L'AFFAIRE DES POLLUTIONS HUMAINES

L’AFFAIRE DES POLLUTIONS HUMAINES L'automne était arrivé bien tôt cette année là. Dès le début septembre , le vent piqua au nord-ouest, amenant des giboulées dignes des pires mois de mars. Tandis qu'il fallait déjà se lever avec le jour naissant et enfiler des manteaux, la ville prenait ces habits de tristesse et d'ennui qu'elle porterait pendant six mois durant. Temps de chien social: après que les secousses économiques outre atlantique aient constitué un premier coup de froid sur les plages estivales , voila que les comptes sociaux, comme on dit, faisaient grise mine et que nos responsables commençaient à s'interroger gravement sur la possibilité de mettre en oeuvre une méthode alternative à celle qui consistait traditionnellement à plonger la main gauche dans la poche du contribuable tout en jurant, la droite appuyée sur le coeur que cette fois, le redressement serait durable car les mesures structurelles mises en oeuvre seraient innovantes et de nature à bloquer la dérive du processus. On demanda un rapport au professeur Cageot, spécialiste médiatiquement connu pour ses incitations incantatoires à la prévention. Le professeur Cageot, dont on avait depuis longtemps oublié quelle était sa spécialité, était souvent présenté comme un grand sceptique au regard des victoires de la science médicale. A vrai dire, le personnage avait eu son heure de gloire grâce à un ouvrage publié à la fin du siècle où il démontrait de manière péremptoire que l'espérance de vie allait cesser d'augmenter en raison des comportements irresponsables des individus, que les progrès médicaux avaient atteints leurs limites et que la société devrait cesser de dépenser de l'argent pour soigner ceux qui trahissaient sciemment le contrat social passé avec la collectivité.Il était connu pour avoir été , lors d'un bref passage comme conseiller d'un ministre de la santé, l'instigateur d'un certain nombre de mesures controversées comme par exemple le port du casque et de la ceinture de sécurité pour les cyclistes, l'obligation d'obtenir un diplôme professionnel pour les ramasseurs de champignons en forêt ou encore l'exclusion des sportifs de haut niveau convaincus d'avoir consommé de l'alcool. Il avait bruyamment démissionné lorsque Matignon avait refusé d'avaliser une de ses propositions visant à couper d'eau tous les vins afin qu'ils ne dépassent pas 8°. Le professeur ainsi exhumé fit une proposition aussitôt reprise par le gouvernement socialiste de l'époque et saluée immédiatement comme étant celle qui conciliait respect des libertés et souci de préserver la protection sociale , le tout dans un esprit de responsabilité. Chaque assuré social se voyait proposer la possibilité de souscrire le CCRS: le contrat civique de responsabilité sociale. On avait rajouté l'adjectif ,sur intervention des responsables de la communication du ministère qui trouvaient que la première formulation avait une connotation un peu trop policière. Le principe en était somme toute assez simple: le signataire s'engageait à ne pas fumer , ne pas boire d'alcool, à respecter certaines habitudes alimentaires , à ne pas se livrer à des pratiques sexuelles à risque et à ne pas pratiquer de sports violents. En échange de cet engagement , il bénéficiait d'un abattement sur ses cotisations sociales qui pouvait atteindre 30% , la possibilité de bénéficier du taux maximal devant être réglée par décret d'application. Bien sûr, cet engagement avait pour contrepartie l'obligation de ses soumettre à un contrôle annuel sous la forme d'un examen médical qui permettrait de détecter si l'individu n'avait pas fumé ou consommé de l'alcool dans les derniers mois. Les autres obligations ne faisaient pas l'objet d'un contrôle: la création d'un corps d'inspection ayant été in extremis écartée pour des raisons de coûts et on lui avait préféré des campagnes de communication à la TV et dans la presse. Quant à ceux qui ne souscriraient pas l'engagement , leurs cotisations étaient d'ores et déjà relevées de 20% dans un premier temps tandis que les remboursements des frais médicaux découlant de soins liés à des comportements à risque étaient drastiquement réduits. Il y eu bien quelques protestations de l'opposition qui tout en saluant la démarche de santé publique du gouvernement trouva les mesures globalement insuffisantes et surtout