien la voter serait d'abord appliquée dans les administrations, puis sur la base d'un rapport rendu par une commission de sages, étendue aux grandes entreprises puis aux PME.

Il était prévu que , toutes les décisions à caractère réglementaire ( décrets , arrêtés) ne pouvaient être prises sans consultation préalable d'un sociologue agréé. Cette règle ne s'appliquait cependant pas en cas d'urgence. L'avis du sociologue ne liait pas l'administration qui pouvait toujours en décider autrement mais il constituait une formalité substantielle qui , à défaut d'être suivie, pouvait entacher de nullité le texte.


D'un point de vue pratique, il fut décidé de créer un Centre National du Conseil Sociologique qui aurait la charge d'alimenter en conseils les administrations centrales et les établissements publics nationaux. Par ailleurs des Centre Départementaux et régionaux du Conseil Sociologique seraient mis en place dans chaque département et région afin d'assister les administrations déconcentrées, les collectivités territoriales et les établissements publics non nationaux. Ils seraient financés par une contribution spéciale des compagnies d'assurance.


Le texte fut adopté malgré l'opposition du Sénat.


La loi prévoyait une entrée en vigueur des nouvelles dispositions après une période d'un an, le temps de procéder aux recrutements et à l'installation des centres. Les sociologues auraient le statut de fonctionnaires d'Etat , territorial ou hospitalier selon le type de structure qu'ils seraient en charge de conseiller.

On se rendit très rapidement compte que ce délai ne pourrait être tenu. Il fallait en effet recruter , au bas mot, vingt mille sociologues ! même si les inscriptions en sociologie à l'université explosaient , il n'existait pas un vivier suffisant permettant d'alimenter le nouveau dispositif en compétences sociologiques. Par ailleurs, un recrutement initial important créerait pour la suite des distorsions délicates dans la gestion des personnels et les déroulements de carrière. Enfin, l'idée, un moment caressée de reconvertir en sociologues des personnes extérieures disposant d'une certaine expérience fut , heureusement , écartée , car elle aurait conduit à banaliser une fonction nouvelle qui avait évidemment besoin de se crédibiliser en s'appuyant d'abord sur un savoir incontestable car sanctionné par l'Université.

Il fut donc décidé que l'on ne recruterait la première année que cinq mille sociologues, lesquels après une scolarité de six mois à l'école nationale du conseil sociologique, feraient un stage d'une durée équivalente en administration avant de prendre leurs fonctions. Ces premières recrues se verraient exclusivement affectés dans les administrations centrales de l'Etat, les administrations déconcentrées ( préfectures) et établissement publics nationaux.


Ainsi fut fait et les premiers Conseillers sociologiques purent prendre leurs fonctions en septembre de cette année-la en même temps que les élèves.


Dans les semaines qui suivirent, un mouvement de grève se déclencha au sein de ce nouveau corps. A des insatisfactions salariales s'ajoutaient des revendications liées à l'insuffisance de moyens. Les responsables du mouvement dénonçaient l'insuffisance des effectifs pour contrôler le flux de décisions prises chaque jour. Ils soulignaient par ailleurs que leur tâche n'avait de sens que pour autant qu'elle puisse être étendue à la mise en œuvre des décisions administratives : en effet, si la création d'un Conseil sociologique visait effectivement à empêcher que soient prises des décisions malheureuses , qui auraient pu être évitées si leur auteur avait été éclairé suffisamment tôt, il était clair que le Conseiller, somme toute homme, avec ses faiblesses et ses limites , n'avait pas nécessairement, au moment de la décision , tous les éléments pour juger du bien fondé d'une décision. L'observation de sa mise en œuvre devait lui permettre d'apporter les correctifs nécessaires.

Le gouvernement était bien embarrassé car l'argumentation, somme toute de bon sens, et d'ailleurs présentée comme telle par les médias, était dévastatrice.

