dernires lettres persannes

Mon cher MOSKA

 


Tu te souviens que grâce à une intervention spéciale de notre Président, j'ai pu être envoyé à Paris où je suis censé me préoccuper de l'image de notre pays dans cette résidence secondaire de Satan.

J'ai trouvé un appartement dans un de ces quartiers parisiens dits « branchés » , ceux-la même où l'homosexualité est un signe d'appartenance à un cercle d'initiés qui seul a accès aux plaisirs et aux pouvoirs de ce monde.

Tu imagines volontiers que nos pauvres nuits de Téhéran , quand bien même la colère de nos mollahs leurs prêteraient quelque obscure attractivité ne sont rien au regard de ce qui est chaque minute une insulte à Allah . Est-ce la volupté ? je ne saurais te le dire tant le spectacle de tant de tentations rend banale la moindre ostentation. Ce petit carré de chair qui chez nous ferait blêmir d'envie un escadron de gardiens de la Révolution est devenu si quotidien et si fréquent que l'homme de la rue est sans cesse à la recherche de ce qui pourrait l'arracher à l'ennui de l'ordinaire. Somme toute soit Allah a dépêché le démon auprès de ces hommes pour mieux les punir, soit il a baissé les bras , ce qu'il m'arrive de craindre.

J'étais dans cet état d'esprit vis à vis de ce monde si étranger à nos mœurs et à notre cause quand , soudain, m'est apparue cette idée , que derrière le masque de Satan pourrait bien se cacher le tout puissant. Ce monde distille un poison chez nous inconnu et qui pourtant est porteur de sortilèges bien plus puissants.


Ce n'est pas toi Moska que je devrai convaincre du peu de perspicacité de nos mollahs, allons, disons de leur bêtise car je te sais assez fidèle pour n'en rien révéler. Déjà dans nos frontières on les nargue et derrière les murs de nos maisons frémissent autant de démentis de ce qu'ils proclament , en même temps que l'on sent obstinément monter la honte de nos gens de se voir en trente années privés de trente siècles d'Histoire. Tu imagines volontiers ce qu'il doit en être dans ces bases avancées du Royaume de Satan.


Pour autant, m'est venue à l'esprit de manière aveuglante la raison de la supériorité de cet occident pourri sur notre propre système. Je n'entend pas par la insulter ni ceux qui me paient ni notre pays à qui je dois tout. Mais , tout en souhaitant que l'on n' y voie ni preuve d'impiété ou d'impertinence ni simple manifestation d'une folie qu'imprégneraient ceux qui par trop approchent Satan, je voudrais de faire part de ma pensée sur ce Monde que nous haïssons, faut il le dire comme le rat hait le Cobra.


Je n'ai nul besoin de te dire comment, depuis la venue de notre Imam vénéré , notre pays a été expurgé de toute impiété. Pour autant , le pouvoir de conviction de nos mollahs, pour grands qu'aient été leur foi et leur dévouement n'a pas toujours été à la mesure des défis que nous adressait le démon. Tu sais aussi bien que moi combien souvent il a fallu faire appel à la force de la justice voir du bourreau pour mettre dans le droit chemin ceux que les images de ce monde avaient rendus aveugles à la volonté d'Allah.


Ici rien de tel : point de bourreau, point d'index ou de censure apparente. Tandis que chez nous il faut surveiller ce qui se fait , ce qui se dit , ce qui s'écrit, ces suppôts de Satan ont réussi à presque contrôler ce qui se pense.


Tu peux ici à priori dire tout ce que tu veux, l'écrire et même le crier, dans les journaux à la radio ou à la TV , dans des livres ou sur des compacts disc. Mais attention , de cette apparente liberté, il faut faire l'usage qui convient. Dans le cas contraire, les occidentaux ont inventé un étrange supplice . Tu est emmené dans le désert avec tout ce qui est nécessaire pour que tu puisse parler, écrire ou chanter. Mais dans le même temps où l'on t'aura laissé ta langue, ta cervelle et tes doigts , on t'aura interdit de t'en servir. Ta parole se perdra dans le vent du désert tandis que le sable ensevelira tes mots et ta pensée se desséchera sous le soLeil brûlant. C'est ce que l'on appelle le supplice du politiquement correct.


Ici , il y a longtemps que les responsables ont appris à contrôler le venin du serpent . Autrefois il servait à tuer l'ennemi , il est devenu une sorte de drogue permettant d'accoutumer le sujet à tirer du plaisir ou en tout cas le calme de ce qu'il faut dire. C'est là , bien que je le regrette et une fois de plus la preuve manifeste de la supériorité de l'occident.