anti-économiques.Le député Adrien Sabrousse eut beau dénoncer le fait que prendre des mesures permettant théoriquement d’allonger la vie des gens ne pourrait qu’accroître les retraites à verser : rien n’y fit . Un amendement fut même proposé prévoyant que les fonctionnaires, afin de donner l’exemple, devraient souscrire obligatoirement au CCRS. Il fut in- extremis retiré du vote après que l’on eût fait valoir que le Conseil Constitutionnel pourrait annuler une mesure portant atteinte au principe d’égalité des citoyens. Un article de Charlie - Hebdo relata bien que l’hystérie hygiéniste du professeur Cageot tenait à un traumatisme de la petite enfance : le malheureux était tombé dans le pot de chambre familial et avait failli s’y noyer. Le vent du politiquement correct ambiant assurait le triomphe de Savonarole : la religion de la santé pour tous allait enfin régler les problèmes de la France : qu’on se le tienne pour dit : chacun était désormais responsable de sa santé . Cette dernière ne pouvait qu’être bonne et dans le cas contraire , on ne pouvait que s’en prendre à soi même. D’ailleurs , le professeur Cageot avait pronostiqué dans un long article publié dans La Croix que dans un proche avenir, moins de la moitié des dépenses de la sécurité sociale servirait à rembourser des soins, le reste pouvant alors être affecté aux tests de contrôle des assujettis au CCRS. Les mesures prévues furent prestement mises en œuvre. L’action gouvernementale fut, il est vrai, parfaitement relayée par celle d’ entreprises à la pointe du progrès. Les fumeurs avaient déjà été parqués depuis de longues années. Cette fois , on leur fit valoir que leur coût devenait rédhibitoire par rapport à celui des adhérents au CCRS. Ils étaient donc prestement invités à changer leurs habitudes et ceux qui ne le firent pas assez vite ne tardèrent pas à apprendre que pour des raisons de redéploiement rendu nécessaire par l’évolution de la demande, ils pouvaient toujours exercer leur vice devant la porte de l’ANPE , laquelle étant un lieu public, ne tolérait pas depuis déjà longtemps que l’on fumât dans ses murs. Les amateurs de vin rouge et d’agapes ne furent pas en reste : B and B , le roi de l’informatique proposa à ses salariés des tests volontaires permettant de mesurer leur absence d’accoutumance à l’alcool. Ceux qui obtiendraient les meilleurs résultats obtiendraient des primes annuelles. Un monde sans vice se mettait progressivement sur les rails : Un pays , désormais fait de citoyens consacrant la totalité de leur énergie à leur travail, grâce à une santé de fer pouvait envisager sans crainte la sortie de crise. Une nouvelle étude publiée par un organisme indépendant montra d’ailleurs à ceux qui n’en étaient pas encore convaincus le lien étroit entre chômage et alcoolo-tabagisme : on savait déjà que le stress lié au chômage conduisait ceux qui en étaient victime à fumer et à boire. Ce que l’on savait moins c’est que la consommation de tabac et d’alcool, en altérant les facultés mentales et intellectuelles , diminuait la productivité et l’efficience au travail écartait ainsi les travailleurs qui s’adonnaient à ce vice . Les statistiques le montraient sans ambiguïté : les demandeurs d’emplois étaient , aux deux tiers, des individus qui n’avaient pas adhéré au CCRS. D’ailleurs, les américains qui faisaient depuis longtemps la guerre au tabac avaient un taux de chômage inférieur au notre. Le ministère de la santé lança donc une grande campagne de communication tous médias dont les slogans phares étaient : »pour l’emploi je ne fume pas » « le tabac ou l’emploi » ou encore » la fumée qui s’envole avec honte , c’est la courbe du chômage qui monte ». Enhardi par le succès de sa politique qui au vu des sondages était approuvée par 52% des français mais58% des femmes, le professeur Cageot se préparait à mettre en œuvre le second volet de sa politique : celui ci prévoyait que le tabac et l’alcool étaient désormais classés produits dangereux et ne pourraient plus être prescrits que sur ordonnance . Dans le même temps, les chaînes de télévision et les médias étaient invités à signer une charte déontologique selon laquelle les journalistes s’engageaient à ne plus prononcer tout mot qui aurait un rapport quelconque avec l’alcool ou le tabac. Dans le même temps, la diffusion de documents antérieurs (films ou reportages)serait