LE DEVELOPPEMENT DURABLE: UN CANARD SANS TÊTE

 

 

                                                                  LE CANARD SANS TÊTE DU DEVELOPPEMENT DURABLE

 

 

 

Journée de réunion au ministère du même nom. Le vice-président du cimetière des éléphants est venu introduire, fustigeant au passage ceux des membres dont l'activité plus que modeste mais fort bien rémunérée est régulièrement pointée par une presse mal intentionnée mais , hélas, lue par des mauvais esprits qui jettent ensuite l'opprobre sur un corps illustre de fonctionnaires.

Ah ! Il allait oublier !!! mais il se rattrape : les trois piliers du développement durable que le conseil met en œuvre sans relâche.

Les suivants vont traiter d'un autre sujet ; mais le rappellent d'emblée pour ne pas l'oublier : leur rapport doit évoquer le développement durable mais comme le rapport portait sur les risques c'est du gâteau...

Il n'est pas de messe catholique qui ne commence par un kyrie : il ne peut y avoir de réunion au ministère qui ne comporte d'incantations plus ou moins réussies sur le développement durable. Avec évidement plus ou moins de talents puisqu'à cet exercice certains pourraient sans doute enregistrer un album chez Barclay tandis que la plupart pourraient tout juste prétendre au radio-crochet de la fête de village.

 

A vrai dire, une comparaison plus pertinente pourrait être faite avec l'exercice auquel étaient astreints les enseignants des pays communistes, le 24 janvier, jour anniversaire de la mort de Lenine. Ils devaient évoquer devant leurs élèves la grandeur de l’œuvre du génial inventeur de ce système qui allait mener ces pays à la ruine. Mais pas en début de cours ! Cela aurait été trop facile ! À l'occasion d'un exercice , d'une lecture ou d' une démonstration pour bien montrer que Vlado pouvait être rencontré partout chaque jour que Dieu n'avait pas fait : au détour d'un chemin , pourfendant ici l'impérialisme anglais , éclairant de sa lanterne Léonard de Vinci, expliquant à Napoléon comment gagner la bataille d'Austerlitz ou apprenant à Lavoisier les secrets de la chimie. Sans doute l'exercice devait-t-il se compliquer lorsqu'en cours de mathématiques il fallait sortir Lénine d'une quelconque fonction . Évidement pas d'une dérivée car cela aurait été insultant.

 

Il en est ainsi du développement durable dont chaque citoyen doit sentir le bienfait quotidien en éteignant la lumière et en faisant caca dans la sciure sans oublier d'avoir mis en œuvre le soixantième geste pour la planète d’Évelyne Delhiat. Et si le ministère est devenu un bateau ivre dont tombent chaque jours quelques matelots, que l'on se rassure : le développement est durable : d'ailleurs, mangés par le requin ils vont contribuer à la défense de la bio-diversité !

 

La notion de développement durable viendrait de Bro Gruntland, ancienne première ministre norvégienne reconvertie dans les affaires onusiennes. Il est sans doute de mauvais goût de rappeler que la Scandinavie ne nous veut pas que du bien : autrefois, elle nous envoya les Vikings, hier ce fut Bro Gruntland aujourd'hui c'est Eva Joly : rien que des gens sympas !

Il est aussi de bon sens de dire que le développement durable est intellectuellement une ineptie qui ne peut que nous rappeler que nous partageons 95% de nos gênes avec le cochon et 99 % avec le chimpanzé. Avec de tels dosages cela peut donner Einstein ou Léonard de Vinci mais cela peut aussi beuguer dangereusement et dans ce cas le résultat peut être surprenant.

La notion est une ineptie intellectuelle : elle repose sur cette idée que l'action de l'homme doit prendre en compte, de manière non pas équilibrée mais plutôt dynamique trois cercles : celui de l'environnement, celui de l'économique et celui du social. Ces trois cercles se superposent partiellement et la partie correspondant, au centre , à la superposition simultanée des trois cercles est celle qui répond à des activités de développement durable : que tout cela est beau aurait dit Monsieur Jourdain.