Nous avions , faute de contrôler la pensée, appris à contrôler les corps. Faute d'être autorisés à contraindre les corps ils ont appris à les contrôler au travers de la pensée. Ils ont inventé bien après un gigantesque « big brother « qui dit ce qui doit et ne doit pas être dit. Comment y parviennent ils, me demanderas-tu ?


Chez nous, les « étranges lucarnes « comme a qualifié autrefois la télévision un journal de ce pays sont largement contrôlées par nos mollahs . Il en résulte qu'en dehors de quelques imbéciles attardés, tout le monde doute de ce qui s'y dit , ce qui conduit nombre de nos compatriotes à faire l'acquisition d'antennes para diaboliques. Ici existe un nombre incroyable de chaînes sur lesquelles on peut mettre en cause les hommes politiques et même le gouvernement . Contrairement à chez nous le bon journaliste n'est pas celui qui est servile mais celui qui harcèle les pauvres politiciens lesquels sont d'ailleurs terrorisés.

Mais il est certaines choses que l'on ne saurait dire sans risquer l'excommunication comme disent ces infidèles : et tu vas rire, par exemple d'affirmer que le monde islamique est une civilisation inférieure au monde occidental ou encore que les Palestiniens sont finalement des terroristes .

Mais alors, comment savoir ce qui peut se dire et ce qui ne doit pas se dire ?

Il n'y a pas de Coran ici, il y a seulement un code non écrit pour l'essentiel , que l'on appelle la « Pensée Unique « et qui contient ce qui doit être dit et ce qui ne doit pas l'être. Ce code est l'œuvre du Pouvoir ! ! ! mais le plus étonnant est que ce pouvoir n'existe pas : je veux dire qu'il n'est pas désigné et encore moins élu, qu'il n'a ni siège ni représentants.

Ce pouvoir est celui d'une petite minorité aux contours fluctuants composée d'intellectuels dont on dit qu'il n'est pas certain que l'Histoire en retiendra grand chose, de journalistes, parfois d'hommes politiques et de leurs courtisans . Entre eux fonctionne un principe qui sonne bon nos terroirs « passe moi le séné , je te passe la rhubarbe »

Ce qui est fantastique c'est que ce système pourrait fort bien être comparé à celui de nos mollahs : ces gens-là disent ce qu'il est bon de penser , ce qu'il est bon de dire et ce qu'il est bon de faire . Mais la ressemblance s'arrête là. Il n'y a pas de gardiens de la Révolution en charge de contrôler le respect de ces règles. Celui qui ne les respecte pas est tout simplement .... Je dois dire que je cherche le mot : ah oui excommunié ! ! ! Ceci ne te dira sans doute rien mais c'est une pratique qui existait chez ces chrétiens : quand le Pape était mécontent , il excommuniait le coupable qui se voyait ainsi mis au ban des chrétiens et promis aux flammes de l'enfer. En fait il y a bien longtemps que ces chiens d'infidèles ne croient plus à l'Enfer et à Satan : c'est un enfer terrestre qui les menace car ils ne sont pas formellement privés du droit de s'exprimer mais ils ne le pourront plus sauf à le faire par des biais qui ne feront qu'amplifier leur disgrâce. Aucun journal ne publiera leurs propos et ce qu'ils pourraient arriver à dire sera par avance frappé du sceau de l'infamie.

Je me suis demandé ce qui pouvait bien expliquer ce paradoxe qui fait qu'en utilisant la force, nous ne parvenions pas à des résultats qu'eux obtiennent sans violence apparente et je pense avoir trouvé un début d'explication. Je crois finalement qu'un bon musulman craint Dieu . Il y a bien longtemps que ces infidèles ne croient plus en Dieu mais ils continuent à se sentir coupables. Or tu sais qu'il n'est plus grande prison que celle que l'on se construit, qu'il n'est plus fort coup de fouet que celui qu'on s'inflige. Pour tous ces mécréants le péché n'a pas disparu et l'homme reste coupable .

Il est coupable d'avoir péché contre la Nature et ne t'avise pas, sur ces terres d'Occident, de douter un instant que les Hommes , dans leur folie productiviste, vont mener la Terre à sa perte .

Il est coupable d'avoir péché contre ses frères opprimés et - mais pour une fois cela sert bien notre cause- évite surtout de contester que la Colonisation n'a pas fait autre chose que de soumettre à l'exploitation et à la misère les peuples du nouveau monde. Il m'arrive -mais cela doit rester entre nous - de douter que les puits de pétrole dont le roi Fahd a tiré sa richesse sont le fait de la main d'Allah.