obligatoirement programmée après 22 heures et accompagnée d’un signe de mise en garde à l’écran . Une exception fut faite pour les livres à la demande du ministre de la culture, au nom de la tradition littéraire française. Le professeur Cageot finit, bien que contrarié par accepter cette entorse en confirmant que pour l’avenir , son intention était bien et selon ses propres termes d’éradiquer l’alcool et le tabac de toute représentation culturelle. C’est alors qu’éclata une bien étrange affaire : le printemps était enfin venu après un hiver maussade , faits de longs week-ends plongés dans un brouillard dense. La période de Noël avait été pour beaucoup l’occasion de dernières agapes avant l’ouverture de l’ère spartiate. L’étude qu’allait publier deux chercheurs : Jacques Crespin , un médecin épidémiologiste et Hubert Demontais :un statisticien fut comme un coup de tonnerre : Il en ressortait la mise en évidence d’une surmortalité, urbaine pour l’essentiel, liée non pas, comme on l’avait cru jusqu’alors à l’émission de gaz d’échappements des véhicules ou à l’activité industrielle , mais à une nouvelle pollution déjà appelée par les américains « human pollution » c’est à dire pollution humaine. En effet, des analyses très fines, conduites dans des zones où les pollutions déjà connues étaient d’un niveau identique faisaient apparaître un différentiel de mortalité, un reliquat inexpliqué qui ne pouvait trouver sa source dans les causes déjà connues. Or , une étude américaine antérieure , avait déjà mis en évidence la responsabilité de la pollution humaine dans des phénomènes de surmortalité irréductibles par l’analyse statistique classique. Quelle était la nature de cette nouvelle pollution ? Elle tenait selon les auteurs du rapport à des émanations d’origine humaine.. Cette pollution était selon les auteurs du rapport liée à deux types de causes :D’abord, la plus identifiable qui tenait aux contacts proprement dits :Les poignées de mains mal lavées en étaient l’élément le plus connu (un rapport révélait que 27% des français ne se lavaient pas les mains après s’être torché les fesses ou être allés pisser). Ces échanges étaient un redoutable vecteur de transmission de microbes et bactéries .Cependant, la solution était sur ce plan assez simple : il suffisait de porter des gants, si possible jetables. Plus redoutables et pernicieuses étaient le second groupe de causes : les odeurs qu’aucune technologie ne permettait d’arrêter . Elles se répartissaient en plusieurs catégories dont les principales étaient les odeurs de pieds pour 37% , les odeurs de sueur pour 22% , les pets pour 14% , le reste trouvant son origine dans des causes diverses allant de la mauvaise haleine aux urines en passant par d’autres aspects olfactifs minoritaires ou aux effets contradictoires. Ainsi, certaines eaux de Cologne ou certains parfums présentaient un statut hybride , polluant à l’encontre de certains individus, protecteur à l’égard d’autres. Il restait encore certaines incertitudes quant aux effets respectifs des différentes sources, quand au caractère accélérateur ou nom de leur action mais un fait demeurait acquis : de même que la pollution atmosphérique, la pollution humaine tuait : on avait même chiffré son effet : elle provoquait une surmortalité variant entre 4 et 8 % de décès prématurés supplémentaires par rapport à la pollution atmosphérique. Le processus était encore mal connu mais son supposait que les pollutions du second groupe agissaient négativement sur le métabolisme de ceux qui en étaient victimes lesquels entraient progressivement dans un processus psychologique morbide pouvant aller jusqu'à des comportements dépressifs On perçait ainsi la contradiction soulignée pendant des années par les incrédules de tout poil et selon laquelle il y avait quelque paradoxe à dire que la pollution urbaine tuait alors même que l’espérance de vie des parisiens était parmi les plus élevées . En fait, dans la France profonde, la pollution urbaine était relayée par un avatar de la pollution humaine : la pollution animale liée aux épandages de lisier ou autre odeurs d’élevages. Il n’était même pas exclu que le taux de suicide plus élevé des bretons soit la conséquence indirecte de l’élevage intensif des porcs dans cette région. L’affaire souleva une forte émotion dans l’opinion. Les écologistes cachaient mal