LA REVOLUTION PARITAIRE

LA REVOLUTION PARITAIRE

 

Il y avait deux ans que les parlementaires avaient, avec plus ou moins d'enthousiasme, inscrit la parité dans la Constitution. L'administration allait donner l'exemple : désormais, l'ENA, l'Ecole polytechnique et tout ce que le pays comporte d'usines à crâne d'œuf s'étaient appliqués à recruter en nombre identique les hommes et les femmes. L'institution militaire et la police s'efforçaient, quant à elles et avec beaucoup de difficultés de se mettre au diapason. On se préparait à modifier la loi électorale : en s'inspirant plus ou moins du système en vigueur en Allemagne , on avait élaboré une sorte de construction qui permettait de concilier parité et système majoritaire : la moitié des députés étaient élus au scrutin uninominal, dans 450 circonscriptions. L'autre moitié était désignée , sur la base de la même représentation politique , par le choix d'un double , de sexe opposé. Cette construction savante était en voie d'être étendue aux autres élections.

Afin de mieux assurer la parité , les entreprises étaient incitées financièrement à embaucher en priorité des chômeuses, à cette époque plus nombreuses que les hommes à chercher un emploi.

Seules les équipes de football, rugby et autres sports à haute propension machiste échappaient encore à la règle commune.

Les choses allaient bon train : sur les 4,5 millions de chômeurs que comptait le pays , près de 49% étaient désormais des hommes. En revanche , chez les SDF , la proportion de femmes demeurait faible. Interrogée sur ce point , la secrétaire d'Etat à l'emploi , Adeline Dupoix- Bourgnol, déclara qu'un tel fait ne constituait pas en soi une atteinte au principe de parité car il s'agissait en fait d'un choix de comportement comme l'était le fait pour les hommes de boire plus que ne le font les femmes. Cette déclaration provoqua un tollé chez les associations caritatives et de soutien aux sans abri. Le gouvernement fut interpellé tandis que plusieurs milliers de manifestants demandaient la démission de celle par qui le scandale était arrivé. Adeline Dupoix-Bourgnol, tout en dénonçant le complot machiste dont elle était l'objet, dut faire machine arrière.

Les crânes d'œuf se mirent à l'ouvrage. Comme il eût été impensable d'augmenter le nombre de SDF femmes, la seule solution qui s'imposait était de diminuer celui des hommes et elle était simple. Il suffisait de réquisitionner des logements vacants, ce qui fut fait. Dans ce cas, c'est toujours le Préfet que l'on charge de cette besogne . Cela permet de donner un semblant d'utilité à cette fonction où l'on a beaucoup défroqué après la décentralisation et où les vocations se font de plus en plus rares. Cela occupe pendant quelques semaines le malheureux attaché de préfecture qui passait par là et bien sûr le colonel de gendarmerie , le directeur départemental des polices urbaines et celui des renseignements généraux car il faut prévenir les possibles troubles à l'ordre public. Au bout de quelques semaines, le Préfet peut annoncer qu'il a trouvé dix huit logements vacants ce qui permet de ramener le nombre de SDF hommes à 5I.4 % de l'ensemble : faut pas en faire trop quand même !!!

Dans le même temps , on expliqua à l'opinion, expertise médicale à l'appui, qu'il était du devoir de l'Etat de veiller à la santé des citoyens , surtout les plus démunis .Le professeur Cageot prit même sa plus belle plume pour expliquer qu'il convenait d'imposer aux SDF l'obligation de se loger. Quelques arrêtés municipaux et préfectoraux firent le reste. En deux mois, l'objectif était atteint : Adeline Dupoix Bourgnol pouvait affirmer triomphante que désormais, les femmes étaient aussi atteintes par le mal que les hommes. Pour faire bonne mesure et assurer la cohérence politique de cette remarquable opération avec la philosophie générale du gouvernement, on finança la dépense par une taxe spéciale sur les permis de chasse et de pêche , au motif que ces corporation étant majoritairement composées de mâles, il leur revenait d'apporter leur écot à la juste lutte pour la parité .