 

Oui, sauf qu'est passé sous silence un élément fondamental. Seul le cercle environnemental est régulable (et régulé) par les États : les États peuvent, en effet, toujours et ils ne s'en privent pas, édicter un tas de règles et de normes relatives à la protection de la nature quitte à ruiner l'économie et à précipiter les citoyens dans la pauvreté.

En revanche , on sait que l'économique n'est plus régulé par les États : la crise dans la zone euro en fournit l'exemple sans doute le plus récent mais certainement pas le premier. On se souvient des vaines élucubrations de Sarkozy à Gandrange et ce qu'il en advint.

Le modèle keynésien qui permettait d'obtenir de la richesse en régulant l'économie par la dépense publique ne fonctionne plus depuis belle lurette car les leviers de commande sont entre les mains du capitalisme international qui régule évidement à sa manière.

Quant au social, tout le monde a compris qu'il était étroitement dépendant de l'économique : qu'il y ait du « grain à moudre » selon la formule d'André Bergeron – c'est à dire de la croissance- et il y a quelques chances que l'on puisse faire du social. Que l'on soit plongé dans le marasme et dans la crise et ce sont les acquis sociaux qui passent à la moulinette.

Cette réalité est encore plus redoutable quand il faut bien constater que les citoyens sont ainsi pris entre le marteau de l'environnement et l'enclume de l'économique : les dépenses et mesures gouvernementales ruinent directement son portefeuille et indirectement l'économie, laquelle tourne pour le profit des détenteurs de capital pour lesquels le salaire à verser est un coût toujours insupportable.

D'ailleurs , si on se penche sur les analyses nébuleuses et fumeuses des théoriciens du développement durable, on constate que ce qui relève , du domaine économique et social n'a pas grand chose à voir avec l'économie réelle. C'est purement et simple ment du langage onusien . Le langage onusien est , à la différence de la monnaie onusienne ( celle qui permet de payer grassement des tas de fonctionnaires inutiles et qui , elle , est bien convertible en revenus permettant d'accéder aux richesses produites ) totalement inconvertible en économie réelle . Ce qu'il décrit relève d'une île aux enfants habitée de gentils monstres et offerte en modèle aux gogos de tous poil) : c'est l'économie solidaire qui doit permettre à certains intermédiaires futés de s'en mettre plein les poches en prélevant sur ce que le consommateur naïf en quête de BA croît destiné au petit paysan des Andes ramasseur de café. Ce sont les AMAP, qui sont encensés par des Bobos comme Bernard Maris mais qui , outre le fait que l'offre se résume souvent à Pot au feu en hiver et ratatouille en été sont totalement anecdotiques dans le champ de la consommation réelle. Bref : une économie qui aurait ravi Bernardin de Saint Pierre mais qui n'a que peu de rapports avec la réalité, laquelle est plutôt celle des délocalisations et des plans sociaux !

 

 

Il faut donc une imbécillité crasse ou une crapulerie sans fond pour adhérer ou faire semblant d'adhérer à ce type de théorie : une imbécillité crasse pour les idiots utiles prêts à gober le moindre discours charlatan qui leur tend l'escarcelle ou alors une crapulerie sans fond pour les plus intelligents qui ont compris l'inanité du montage intellectuel mais se disent que leur intérêt bien compris demeure de passer pour les plus convaincus des dévots.

 

Car le problème est bien là : comme l'a très bien montré Sylvie Brunel dans son ouvrage : « A qui profite le développement durable », ce dernier est sans doute payé par le cochon de payant (qu'il soit contribuable ou consommateur) mais remplit aussi les poches d'un tas d'aigrefins qui prospèrent sur les larmes versées pour Gaïa.

En fait les trois piliers du développement durables suggèrent une version remaniée du grand méchant loup et des trois petits cochons , une histoire dans laquelle le loup , fatigué de se faire jeter , imaginerait de montrer patte blanche en s'adjoignant la compagnie d'un agneau et d'un lapin, animaux inoffensifs supposés émouvoir assez les petits cochons pour qu'ils ouvrent enfin la porte de leur maison. Le développement durable , c'est, tout compte fait , le maquillage qu'ont trouvé les Khmers verts pour masquer leur nature proprement réactionnaire et anti-humaniste : de même que l'agneau et le lapin sont un peu les chevaux de Troie du grand méchant loup, les piliers économiques et sociaux sont les alibis permettant au pouvoir vert de se déployer sans encombres.