Le Conseiller sociologique pouvait devenir une épée de Damoclès pendue au dessus de la tête de tout ministre ou préfet , qui à défaut de lui transpercer le crâne , soumettait ses décisions à une suspicion et une menace permanentes.


Il fut donc décidé, en contrepartie de quelques concessions statutaires ( qui équivalaient à des augmentations de salaires et à des avantages divers et variés), de ne pas donner suite aux revendications. La grève s'étouffa lentement.


Dans les premiers mois qui suivirent la mise en place effective du dispositif, les situations furent diverses.

Dans bon nombre de cas, rien ne se passa : la matière était trop technique et les conseillers sociologiques donnaient volontiers un aval systématique aux propositions qui leur étaient faites : il commençait même à se dire, ici ou la que ce job était fantastique puisque somme toute , en donnant son aval à ce qui avait été décidé , on pouvait bien gagner sa vie pour pas plus de cinq minutes de travail par jour.

Dans d'autres cas, au contraire, certains conseillers, moins cyniques ou moins éveillés sur les réalités du monde administratif et bureaucratique, tardaient à donner leur feu vert. Le ministère de l'environnement était particulièrement affecté par ce mal puisqu'il fallait attendre parfois trois mois avant d'obtenir le sésame attendu. Il fallut que le gouvernement décidât , par décret , que les conseillers sociologiques, saisis par une autorité administrative seraient présumés avoir donné leur accord s'ils n'avaient pas répondu dans un délai de deux semaines. Du coup, un certain nombre de conseillers en déduirent que ce n'était même plus la peine de venir au travail puisque le temps pouvait travailler à leur place.

C'est alors que survint une affaire bien embarrassante.


Le préfet de Seine Saint Denis fut informé par les renseignements généraux que le Centre Culturel Islamo-africain, qui avait à sa tête un certain Mahmadou Diaf , était en fait le centre d'une activité assez particulière. Inauguré trois ans plus tôt par le recteur de la mosquée de Paris , il permettait , de manière clandestine mais à peine voilée , à un certain nombre de familles musulmanes d'origine sub-saharienne, d'y faire exciser leurs enfants de sexe féminin. On évaluait à une cinquantaine par mois le nombre d'excisions pratiquées. De telles pratiques, condamnées par le monde civilisé , ne pouvaient être plus longtemps tolérées. Le préfet fit préparer un arrêté de fermeture de l'établissement.

Aristide Grosjean, conseiller sociologique au sein de la Préfecture de Seine Saint_Denis, ne l'entendit pas de cette oreille et refusa de donner son accord. Le Préfet passa outre.

Dans la semaine qui suivit, une manifestation réunissant trois mille personnes fut organisée devant la préfecture. Aristide Grosjean et un certain nombre de ses collègues en faisaient partie. Les pancartes et les slogans dénonçaient la décision de l'Etat français au nom du droit à la différence. Interviewé par la presse , Aristide Grosjean déclara : « Ce qui est aujourd'hui dénoncé , c'est la prétention de la civilisation chrétienne et occidentale à s'ériger en donneur de morale et à interdire, sous des prétextes divers et variés, à des gens qui n'ont fait aucun mal et qui sont, pour la plupart, français , de conserver leurs traditions. Interdit -on aux juifs de pratiquer la circoncision ? De plus en plus d' hommes ou de femmes pratiquent le piercing , qui peut être infiniment plus mutilant que la pratique de l'excision, qui n'est grave que dans l'esprit d'occidentaux nantis et tout acquis à une culture du plaisir sexuel. Si l'on en croit certains discours, l'excision priverait les femmes d'un droit au plaisir. Le couvent ne prive-t-il pas les religieuses du même droit sans que cela ne gêne la bonne conscience dominante »

Puis il emprunta le registre tiers-mondiste, toujours efficace en pareil cas.