On était à la fin de l'été. Le temps des vacances était déjà un souvenir et l'air avait un parfum de cette lassitude qui saisit les regards et les corps quand il faut retourner au turbin. Mais la période estivale n'avait pas été celle du farniente pour tout le monde. Le Nouvel Observateur publiait , dans son édition du 8 septembre un manifeste, signé par 75 femmes et autant d'hommes . Y figuraient Arlequine Dupoix Lacombe, soeur de la secrétaire d'Etat à la santé et militante en vue de l'opposition, Petronelle Lamotte-Dufour , réalisatrice du film « le mâle blessé » qui avait reçu la palme d'or de « Féminitude » le tout nouveau festival créé par Paul Kurz, un ministre de la culture de la fin du 20 eme siècle. On notait aussi la signature de Hildelune Kramer, nouvelle responsable du syndicat de la magistrature, de Mélanine Delamotte -Grampoix, nouvelle coqueluche de la haute couture parisienne, de Citronelle Saint-Vedrines, cosmonaute et de Samuella Ragourdin, première femme évêque de France. Les hommes n'étaient pas en reste et outre le professeur Testard , le cinéaste Arthur Brikenstein et l'acteur Amato di Porgio, on relevait la présence de Salim Ben Khaloum , président de l'association pour la parité des femmes musulmanes , du groupe de rock Sadmacho et du jeune et nouveau maire de Toulouse : Mari Crissanto-Perlaz.


La pétition avait la forme d'un texte d'environ une page et demi. Les auteurs se félicitaient en premier lieu des avancées considérables qu'avait permis la parité mais c'était pour aussitôt pointer le caractère incomplet du résultat. S'il y avait aujourd'hui autant d'énarquesses que d'énarques , de polytechniciennes que de polytechniciens , de mairesses que de maires, de ministres que de ministres, si l'on avait presque autant de femmes que d'hommes chez les PDG, les chirurgiens, les chercheurs scientifiques et les généraux, on pouvait relever qu'il n'en allait pas de même dans le domaine de la culture . Pour les créations culturelles récentes, les productions féminines , notamment littéraires faisaient plus que jeu égal avec celles des hommes en raison, en particulier des campagnes d'affirmative action menées conjointement par le ministère de la culture et celui de la parité. Outre Féminitude , festival cinématographique destiné à récompenser la meilleure réalisatrice, un grand nombre d'initiatives avaient été prises pour valoriser les créations féminines dans le domaine de la peinture, de la musique et même de la cuisine. Les affirmative actions étaient décidées sur le fondement des analyses réalisées par l'observatoire de la parité. Quand celui-ci relevait que dans un secteur déterminé , la représentation des femmes ou de la création féminine souffrait d'un retard, il était possible de mettre en œuvre des actions pour corriger le déficit constaté. Ainsi, ,avait été créé un fond d'incitation des femmes à l'exercice de la boxe malgré les réticences d'une partie de l'opinion. La décision avait été finalement acquise , la représentante d'une association féminine ayant fait valoir que si ce sport était marqué par le machisme , il n'en constituait pas moins un moyen d'autodéfense pour les femmes.


En fait, ce qui préoccupait le plus les signataires de l'appel concernait le passé . Il y avait Jean Sebastien Bach , Wolfgang Amadeus Mozart ou encore Gustav Mahler mais quid des femmes. Il y avait Leonard de Vinci, Gainsborough , Matisse ou Dali mais. La situation était moins catastrophique en littérature encore que Mme de Sévigné , Colette, Simone de Beauvoir ou Margueritte Duras se sentaient bien seules , surtout qu'on était plus tout à fait sûr que la dernière ait vraiment écrit grand chose. Quant à Margueritte Yourcenar on cherchait qui avait pu la lire A n'en pas douter, la domination masculine ne pouvait ainsi manquer d'être perpétrée au travers de l'institution scolaire , les enfants et adolescents finissant par être persuadés que les créateurs ne pouvaient être que des hommes.

Sans doute , un ouvrage très remarqué publié deux ans plus tôt soutenait la thèse selon laquelle les œuvres de Jean Sébastien Bach auraient été écrites par Maria Magdalena . Hermione Benjaouid - Despres et Martin Sigmund Belzer-Collard , coprésidents de l'association « Parité-maintenant » avaient à la suite de la parution du livre écrit un article dans le Monde dans lequel, ils proposaient que pendant une période de vingt années, la diffusion ou l'exposition par quelque moyen que ce soit d'œuvres passées soient soumise à des quotas . Cette période était selon eux nécessaire pour faire émerger une abondante production artistique féminine mais aussi pour exhumer des œuvres ignorées.. C'est ainsi que l'association Olympe de Gouges avait reçu une subvention de 2 milliards pour rechercher les œuvres féminines oubliées. D'ailleurs l'année suivante avait été consacrée à la célébration de la naissance de Dorothée von Schlimpfenburg, qui avait composé au 18eme siècle 42 sonates tombées dans l'oubli.

