LES ANIMAUX CITOYENS

Les animaux citoyens En 2005, une amie m’avait alerté sur l’existence de deux articles figurant dans la partie III du projet de traité. Il s’agissait de l’article III -117 du projet constitutionnel : « Dans la définition et la mise en œuvre des politiques visées à la présente partie, l’Union prend en compte les exigences liées à un niveau d’emploi élevé, à la garantie d ’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l ’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine. » Article III-121 du même projet : « Lorsqu’ils formulent et mettent en œuvre la politique de l’Union dans les domaines de l ’agriculture, de la pêche, des transports, de la recherche technologique et de l’espace, l’Union et les Etats membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles... » Chacun a bien lu : dans le premier cas on prend en compte, dans le second, on tient pleinement compte ! J’ entends déjà quelques cris d’orfraie. Kelenborn pousse le bouchon un peu loin et voudrait nous faire croire que la Commission qu’il honnit a touché le fond de la décrépitude intellectuelle, qu’elle est vérolée par les amis des animaux et par Brigitte Bardot, et qu’elle nous concocte une directive afin que les espèces en voie de disparition puissent être représentées au Parlement européen par Nicolas Hulot en tant que vice-président statutaire de cette vénérable institution... D’abord, quelque chose est troublant dans cette formulation : on ne parle pas du bien-être des prisonniers ; on se contente de dire qu’ils doivent être bien traités, au pire qu’ils ne doivent pas être maltraités. Les moutons de José Bové, voués à l’abattoir s’ils ne sont pas morts de l’absorption de gentianes transgéniques, doivent être bien traités par leur maître (nourris et si possible non battus), mais on ne peut exiger de lui qu’il les dorlote et leur chante l’Internationale afin de les endormir ! Plus sérieusement, ce qui étonne, lorsqu’on se rend sur le site dédié de l’Union européenne, c’est la manière dont le terme est inséré dans le texte. Tout à coup, cela m’a fait penser à un article de Lipietz commis dans un journal affidé, Le Monde ou Libé... Comme quelque chose d’emprunté à la littérature stalinienne qui n’a rien d’étranger à l’ancien maoïste qu’il était... Je m’explique : le terme bien-être des animaux revient dans le texte comme une formule sacralisée, comme on avait, au bon temps de Vlado, Joseph et Leonid, internationalisme prolétarien et avant-garde éclairée du prolétariat. Cela fait effectivement penser à la manière dont le concept de développement durable a progressivement colonisé la prose communautaire. A ce stade, il reste donc à savoir quel lièvre peut dormir sous cette étrange formulation. Si l’on va sur le site de la Commission, on trouve des choses surprenantes, qui montrent que ces textes n’ont pas été rédigés un soir de goguette dans un bar bruxellois. 1.Le bien-être des animaux est décrit comme « la clé de voûte des politiques communautaires » (sic) et son « rôle central dans la politique agricole commune rénovée » est affirmé ! 2. Si la Commission semble ne jeter qu’un regard pour l’instant prudent sur le sort dévolu aux animaux dont la destinée est de terminer dans nos assiettes, il n’en va pas de même des animaux de laboratoire pour lesquels une mort de Minotaure semble programmée. La priorité est celle des trois « R » (replacement, réduction and refinement - remplacement, réduction et perfectionnement). Assez curieusement, la Commission, dans son programme à venir, annonce des campagnes de communication, notamment en direction des enfants... Tiens, on croyait que la Commission réprouvait l’utilisation des enfants dans la publicité ! On imagine ! Non, l’horrible docteur ne va quand même pas torturer Mickey ! Traduisons maintenant : la Commission n’entend pas attaquer le problème de manière frontale ; s’en prendre au beefsteak, au chicken wings, ou au roastbeaf et pire encore au kebab serait, pour l’instant, totalement contreproductif. L’entreprise de décervelage n’a pas atteint ce degré de perfectionnement. Il est plus facile de cibler le sort fait aux animaux de laboratoire car le travail de culpabilisation est plus à portée : pourquoi faire souffrir ce pauvre lapin ou ce pauvre chat pour tester des produits de maquillage quand tout cela peut être résolu par l’application régulière de purée de potimarron avant que l’Ordre Vert en marche ne nous explique que c’est pécher contre Dame Nature ? 