JEAN-FRANÇOIS KAHN RECHUTTE
Après avoir été autant victime de ses envolées verbales que du politiquement correct dans l'affaire Strauss-Kahn, Jean-François, frère d'Axel ( décidément, les Kahn sont comme les Servan-Schreiber : quand y en a plus, y en a encore!), avait déclaré abandonner le journalisme.
Mais le voici qui revient, dans Marianne, avec un livre intitulé : « la catastrophe du 6 mai ».
C'est du pur Kahn, à l'image de sa fille Marianne , qui a toujours raison avant les autres puisqu'on y écrit une chose et son contraire et que l'on ne recule devant aucun tabou : Marianne c'est Jules Cesar qui tape la belote avec Mac Mahon tandis que Ravaillac complote avec le président Deschanel et que dans un coin, la Mere Michel fait une pipe à Raymond Domenech surveillée Dde près par le Père Lustucru qui, lui même , sodomise Mireille Mathieu...
Ce qui est désopilant, c'est cette habitude de noyer le lecteur sous une sorte de diarrhée verbale flamboyante, tout en posant des questions qui sont pertinentes et en se gardant bien d'évoquer des solutions.
On passera sur certains paragraphes comme celui ci à la lecture duquel on se dit que son auteur a du fumer la moquette
« Parce que les gauches ont sans cesse donné l'impression de renoncer à toutes les démarcations, de mordre tous les traits, un discours a pu séduire qui proposait de remettre partout et à tous les niveaux des barrières rebaptisées frontières. Le glissement vers un relativisme généralisé a engendré en réaction, au nom de la nécessité de trouver des repères, un renfermement dans un confort binaire frisant l'antique manicheisme clérical ou stalinien »
Ouf !
En 1912, Roland Dorgelès avait accroché à la queue d'un âne un pinceau et avait ainsi obtenu une toile qui fut présentée comme une grande œuvre d'art moderne et reconnue comme telle par bon nombre de barjots de l'époque. L'écriture de Kahn relève du même registre à cette différence près qu'avec les techniques modernes , c'est plutôt un ordinateur programmé pour produire des cadavres exquis qui aurait pu produire le même résultat !!!
Passons : Kahn pointe effectivement très bien les raisons qui ont amené à une victoire étriquée de Hollande ( ou plutôt une courte défaite de Sarkozy) dans un contexte où le candidat sortant s'approprie les thèmes du Front National sans que cela effraie la plupart des cadres de l'UMP.
Il pointe très bien les complaisances du PS à l'égard d'un discours vert qui ne peut que casser la croissance au nom d'un logorrhée anti-productiviste aux accents de gauche, de même que les discours pas très nets du même parti sur les flux migratoires ou son attitude vis à vis du communautarisme. N'est pas oubliée, même si la ficelle est un peu grosse, le refus d'annoncer une baisse des dépenses publiques laquelle ne peut que signifier une augmentation des impôts . Heureusement qu'il y avait Bayrou !!!
Et puis voilà, passé ce moment de lucidité , le délire repart pour dénoncer tous ceux qui se sont déshonorés en ne disant rien : les Juppé , les Copé, les Morin, les Boutin et autres Bockel et tout cela dans un langage tout à fait fleuri.C'est enfin l'apothéose quand Sarkozy est comparé au nouvel Amon Râ d'une république pharaonique.
On cherche à comprendre : la gauche n'a pas saisi l'appel de toute une partie de la population qui souffre et se tourne vers le FN . Sus, donc, aux caciques de la droite et à leur chef qui se sont ralliés aux positions du FN ( à l'exception de Saint-François Bayrou bien sûr, lequel comparé à Victor Hugo pourrait bientôt entrer vivant au Panthéon!)
Pas très original au fond : Mis à part Tapie qui traitait les électeurs de salauds , la tendance était plutôt de les tenir pour des semi-crétins égarés : ils posent les bonnes questions mais apportent des mauvaises réponses. Oui vous avez bien vu les voleurs cambrioler la maison du voisin mais il ne faut rien dire .Oui, les banlieues sont infernales mais il ne faut pas stigmatiser...
Alors , essayons de donner à Kahn des éléments qui lui éviteront de commettre ce genre d'article dans le futur (sans se faire trop d'illusions)
Comme cela a déjà été souligné par les analystes, l'élection du 6 mai a redessiné une nouvelle géographie électorale : la gauche tient les villes surtout quand elles se bobotisent (60% pour Hollande à Rennes ; les arrondissements de l'est parisien faisant de même quand il y a 20 ans la droite réalisait le grand chelem à Paris). La droite et le FN s'installent dans les périphéries .
Cette analyse devrait cependant être relativisée : d'abord géographiquement : le sud-est, autrefois à gauche a basculé à droite et la Bretagne à gauche ce qui brouille singulièrement ce clivage villes -périphérie.
Pour autant que ce soit exact, l'explication généralement donnée est que les périphéries sont peuplées de gens plus pauvres , moins diplômés et plus exposés à la crise : ils ont fui les centres , chassés par le prix du foncier et la pression fiscale.