Le gouvernement avait envisagé un moment la mise en oeuvre de quota mais en avait été dissuadé par un manifeste signé par deux cent quarante quatre femmes artistes.

C'est bien ce recul que déploraient les signataires du manifeste. Ils réclamaient que l'on aille plus vite plus loin dans la voie d'une réelle parité, soulignant les risques de débordements extrémistes si rien n'était fait. Le ministre de la Justice dut à nouveau faire appel à ses crânes d'oeuf.

La solution était pourtant évidente mais on se félicita de ce que la République ait créé une école dont les produits avaient précisément pour fonction de faire accoucher des idées. Comme le but était d'inscrire la parité dans les esprits , il convenait donc, selon la méthode rodée du politiquement correct, de faire disparaître ce qui pouvait permettre d'identifier le genre . Sans doute aurait on pu écrire Léonarde Vinci et Michelle Ange, Rafaelle ou encore Wolfgangue Mozarte, mais l'exercice avait ses limites. Il fallait cependant enrober la chose de manière acceptable pour éviter toute accusation de néo-jdanovisme :On décréta donc que ces auteurs faisant partie du patrimoine commun de l'humanité ils ne pouvaient appartenir qu'au genre neutre . Celui ci n'existant pas en français , contrairement à ce qui se passe pour nos amis allemands qui pourraient dire « Das Bach »,il convenait donc de supprimer tout identifiant et donc le prénom. Désormais, sur les chaînes de service public, dans les manuels scolaires et dans tous les discours officiels on n'utiliserait plus que le nom.

Au sein de ce remarquable aréopage , quelqu'un demanda si cette règle devait être étendue aux auteurs d'origine étrangère dont le prénom n'est pas identifiable : les chinois par exemple. Après quelques minutes d'hésitation, il fut proposé de créer un groupe de travail pour trancher cette épineuse question. Un autre souleva le problème de la compatibilité de la mesure envisagée avec le respect des règles de la grammaire : Devait on dire Mozart est arrivé ou Mozarte est venue. Il lui fut vertement répondu qu'il n'avait rien compris à l'exercice : puisque ces noms étaient désormais neutres et que le neutre n'avait pas été prévu par la langue française, il pouvait être précisément rendu par l'indifférenciation. On pourrait accorder ces noms indifféremment au masculin et au féminin et c'était précisément cette opportunité qui permettrait plus facilement de brouiller les esprits et donc d'atteindre plus rapidement encore l'objectif souhaité.

Ainsi fut fait :Le futur brillait déjà d'un avenir radieux, malgré la progression continue du taux de chômage et le déficit croissant des comptes sociaux.

Vers le 15 août, la ministre de l'économie , Aromate Lafont-Courtaine et son collègue ministre des affaires sociales Pierre- Axel- Montembourg durent annoncer une pénible nouvelle. Le montant des retraites serait abaissé de 10 % en dix ans à raison d'un pour cent chaque année. Dans le même temps l'âge de la retraite serait retardé de cinq années à raison d'un an supplémentaire tous les deux ans pendant dix ans.

Dès le mois de septembre, le collectif des retraités qui avait été créé l'année précédente lorsque le gouvernement avait déjà procédé à une première tentative appelait à la mobilisation. Son responsable, Gérard Casanova recevait l'appui des syndicats qui avaient pourtant vu d'un mauvais oeil la création de cette structure. Des manifestations monstres eurent lieu à Paris et dans les différentes villes de province . Puis, n'obtenant pas satisfaction, les protestataires bloquèrent les transports collectifs à Paris, mais aussi à Lyon, Marseille , Nantes , Nice...

Le pays s'enfonçait dans le chaos . Des réunions organisées à Matignon se soldèrent par un échec. Les parlementaires de la majorité, qui devaient entériner la mesure, faisaient grise mine. Ils le firent plus encore lorsque Casanova menaça d'appeler à la non-réélection de ceux qui voteraient le projet du gouvernement.

Tandis que Jean Marc Sylvestre, chroniqueur sur France -Inter depuis plus de 40 ans fustigeait le conservatisme de ceux qui pour avoir refusé l'évidente nécessité des fonds de pension, il se trouvait de nombreuses voix pour dénoncer le manque de dialogue du gouvernement mais aussi, pêle-mêle la logique libérale qui pesait sur les salaires, la croissance des profits qui faisait que les riches étaient toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres .

Petit à petit l'atmosphère allait s'empuantir. Un groupe d'étudiants issus de sciences po. et des plus grandes écoles de commerce publia dans le Monde un manifeste interpellant Casanova et déplorant que le Parlement fût composé d'individus dont la moyenne d'âge dépassait les cinquante ans. Selon les pétitionnaires, on ne pouvait s'étonner que les parlementaires accordent des avantages aux vieux et ce, au détriment des jeunes qui étaient sous -représentés. Une manifestation de la droite et de l'extrême droite rassembla cinquante mille personnes qui fustigèrent la politique gouvernementale et attribuèrent ce qui se passait à l'absence de la politique familiale de la gauche qui , en n'incitant pas à la natalité, n'avait pas assuré le renouvellement des générations. Des slogans fusèrent contre les homosexuels et un député conservateur, dans un discours enflammé demanda qu'ils soient privés de retraite puisque , de par leur comportement, ils n'avaient pas donné naissance à ceux qui devaient aujourd'hui les payer.

Les prochaines élections étaient dans deux ans et les parlementaires de la majorité sombraient dans le pessimisme. Pour autant, le directeur de la Banque centrale européenne avait prévenu le gouvernement français qu'il n'était plus question d'accepter de nouveaux déficits. C'est alors que Montembourg proposa un compromis : les mesures envisagées étaient suspendues mais en échange, la loi électorale serait modifiée pour permettre une représentation de l'électorat qui soit effectivement représentative de l'ensemble des tranches d'âge. En clair, on mettait en place des quotas. Le gouvernement espérait ainsi pouvoir, à la faveur de l'élection suivante, obtenir une assemblée dans laquelle les hommes et les femmes en âge d'activité seraient largement majoritaires et faire avaler la potion sans risquer le lynchage électoral..

Paul Kurz et quelques parlementaires firent observer au Premier ministre que cette réforme risquait de priver la représentation nationale de femmes et d'hommes politiques qui bien qu'âgés étaient tout à fait irremplaçables. Lui même , qui avait été un ministre de la culture remarqué aurait considéré comme une grande injustice le fait d'être mis en l'écart. Pour ne pas peiner Paul Kurz , on proposa donc d'augmenter de 50% le nombre des députés. Mais la suite allait démontrer que l'on aurait pas besoin de recourir à cette solution impopulaire et toujours pourvoyeuse d'anti-parlementarisme

Le projet souleva un flot de critiques de la part des juristes qui dénoncèrent la nouvelle mise à mort de la République. A ceux là , on rétorqua, qu'il étaient particulièrement mal venu de refuser aux jeunes une représentation équitable ; ces mêmes jeunes qui plus que les autres étaient touchés par le chômage. D'ailleurs , de même que dix ans plus tôt Gisèle Halimi avait brillamment justifié la parité des sexes en expliquant qu'il ne pourrait y avoir d'hommes s'il n'y avait pas de femmes, Adeline Dupoix-Bourgnol prit sa plus belle plume pour expliquer dans Libération que s'il n'y avait pas de jeunes , il ne pourrait y avoir de vieux alors que l'inverse n'était pas vrai. Tous les observateurs saluèrent la remarquable pertinence de l'argument.

Il restait à mettre en place un système électoral qui permette d'intégrer cette nouvelle donne tout en conservant au système son caractère majoritaire. La encore les têtes pensantes du ministère de l'intérieur firent merveille. Il suffisait de reprendre le principe du double qui avait été mis en place pour assurer une représentation paritaire hommes femmes. La ministre de l'intérieur, Alienor Cerval - Broutier en expliqua le principe au journal télévisé de la première chaîne :

« Supposons que dans telle circonscription,le député élu soit André Dupont , 55 ans . Il reviendra alors à André Dupont, en accord avec son parti politique d'appartenance s'il est affilié à un parti, de son propre chef s'il ne l'est pas, de désigner une député . Sachant que la moyenne d'âge des électeurs est, d'après nos études de 36 ans, il conviendra que le total de leurs âges soit égal à 72 ans. La députée issue de l'application du principe de parité devra donc idéalement avoir 22ans » et Alienor Cerval Broutier continua :

« Evidemment, j'imagine que vous allez me demander ce qui se passerait si André Dupont, au lieu d'avoir 55 ans en avait 70. Tout le monde aura compris que l'on ne peut désigner une députée de deux ans. Dans ce cas André Dupont pourra choisir une consoeur de 21 ans et il y aura un « crédit » de 19 ans au profit des jeunes.