leur embarras : ils avaient préconisé depuis des années un usage accru des transports en commun ; ceux la même qui présentaient le danger maximal en terme de pollution humaine. Tandis que les fabricants de savons et déodorants et surtout les maroquiniers voyaient les prix de leurs actions s’envoler , défilaient sur les antennes médiatiques un tas de conseilleurs appelés opportunément pour rassurer ceux dont les appels inondaient les standards téléphoniques. Au delà des prescriptions d’hygiène classiques (il fut rappelé à cette occasion que les français avaient trop souvent des relations faites de distance avec leur douche ou leur baignoire), tout un tas de solutions furent prodiguées : éviter la fréquentation de lieux publics aux heures les plus avancées de la journée, alors que se manifestent les pics de pollution humaine, mais aussi, faire réaliser par un médecin spécialiste un test de sensibilité aux odeurs. Il ressortait en effet des observations faites que 14% de la population était hypersensible et donc la plus menacée tandis que 27% était seulement sensible. Nombre de personnes n’hésitèrent pas à s’épancher pour raconter leur calvaire. Une employée de la sécurité sociale expliqua que , depuis des années, on lui reprochait ses nombreux congés maladie , alors qu’elle ne supportait pas sa voisine de bureau qui sentait la sueur, ceci lui donnant des nausées et des migraines à partir du début de l’après midi. Un enseignant dont les propos furent repris le soir même par les syndicats souligna la difficulté de devoir être parqué pendant de nombreuses heures dans une atmosphère confinée , face ou plutôt le nez au dessous d’une quarantaine de pieds. Deux jours après que la nouvelle fut tombée un grand quotidien du matin annonça que le mur du silence était enfin tombé et que les victimes de l’oppression allaient enfin être vengées de la dérision qui constituait, jusque là , la seule réponse à leur plainte. Un journaliste qui lors d’un débat télévisé , avait osé demander combien de morts les pollutions humaines provoquaient et s’il ne convenait pas de les rapporter au nombre de victimes du cancer fut l’objet d’un quasi lynchage médiatique : que pouvait signifier cette référence toute technocratique à des statistiques quand ce qui était en cause était la souffrance de millions de femmes et d’hommes. Au furet à mesure que se répandait la prise de conscience du mal on mesurait l’étendue de ses scories. La population était prise entre Charybde et scylla .Les toilettes étaient désertées par peur de contamination. Il en résultait que, dans les entreprises ou au bureau nombre de personnes se retenaient , parfois jusqu’à supporter d’horribles souffrances, parfois jusqu’à déféquer dans leur pantalon ou leur culotte ce qui ne pouvait qu’entraîner un mal plus grand encore. L’incivisme aidant, certains n’hésitaient pas à se soulager sur un coin de pelouse ou dans les espaces verts. Invitée à un forum consacré au thème « Le rôle des femmes dans le combat contre les pollutions humaines » la ministre de l’Environnement annonça , qu’en concertation avec sa collègue chargée de la santé publique, elle envisageait un premier train de mesures : pose d’olfactomètres dans tous les lieux publics, création d’un numéro vert chargé de recevoir les appels des victimes, création dans chaque département d’une cellule de psychologues assurant la prise en charge des cas d’urgence. Elle ajouta que le ministère de la santé publique se penchait sur la possibilité d’accorder un statut d’invalidité à ceux qui étaient à l’origine des pollutions ainsi qu’aux victimes. Il convenait cependant d’en évaluer le coût , ce qui était délicat compte-tenu de l’absence de données statistiques exhaustives. A cet égard, un observatoire de la pollution humaine devrait être crée dans les prochaines semaines. Le professeur Cageot qui était resté muet pendant trois semaines accorda une interview au Nouvel Observateur dans lequel il souligna que ce qui se passait ne le surprenait nullement et que la pollution olfactive était le plus souvent liée à la consommation toujours excessive d’alcool, de tabac et autres substances ruineuses de la santé, soit directement par effet sur le transit intestinal ( il s’exclama même dans un grand élan oratoire « avez vous mis le nez sur une merde d’ivrogne ? ») soit indirectement en raison des comportements