Et cela va plus loin : malheur à toi si tu affirmais que le SIDA (tu sais, cette maladie qui a décimé ces dégénérés) était le fait des homosexuels ou des drogués. Les homosexuels sont devenus ici l'humanité souffrante depuis que le prolétariat a été décimé par le progrès technique et la fuite des industries.

Mais, me diras-tu, tout cela constitue une pensée bien grossière , qui à l'extrême limite pourrait servir de picotin à nos paysans illettrés et abrutis mais ne devrait pas avoir cours dans le pays de Descartes et de Voltaire. Il doit bien y avoir d'autres liens cachés pour expliquer cette aliénation.

Tu as raison : En fait ce pays qui se veut sans mollahs en a des régiments qu'il rémunère tout à fait officiellement. Il y a bien longtemps ,on les appelait les hussards noirs de la République et c'est grâce à leur action que la République triompha de la Monarchie . Puis les temps changèrent et avec eux leur nombre leur rôle et leur condition.

Les hussards noirs de la République avaient contraint ce pays au progrès ( tu entends bien qu'il s'agit la en fait d'un progrès matériel qui est l'œuvre de Satan) . Leurs successeurs disent bien des messes mais elles ne sont qu'en apparence destinées à célébrer la grandeur de la République. Avec le temps, d'ailleurs, ils ont complètement oublié ce qu'elle était et si parfois ils en parlent, c'est un peu comme faisaient ces chrétiens qui chantaient la messe en latin : ils n'y comprenaient rien. Mais si leur fonction n'est plus de défendre la République, elle consiste à inculquer aux cerveaux encore mous la manière correcte de penser. Mais à la différence de ce qui se passe chez nous, où l'élève incorrect recevrait le fouet, ici, on lui apprend qu'il est vain de se dresser contre une vérité qu'il ferait mieux de reconnaître s'il veut lui même à la reconnaissance et au regard des autres.


Cependant ne t'y trompe pas : si la culpabilité de chaque citoyen est tant souhaitée , ce n'est pas tant qu'elle serve à ceux qui se prétendent victimes. Tout ce système fonctionne au bénéfice de ceux qui prétendent les représenter et qui , à ce titre ,se considèrent comme les dépositaires naturels du pouvoir. La boucle est bouclée : si le peuple a bien compris sa leçon, il doit se désigner comme maîtres les créatures de cette petite camarilla parisienne que l'on appelle Gauche Caviar mais à laquelle il faudrait ajouter, pour faire bonne mesure la Droite branchée.

Si d'aventure le peuple venait à manquer à ce devoir, il ne mérite plus le nom de peuple. A défaut de pouvoir le dissoudre, comme dans l'œuvre d'un auteur allemand du vingtième siècle , on le fustige d'un air boudeur, on l'accuse, on l'interpelle. S'il n'a pas reconnu que ces gens-là travaillaient pour son bien, c'est qu'ils n'ont pas encore atteint un degré suffisant d'éducation. Ces gens- là détiennent les clés du bonheur de tous et c'est faire preuve d'une immense ingratitude que de ne pas le reconnaître. D'ailleurs quand cela arrive , après que l'on ait pleuré à chaude larme ou claqué la porte pour montrer son dépit, on administre au coupable , par média interposés , quelques semaines de rééducation.

 

Tu commences à comprendre , je suppose, ce que j'ai découvert depuis mon arrivée. Mais ces prétentieux donneurs de leçon sont entrés en décadence. Ils nous toisent volontiers au nom de leurs principes démocratiques et nous reprochent d'être une théocratie. A tout le moins avons nous le mérite de châtier les pécheurs au nom de Dieu. Ces arrogants imbéciles continuent d'organiser des élections au nom de la souveraineté du peuple, comme ils disent . Tout en oubliant que cela fait déjà belle lurette que toutes ces organisations et compagnies internationales, plus ou moins sous la coupe du Grand Satan ont déjà, par avance , décidé de ce qui était bon pour le peuple, en ce qui concerne en tout cas son bien être matériel. Comme ces infidèles ne croient que rarement en l'au-delà , tu peux imaginer que l'essentiel , ici, relève des nourritures terrestres et que chacun y est fermement attaché : en fait je me demande si c'est bien différent chez nous.