On retrouve là une analyse fréquemment entendues mais il convient, à ce stade, de rappeler le raisonnement en vogue dans les années Clinton : on perd des emplois industriels mais on leur vendra nos services et notre savoir-faire. Cette fois, on traite un peu ces populations avec la condescendance propre aux bobos : ben oui , c'est la fatalité mais au fond si les usines ferment, ce sera bon pour le bilan carbone. Somme toute ce n'est pas grave ce qui leur arrive puisque ma petite entreprise de com ou de chasse au gaspi par le recyclage ne connaît pas la crise.
Or , ce qui est passé sous silence est autrement inquiétant : ces « salauds de pauvres » ne sont pas le crépuscule de la société industrielle productiviste ; ils sont l'aurore de l'Etat abstinence qui naît et du sous-développement durable qui l'accompagne,
Ceux des périphéries sont, schématiquement, ceux qui, frappés par la crise, avec des revenus faibles, sont directement visés par la mondialisation.
Ceux des centres ont été épargnés grâce à l'endettement public : fonctionnaires payés en moyenne 2300 euros par mois( ce qui au passage n'a rien de scandaleux eu égard au fait qu'il s'agit d'une population en moyenne plus diplômée que la moyenne), salariés d'organismes associatifs divers et variés et financés par l'impôt local notamment, commerçants et artisans vivant du pouvoir d'achat distribué grâce à la dette, cadres et salariés d'entreprises dont le marché n'est pas exposé à la mondialisation.
Tout cela est en train de partir en quenouille :pour réduire les déficits il va falloir trancher allègrement dans les revenus distribués par les budgets publics : on devrait se méfier des « sacrifices » demandés aux ministres et aux patrons des entreprises publiques, ils pourraient bien être invoqués demain comme justification de coupes pour les fonctionnaires invités à donner l'exemple. Ces économies vont réduire le pouvoir d'achat de ces catégories ayant plutôt voté Hollande. Dans le même temps la poursuite de l'ouverture des frontières et le renchérissement des coûts liés à la multiplication des normes environnementales, sanitaires et sécuritaires ne pourront qu'aggraver la situation. En clair, la crise qui a touché les travailleurs du secteur exposé touchera demain les autres. Ceux des centre-ville ; les bobos avides de bio seront alors beaucoup plus sensibles au discours mariniste. Il ne s'agit pas d'excuser l'UMP, en tout cas certains de ses membres qui se sont alignés derrière le discours de leur chef ; il s'agit de constater que la montée du vote dit »populiste » est un phénomène indépendant des stratégies politiques car directement lié à l'approfondissement de la crise.
En effet, ce sont bien Marine Le Pen et à un moindre degré Mélenchon qui ont raison . Leur analyse est juste : l'ouverture des frontières ne peut , eu égard aux écarts de coûts, et alors que les niveaux de productivité se rapprochent, que conduire à la ruine de nos économies. Ce qui sépare Melenchon et Le Pen, c'est tout simplement que le premier n'a pas vu que ses propositions écolos contredisaient ses objectifs alors que la première s'est bien gardée d'emboiter le pas à l'hélicologiste et escrologiste Hulot.
Kahn a par ailleurs tort sur un second point ; aveuglé par sa hargne à l'encontre des Morano de tout poil il ne détecte même pas à quel point l'attelage qu'il redoute est bizarre :Le FN ressemble de plus en plus à ces partis populistes de l'Europe du Nord qui ont conquis une bonne partie de leur électorat sur les terres dévastées d'une social-démocratie qui a remplacé l'Internationale par le mariage homosexuel , la libération des femmes et la défense du communautarisme : combattant l'immigration au nom de la défense des valeurs nationales, il s'oppose aussi au libre échange. Ce n'est pas le cas des représentants de la droite populaire, des Marianni, Guéant et autres Luca qui seraient plutôt « thatchériens » : pour eux la sortie de crise passe par une plus grande flexibilité et sans doute des baisses de salaires et une remise en cause de la protection sociale qu'ils jugent excessive.
C'est bien là la difficulté de constituer un attelage à droite : on peut certes trouver des points d'accord sur l'immigration, sur la dénonciation de l'islamisation mais dès que l'on aborde le champ de l'économie, c'est beaucoup moins simple. L'UMP est sous pression d'un électorat sensible aux sirènes du FN et persuadé qu'il suffit de renvoyer les étrangers pour que tout s'arrange. Les électeurs d'Henin Baumont ont failli élire Marine Le Pen ; ils ont aussi éliminé des le premier tour le candidat UMP
Thomas Legrand, sur France-Inter, comparait Le Pen père et fille notant que le premier se gardait bien de revendiquer le pouvoir, se cantonnant dans le rôle d'un Cadoudal : ce n'est pas le cas de Marine et c'est bien là le piège qui l'attend : quand les mouvements populistes ont fait alliance avec les conservateurs, cela s'est toujours mal terminé pour eux. i et entrez votre texte