négatifs que ces pratiques induisent : les gens qui boivent ne se lavent pas , vivent dans leur crasse ; quant au tabac il réduit les capacité de l’individu à traquer olfactivement les pollutions humaines. Bercy était dans l’embarras : à un moment où l’activité économique était des plus atones, où le régimes sociaux étaient toujours en déficit malgré les recettes miracles du professeur Cageot, l’affaire tombait au plus mal. Les vaches à lait traditionnelles que constituaient l’alcool et le tabac étaient exsangues car à 450 francs la bouteille, le Whisky trouvait peu d’acheteurs.. Il aurait été impopulaire et contradictoire de taxer les carburants dans la mesure où le recours à la voiture individuelle était, tout compte fait, plus sain que les transports en commun au regard de cette nouvelle forme de pollution. Par peur pour leur emploi, les boucs émissaires du professeur Cageot ne constituaient même plus , après que l’on eut envisagé cette solution , un citron dont on pouvait extraire quelque jus tant ils étaient jour après jour moins nombreux. Appliquer le principe pollueur-payeur comme cela avait été le cas jusqu'à présent, d’abord en raison des nombreux contentieux que pouvait générer la détermination des pollueurs, ensuite et surtout en raison des problèmes d’assiette : comment déterminer le taux d’imposition applicable à des pieds puants ? Surtout comment taxer les péteurs dont l’activité est fluctuante , difficilement appréhendable et surtout sujette à toutes sortes de fraude ? Sans compter que les instruments traditionnels du contrôle fiscal étaient particulièrement inadaptés .Sans doute pouvait on envisager de faire porter sur les contribuables la charge de la preuve : serait exonéré de la taxe celui qui pourrait démontrer qu’il ne pète pas en public. Mais une taxation au réel se révélait quasi impossible à mettre en œuvre et une taxation au forfait pouvait même avoir des effets pervers en incitant les individus, une fois qu’ils s’étaient acquittés de la taxe à s’adonner de manière aussi vengeresse qu’éhontée à leur répugnante pratique. On était dans l’impasse. Cela faisait des semaines que quelques crânes d’oeuf s’épongeaient le cortex à trouver des solutions. Certaines études commençaient toutefois de mieux cerner l’étendue du mal. On estimait que 8% de la population, la plus puante était responsable de la moitié des pollutions humaines. Ce groupe d’individu était désigné sous le vocable de PHEO (personnes à hautes émissions olfactives) qu’il fallait bien sûr distinguer des PHREO (personnes hautement réceptives aux émissions olfactives). Une polémique ne tarda d’ailleurs pas à opposer dans la presse les partisans d’un dépistage systématique des PHEO à ceux qui considéraient que ceux ci déjà victimes de leur mal ne sauraient être ainsi désignées à la vindicte et à l’opprobre de l’opinion. Au contraire, la société avait le devoir de les traiter comme des gens normaux . Devant la pression, certaines entreprises incitèrent quelques salariés trop odorants à bénéficier d’une retraite anticipée. D’autres innovèrent en encourageant le télétravail. Le gouvernement prit une série de mesures inspirées de ce qui avait été fait pour la loi sur l’air . Des réseaux d’olfactomètres furent installés. Dans les situations de seuil d’alerte (notamment en période de forte chaleur ou d’humidité), les individus étaient invités à s’abstenir de fréquenter les locaux réservés au public et les transports en commun. Les personnes reconnues par la sécurité sociale comme PHEO étaient dispensées d’aller au travail depuis qu’un accord entre partenaires sociaux avait mis en place un système d’indemnisation. Cependant, on avait sous-estimé le caractère profondément déstructurant du phénomène. Dans les six mois qui suivirent 60 000 demandes de divorce furent déposées afin d’obtenir la cessation d’une cohabitation avec un conjoint qui sentait des pieds, pétait au lit ou avait mauvaise haleine . Une secrétaire à la retraite, atteinte d’insuffisance respiratoire demandait une indemnisation à son ancien employeur au motif que pendant 10 ans, elle avait dû collaborer avec un PHEO particulièrement actif. 