« les mêmes qui interdisent à cette communauté d'exercer pleinement sa liberté de conserver ses pratiques feraient mieux de consacrer plus de moyens au développement de leurs pays d'origine. Seul , en effet un développement économique et social durable permettra , sans doute, et à terme , à ces populations de s'interroger sur le bien-fondé du maintien de telles pratiques. Mais aujourd'hui et ici, rien ne nous donne le droit de porter des jugements et encore moins d'interdire. »


Heloïse Lafond-Merkel , secrétaire d'état à la condition féminine confirma , lors d'une conférence de presse , son soutien à la décision préfectorale et sa condamnation de pratiques d'un autre age, attentatoires aux droits et à la dignité des femmes. Certains étaient plus silencieux : le professeur Testard, à qui la presse ne manquait jamais de demander son avis quand il s'agissait d'expliquer comment va le monde était manifestement tiraillé entre deux de ses penchants les plus politiquement corrects : le soutien indéfectible que tout progressiste devait apporter à la cause de celles qui sont l'avenir de l'homme et l'aide sans faille qu'il fallait apporter au Tiers monde quand il est victime non seulement de l'exploitation occidentale et capitaliste ( ce qu'il est chaque jour) mais aussi de l'arrogance de l'homme blanc. Monseigneur Boilot qui l'accompagnait régulièrement lors des manifestations et était surtout imprégné de la grâce du Seigneur lorsqu'il se trouvait devant des caméras partageait cet écartèlement moral qui sied à tout chrétien digne de ce nom. Même Libération fut pris de remord : après avoir ouvert ses pages à une pétition contre l'excision , sous le titre « ni excision , ni exclusion » , signée par les artistes et intellectuels coutumiers de ce genre de paraphe il publia une lettre ouverte au Premier ministre de Khelifa Mouhatou, écrivaine mauritanienne bien connue qui, en tant que femme , lui demandait de ne pas céder à la pression de l'idéologie dominante et à adopter, somme toute, une conception plurielle de la féminité.

La tension s'accéléra lorsqu'une fillette mourut d'une hémorragie après une excision réalisée à domicile. Une nouvelle manifestation eu lieu devant la Préfecture de Seine Saint Denis. Dix mille personnes, venues de toute la France y dénonçaient l'Etat assassin. Aristide Grosjean profita de l'occasion pour évoquer les pressions et menaces dont il était l'objet. Monseigneur Boilot, d'un air contrit , participait à cette manifestation aux côtés du professeur Testard. Interrogé sur ces motivations , il expliqua sa présence par le devoir de tolérance qui incombe à chaque chrétien.

Un sondage, publié dans La Croix montra que les français étaient partagés. Si une large majorité d'entre eux continuaient à considérer que l'excision constituait une pratique condamnable, quarante-cinq pour cent ( contre quarante et un d'un avis contraire) estimaient que le respect des croyances et coutumes devait prévaloir sur la logique administrative et condamnaient implicitement la position officielle en la matière.

Il fallait trouver une solution. Héloïse Lafond-Merkel fut chargée, au nom du gouvernement, de l'annoncer à la presse.

« Le gouvernement a entendu les arguments des uns et des autres. En tant que secrétaire d'Etat à la condition féminine, et au nom du gouvernement, je confirme et maintien que l'excision doit demeurer une pratique condamnable car elle est attentatoire à la dignité des femmes. Cependant, nous comprenons aussi le souhait de certains de nos compatriotes de voir respectées leurs traditions. Le gouvernement a donc décidé que pour s'assurer que ces opérations puissent s'exercer dans un cadre garantissant un maximum de sécurité aux personnes, les excisions devront désormais être pratiquées dans un établissement hospitalier ou une clinique »

Un an plus tard, l'assemblée nationale fit passer à la trappe la loi d'assistance sociologique. Les quelques milliers de conseillers qui avaient été recrutés pouvaient choisir d'être intégrés dans différents corps de cadre A de la fonction publique. Quatre vingt pour cent d'entre eux choisirent celui des professeurs agrégés. Aristide Grosjean s'en alla enseigner la sociologie au Collège de France ou il se fit oublier.