3. Une fois le résultat obtenu , on conviendra que la souffrance faite aux animaux promis aux abattoirs était sans commune mesure avec celle de leurs alter ego des laboratoires. Pis ! Quand les seconds pouvaient échapper au massacre, le sort des premiers était scellé ! L’abattoir est au laboratoire ce qu’Auschwitz est à Büchenwald... Comment admettre que ce qui a été jugé intolérable pour les rats et les chats soit admis pour vaches, moutons et poulets ? 4. D’ailleurs, ne lésinant pas sur l’escroquerie, la Commission justifie son approche par une pseudo enquête, réalisée par Internet, auprès d’Européens, dont 60% de femmes. Les résultats en sont publiés en version anglaise uniquement (voir mon précédent article). La manipulation atteint des sommets. On demande aux sondés ce qu’ils pensent du niveau de bien-être garanti aux animaux d’élevage et ceci pour une liste impressionnante de bestioles, puisque cela va des vaches à lait aux canards en passant par les poissons d’élevage. On imagine quel doit être le niveau de connaissances des internautes (dont on ne sait non plus s’ils ont été consultés ou s’ils ont répondu librement à un questionnaire - les défenseurs des animaux ont dû être plus pressés de répondre que les bergers) sur les pratiques d’élevage dans les fermes. La plupart d’entre eux n’y ont sans doute jamais mis les pieds, mais pourtant ils ne sont que 6 ou 7 % à avouer ne pas savoir ! Il est d’ailleurs remarquable, et sans doute pas sans intérêt, de constater que le degré de bien-être est jugé d’autant plus bas que l’animal est promis à un sort funeste : 63% pour les porcs contre 45% pour les vaches à lait ! L’affaire tourne au grand guignol quand on arrive aux propositions qui sont jugées utiles pour améliorer le bien-être des animaux et que je vous livre en anglais : « The animal should be transported in a human way », « The animal should have contact with other animals ! » (espérons que dans ce dernier cas, on n’offre pas aux poulets une visite de la ferme aux crocodiles ! On est dans l’île aux enfants !). Il ne reste plus à la Commission qu’à affirmer que, sans aucun doute , tout cela va augmenter le prix des produits mais - et la boucle est bouclée- c’est ce que demandent les citoyens. D’ailleurs, quand on fait remarquer à Pascal Lamy le caractère quelque peu masochiste, sinon suicidaire, de telles réglementations, il rétorque que l’Union a choisi un modèle à haut niveau de protection environnementale. Silence dans les rangs. On aimerait entendre le chant des oiseaux ! Kelenborn délire ? Pas tant que cela. Dans le sillage direct de ce qui vient d’être dit figure en ligne de mire le foie gras. Les Suisses, dont la dernière guerre nous a appris le sens de la solidarité et l’amour de l’humanité, l’ont, semble-t-il, interdit pour cruauté envers les animaux. Madame Voynet, sénatrice à vie du 93, a voté récemment, avec ses collègues Verts, un texte en ce sens. Ajoutons que l’accouchement du processus peut se trouver facilité par un autre élément : depuis quelque temps, la Commission pointe d’un doigt accusateur le principal fautif de l’émission des gaz à effet de serre : les vaches péteuses et plus généralement les ruminants. Un bon impôt écologique là-dessus, et voilà le bifteck à 80 euros le kilo... Ségolène Royal, qui a promis du bio pour tous, devra remplacer dans les assiettes le bœuf par des haricots blancs... On prendra simplement acte que dans ce contexte de mondialisation et de dérégulation, les Etats et les organisations internationales peuvent toujours légiférer pour défendre le bien-être des animaux, alors que le bien-être des hommes relève de la régulation par les multinationales. Les Etats peuvent encore interdire aux êtres humains de fumer, de boire et de forniquer sans préservatif afin de préserver leur espérance de vie, tandis que pour ce qui est du paiement de leur retraite, circulez, rien à voir, c’est le Cac 40 ! Il faut convenir qu’on ne peut trouver meilleur aveu de l’impuissance de notre chère Union européenne ! En revanche, elle excelle pour nous conduire au sous-développement durable ! Martin Kellenborn NB Lorsque j'ai publié cet article dans Agoravox, j'ai eu peu de commentaires mais la moitié d'entre eux extrêmement agressifs venaient de végétaliens sectaires. Tout ceci m'a conforté dans cette idée que sans céder à un excès de paranoia il serait intéressant de savoir comment ces gens la ( qui ont commencé à tuer au Ryaume Uni au nom de la défense des animaux!)ont entamé de ver-ouiller de leurs metastases la commission européenne MKtexteLES ANIMAUX CITOYENS Les animaux citoyens