155 enseignants furent sur pression des familles, reclassés à des tâches diverses . Des écoles spéciales furent créées pour accueillir les enfants qui étaient PHEO précoces. Le pire était à venir : le 4 avril, un groupe terroriste réussissait à pénétrer dans l’Arche de la Défense pour y jeter des boules puantes : 4 kilos au moins selon les enquêteurs. Les systèmes de détection installés au rez de chaussée permettaient de détecter les objets métalliques comme les armes à feu mais ils n’avaient pas été conçus pour lutter contre cette forme nouvelle et particulièrement lâche de terrorisme . La panique fut d’autant plus générale que l’immeuble étant climatisé, il était impossible d’ouvrir les fenêtres. Les ascenseurs étaient pris d’assaut tandis que retentissaient des hurlements et des appels au secours. Au 34eme étage , réservé au cabinet, on put rejoindre la terrasse. Mais la situation la plus alarmante était celle des étages immédiatement au dessous. Il fallut plus de deux heures aux sauveteurs pour évacuer les dernières victimes. Le matériel de réanimation manquait . Les 150 psychologues dépêchés immédiatement sur les lieux étaient débordés. Le soir même d’ailleurs, un de leurs représentants en colère invectivait les pouvoirs publics en exigeant la création dans les plus brefs délais et dans chaque département d’un psycho-samu : corps de psychologues motorisés qui serait en mesure d’intervenir efficacement au cas où une catastrophe, de cette nature ou d’une autre devrait se reproduire. Un communiqué médical publié le soir même indiquait que sur les mille huit cent cinquante quatre personnes évacuées, la plupart avaient dû rentrer chez elles. Une centaine restait toutefois en observation pour subir des examens qui permettraient de vérifier si elles n’avaient pas conservé des séquelles de l’accident. L’attentat était d’autant plus grave que l’arche abritait un grand nombre d’ingénieurs des ponts dont certains étaient passablement décatis au point que l’on en retrouva deux endormis dans leur bureau. Ils n ‘avaient pas entendu les signaux d’alerte et rien remarqué d’anormal. L’attentat allait être revendiqué par un mystérieux groupe terroriste qui ne voulut bien donner que son sigle : M.A.C Dès le lendemain matin, une réunion interministérielle remettait en vigueur le plan Vigipirate. La police des frontières fut mobilisée afin d’intercepter tout trafic d’objets dangereux qui pourrait donner lieu à un nouvel attentat tandis que les magasins de farces et attrapes étaient fermés par arrêté préfectoral et les stocks saisis .A Marseille, un homme qui s’était « oublié » dans le bus faillit être lynché par une foule en colère . Evacué par la police , il fut maintenu en garde à vue mais relâché faute de disposition pénale prévoyant un délit. Dès le lendemain, les ministres de l’intérieur et de la justice étaient interpellés par Etamine Dupont -Becas la présidente de l’association « ras les odeurs » qui fustigea l’inertie gouvernementale et son incapacité à prendre les mesures législatives et réglementaires qui s’imposaient pour mettre un frein à ce qui constituait à ses yeux une forme de sida rampant. Mal à l’aise, le ministre de la justice assura qu’un projet de loi serait déposé prochainement devant l’assemblée afin d’insérer dans le code pénal un délit spécifique lorsque le comportement polluant des individus avait un caractère intentionnel. Ce à quoi l’association répondit, dans une conférence de presse, que si cette mesure s’imposait évidemment, rien n’empêchait, d’ores et déjà, de poursuivre les pollueurs sur la base de l’inculpation pour tentative d’homicide involontaire. La tension était à son comble : les transports en commun avaient vu leur fréquentation divisée par deux en quelques mois. Un imam lyonnais déclara que ce qui se passait montrait qu’à l’évidence ,les femmes qui suivaient strictement les préceptes de l’Islam étaient protégées grâce au port du tchador. Le grand couturier Oko Aquino en fit d’ailleurs le leitmotiv de sa collection d’automne : dans ce monde désemparé , on pouvait somme toute échapper à la pollution en choisissant d’être chic. Un an après la parution du fameux rapport, les effets observés étaient dévastateurs : la chute de la consommation alimentaire de 25%, le triplement de l’absentéisme mais aussi la montée vertigineuse du pessimisme avaient plongé le pays dans la récession, tandis que le déficit de la sécurité sociale accusait une forte progression et que le chômage atteignait désormais des sommets. Il fallait absolument que le gouvernement prît le