 

On comprend d'ailleurs rapidement pourquoi ce concept a finalement été récupéré par les forces politiques qui gouvernent l’État Abstinence *.1 Expliquer aux citoyens que l'on est impuissant face aux forces de la mondialisation ( c'est à dire face à un ordre à la construction duquel on a contribué) est bien délicat. En revanche, justifier la baisse de consommation et du niveau de vie par la santé de la planète plaît aux gogos surtout quand le message est relayé par une presse aussi nulle que complice. Et quand bien même cela doit conduire à un ordre totalitaire !

 

Or, le développement durable, dont on nous a rabattu les oreilles au moment du pacte écologique et jusqu'en 2010 semble atteint d'une étrange maladie dégénérative. Même au niveau de sa représentation, il n'est plus l'ensemble correspondant à l'intersection des trois cercles environnementaux, économiques et sociaux mais est devenu un triangle. Les mathématiques sont à la source de beaucoup de cuisines mais , cette fois il convient que l'on s'attarde sur cette mutation.

 

Si l'on réduit le développement durable à un triangle dont les trois angles seraient les trois piliers, ce n'était vraiment pas la peine de s'épuiser les méninges à produire une telle théorie. Tout le monde sait depuis longtemps , et sans avoir attendu madame Bruntland, que l'économie doit se préoccuper du social si l'on veut rendre acceptable l'économie capitaliste de marché et que , ne pas prêter attention aux considérations environnementales peut conduire à des effets désastreux sur le plan économique et social : l'exemple des économies communistes où l'environnement fut saccagé avec de graves conséquences sur la santé publique et plus prosaïquement l'amenuisement de certaines ressources naturelles surexploitées comme le cabillaud ou la coquille saint Jacques en sont des exemples parmi d'autres. Savoir quel est le bon dosage entre nécessité de ne pas entraver l'économie par des coûts sociaux ou environnementaux trop importants est un débat permanent de nos sociétés ; très ancien pour le social, plus récent pour l'environnemental.

 

Il faut cependant convenir que tout cela n'a pas grand chose à voir avec le concept développé par Mme Bruntland et repris par nos petits marquis onusiens soucieux d'avoir leur bergerie comme Marie Antoinette en avait une. Le schéma du développement durable tel que décrit plus haut est bien un schéma dans lequel l'économie et ses composantes ( choix d'investissements, mode de gestion de la rareté etc...) sont tout à fait différentes de ce que l'on observe dans l'économie de marché même si on a vu que c'était une sorte d'île aux enfants entourée d'un océan de réalité beaucoup moins souriante.

 

Or, ce qui se passe montre que le développement durable , traduit en un triangle qui n'est pas nécessairement isocèle mais peut très bien devenir plat , réduisant à zéro la prise en compte du social ou /et de l'environnemental, est de plus en plus vidé de son sens et même de son sang tel un canard à qui on aurait coupé la tête mais qui continuerait à courir .

Il est fort probable, d'ailleurs, que l'altération du concept va s'accentuer avec l'approfondissement prévisible de la crise économique. Il sera de plus en plus difficile à madame Duflot et ses comparses de soutenir que l'on peut défendre le pouvoir d'achat et l'emploi en gaspillant l'argent à subventionner des emplois verts ou à construire des éoliennes. Le canard sans tête du développement durable en rejoindra d'ailleurs un autre de la même couvée : celui du réchauffement climatique.

Enfin , à ce détail près que le canard sans tête dans le salon c'est du sang et des plumes sur la moquette qu'il faudra nettoyer. Le nettoyage des dégâts liés aux gaspillages engendrés par le développement durable risque de coûter plus cher.

1J'appelle « État Abstinence » cette forme cancérisée du dépérissement de l’État à laquelle nous assistons. L’État Providence (Welfare) avait apporté la richesse ; l’État Abstinence liquide les acquis de l’État Providence les uns après les autres. Il est le produit de la dégénérescence de l’État Nation sous le double effet de la mondialisation et de la régulation sociale par les peurs et le principe de précaution.