Non content de cela , ils ont commencé à saucissonner leur République et la démocratie. Tu n'oublies pas que les Français furent les inventeurs du rationalisme, qui , bien que peu compatible avec la foi et tout particulièrement la nôtre , n'en a pas moins fait des adeptes dans tout le monde. Ils avaient inventé une notion tout à fait abstraite pour désigner les hommes et les femmes de ce pays. Ils parlaient de citoyens et de citoyennes. Pure abstraction me diras-tu et j'en conviens. Mais il se trouve certains esprits, ici pour dire que cela avait du bon. Tous ces citoyens étaient considérés comme égaux, même s'ils ne l'étaient pas et cela avait pour conséquence qu'aucun d'entre eux ne pouvait tirer de son état ou de sa condition un droit à obtenir des avantages ou un traitement particulier.

Tout cela est en train de se déliter et la démocratie en même temps. Quand ce n'est pas la moitié du ciel qui réclame les trois quarts du pouvoir, ce sont quelques insulaires irrédentistes, qui réclament leur dû . Tu sais, ce sont ceux là qui ont produit l'ogre Napoléon , celui qui, il y a deux siècles dévasta l'Europe et ruina son pays. Demain , ce seront d'autres minorités qui mettront en avant l'oppression dont elles sont victimes pour réclamer quelque discrimination en leur faveur. Ici, la victime -entends bien par là celle qui se prétend telle, a tous les droits, pour peu qu'elle soit assez habile pour se mettre en représentation et attirer l'attention des faiseurs d'opinion qui culpabiliseront ensuite une population qui, de guerre lasse, finira par concéder ce qui est demandé.

Tu sais cher Moska, il m'arrive parfois de douter que nos mollahs aient choisi la bonne voie. Mais, au fond, si nous ne gagnons pas contre ces Satans, sois assuré qu'ils ont déjà perdu. Ils vivent dans une sorte de rêve qui sera bientôt cauchemar. Ils maltraitent ceux qui créent leur richesse tout en récompensant ceux qui la dilapident. Quand les premiers auront disparu, les seconds devront crier famine mais personne ne les entendra. Ils sont d'ailleurs assez surprenant car en même temps qu'ils plaignent les pays pauvres ils n'hésiteront nullement demain, à faire venir leurs meilleurs spécialistes pour pouvoir payer leurs retraites puisqu'ils n'ont pas fait d'enfants.Et ce serait la plus grande des incongruités que de leur demander qui paiera les retraites des parents de ces immigrés de demain.

Ces gens la voient l'avenir à l'identique et s'imaginent que demain, nos populations paieront pour permettre à ces égoïstes devenus vieux de perpétuer leurs plaisirs immondes sur les plages du Sud ou sous les cocotiers. Leurs dirigeants les bercent d'ailleurs dans cette illusion quand bien même ils doivent savoir qu'il n'y aura pas beaucoup de place dans l'Arche, le jour où viendra le déluge. Mais je me demande parfois s'ils ont envie d'entendre. Ils sont comme ces moutons que l'on mène à l'abattoir et leur peur est d'autant moins grande qu'ici on n'égorge plus les moutons : même la mort est devenue comme irréelle et d'ailleurs, ils ne supportent plus tout ce qui pourrait leur rappeler leur finitude qu'elle concerne leur vie ou qu'elle soit celle de leur monde.


J'ai une dernière chose à te dire : tu te souviens sans doute de Jules Chevrollier , ce fonctionnaire français avec lequel nous avions eu une longue discussion, il y a environ deux ans lors d'une conférence qui avait eu lieu aux USA. Il avait commencé par une sorte de provocation sur notre présence sur le sol du Grand Satan.

Je l'ai rencontré , par hasard, récemment , alors que j'étais sur la route de la Bretagne , cette province située à l'ouest de la France.

Il m'a dit vouloir s'enfermer dans Brocéliande, cette forêt mythique selon la légende puisqu'y auraient vécu le Roi Arthur et la Fée Morgane - ce sont de vieilles légendes du monde celtique.

Il m'a dit qu'il faudrait retrouver pour les combattre les Elfes, ces créatures étranges issues de la forêt et dont il a le sentiment qu'elles ont ressuscité et qu'elles s'apprêtent à restaurer le règne de la fatalité. Il n'avait pas l'air très convaincu ni de la possibilité de les retrouver , ni même de leur existence. Peut être est il devenu fou ou ai-je mal compris mais pour lui le monde était en train de manger la vie des hommes, non seulement sans qu'ils s'en aperçoivent mais avec leur consentement. Au fond, c'est peut être ce qu'il voulait dire : les hommes n'ont pas besoin de Dieu pour créer le péché, c'est peut être même le péché qui a créé Dieu. Mais , Moska, à mon tour ,je délire !.

Tu vois Moska , ce monde est malade mais surtout, il faut n'en rien dire à personne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sous-pages :