taureau par les cornes . Un prélèvement additionnel provisoire fut institué sur l’ensemble des revenus fut institué, ceci afin de remettre de l’ordre dans les comptes sociaux. Dans le même temps, la taxe générale sur les activités polluantes était élargie à tout ce qui pouvait donner lieu à production de pollutions humaines :industrie de la chaussure, produits alimentaires à base de féculents... Mais comme l’assiette était manifestement insuffisante , on augmenta aussi la TVA sur les déodorants , les parfums et autres onguents dont la consommation avait fait un bond. L’opposition dénonça l’immoralité du procédé tandis que les industriels du secteur criaient à l’attentat. Le député non-inscrit Ducatroux trouva une solution qui fit l’objet d’un amendement voté par 85% de l’assemblée : on renonçait à augmenter la TVA et la nouvelle imposition était transformée en contribution civique à la lutte contre les pollutions humaines, et appelée familièrement « Mamo »ce qui signifiait « mort aux mauvaises odeurs ». Grâce aux dotations supplémentaires dont il allait bénéficier , le ministère de la santé put ainsi financer une campagne de communication . Ses auteurs crurent bon de surfer sur la vague de ce qui avait été fait pour le sida quelques décennies auparavant. Ainsi, pouvait-on voir divers personnages portant un masque devant le nez affirmer l’air aussi grave que déterminé : « elles n’arriveront pas jusqu’à moi » ou encore une jeune femme repoussant avec un haut de coeur une assiette de cassoulet en disant : « elles ne sortiront pas de moi ». Bien sûr, un tel effort ne peut être réalisé que par des économies, des « redéploiements » pour utiliser le terme préféré des crânes d’oeuf. Ainsi, diminua -t- on diverses prestations sociales, ainsi plafonna-t-on le montant des allocations chômage. Le RMI fut soumis à dégressivité. Il était d’autant plus faible que son bénéficiaire choisissait de résider en zone urbaine. De la sorte, on incitait les individus à se déplacer vers des territoires peu peuplés ou le risque olfactif pouvait être dilué. Quelques semaines plus tard, le Canard Enchaîné publiait les dessous d’une bien étrange affaire. Les deux chercheurs à l’origine de la découverte des pollutions humaines estimaient avoir été trahis. Les calculs qu’ils avaient réalisés n’avaient pas fait l’objet des vérifications nécessaires. Au demeurant, et à supposer même qu’une surmortalité ait pu être mise en évidence, les chiffres ne constituaient qu’une dérivée par rapport aux victimes de la pollution atmosphérique, laquelle devait péniblement raccourcir de quelques jours ou quelques semaines la vie de deux ou trois cent personnes par an. Interrogés sur l’impact des pollutions humaines sur la mortalité les auteurs estimaient qu’il devait y avoir trois ou quatre morts suspectes. Le Canard dévoila alors que Oscar Bremont -Tigret , chroniqueur médical sur une chaîne télé et auteur d’un ouvrage particulièrement remarqué et vendu à deux cent cinquante mille exemplaires : « La nouvelle peste noire : comment y échapper ? » était à l’origine du cataclysme. Ayant interviewé les deux chercheurs, il avait immédiatement saisi tout les avantages qu’il pouvait tirer de cette affaire. Dès le jeudi matin, la presse s’interrogeait. Les foudres éditoriales frappaient ceux qui n’avaient pas eu la vigilance nécessaire pour déjouer la supercherie. Le ministre de la Santé fut violemment interpellé par l’opposition . On chiffrait en gros à deux cent milliards le coût de la farce pour l’économie du pays. Interrogé au journal de vingt heures par Pierre Armand Lecomte de l’Isle qui avait succédé à PPDA derrière les étranges lucarnes , le professeur Larivière, chercheur à l’INSERM déclara en substance : « Ce qui vient de se passer n’est jamais que le produit de deux désirs et d’une lâcheté : le désir de ceux qui informent de faire sensation pour accroître encore leur emprise, le désir de l’opinion à défaut d’être rassurée sur son immortalité d’avoir la certitude que seront désignés ceux qui la menacent, la lâcheté de tous enfin et pas seulement des politiques dès lors que personne, dans cette affaire comme dans d’autres, n’avait eu le courage de dévoiler la supercherie. » Le présentateur opina du chef, remercia le chercheur et annonça la sortie du dernier livre du professeur Testard intitulé « L’apocalypse au bout du progrès ».