Mais et c'est là que nous introduisons un élément de souplesse dans le dispositif. On pourrait supposer qu'André Dupont ne trouve pas de femme ayant 21 ans ou qu'il lui préfère une femme de 28 ans . Dans ce cas, le crédit n'est plus de 19 mais de 26 ans. »

-« et que ferez vous du crédit ? » demanda le présentateur .

J'y viens. Supposons qu'à l'issue de la désignation des députés paritaires, il y ait un crédit de 48 ans provenant de ce que les députés désignés ne sont pas assez âgés. On pourra donc alors procéder à la désignation de députés supplémentaires plus jeunes jusqu'à épuisement des quarante huit ans de crédit. Par exemple et pour simplifier on pourra désigner 2 députés supplémentaires de 24 ans chacun et chacune. Ainsi , une fois ce processus mis en oeuvre, on aura une assemblée dont la moyenne d'âge sera de 36ans.J'ajouterai pour terminer que cette désignation sera faite par l'assemblée nationale à la proportionnelle, chaque parti recevant des députés supplémentaires en fonction de son nombre d'élus »

-Mais, ne craignez vous pas, demanda le présentateur que l'on vous accuse de mettre en danger les règles traditionnelles du fonctionnement d'une démocratie.

« Pas du tout rétorqua Aliénor Cerval Broutier, la souveraineté appartient toujours au peuple qui désigne ses représentants. Mais le système permet une représentation plus équitable de la diversité de la nation et des différences. D'ailleurs, nous projetons de réviser la constitution pour rebaptiser l'assemblée nationale en Chambre représentative du peuple. »


Paul Kurz et ses amis politiques se félicitèrent de l'ingéniosité d'un tel système qui mettait,selon les propres termes de l'ancien ministre de la Culture , la France à l'avant garde de la modernité. On avait ainsi pu mieux représenter les français sans recourir à un bouleversement politique et emporté par son élan , il proposa même que soit reconnue , comme il y avait eu la domotique ou la bureautique l'existence d'une science démocratique dont l'objet était précisément de dégager les règles permettant une amélioration du fonctionnement de la démocratie. Dans la foulée , le Parlement vota donc la loi Kurz qui prévoyait entre autre la création d'un haut conseil de la démocratique , dont l'ancien ministre fut d'ailleurs nommé président.


A l'occasion des débats parlementaires, l'opposition attira l'attention sur l'existence d'un possible effet pervers. Le système conçu risquait en effet de conduire à une multiplication du nombre de députés désignés. Il suffisait en effet de choisir des individus pas trop jeunes pour que le crédit constitué soit important . Pour atteindre la moyenne d'âge requise, il faudrait alors procéder à la nomination d'un nombre très important de députés jeunes. Ce n'était pas tant l'espace restreint du Palais-Bourbon qui pourrait poser problème que le risque d'une dérive dont on mesurait difficilement les limites. Un amendement d'un député de la majorité permit de sortir de l'impasse. Le nombre de députés jeunes désignés à partir du crédit d'âge était plafonné à 50 et les partis devaient s'efforcer d'entrer dans l'épure lors du processus de désignation sauf à perdre des mandats.

Dès l'adoption de la loi Cerval, fleurirent un certain nombre d'articles de presse réclamant que ce principe particulièrement remarquable fut étendu à d'autres catégories. Ainsi, le professeur Testard et ses amis co-signèrent un article dans le Monde, dans lequel ils réclamaient une représentation pour les chômeurs et pour les étrangers. Interrogé le soir même lors du journal de 20 heures, il justifiait ainsi sa position.

« Nous sommes actuellement dans une situation comparable à la fois à celle de 1789 et de 1848. Les étrangers sont le tiers état des temps modernes. Ils travaillent pour payer les pensions de nos retraités alors qu'eux mêmes comptent peu de retraités. Quant aux chômeurs et aux SDF ils constituent le prolétariat des temps modernes, ceux-la même qui étaient écartés par le suffrage censitaire. Comment voulez vous qu'une assemblée dominée par des privilégiés soit à l'écoute de ceux qui souffrent ? Il n'y d'autre solution que d'offrir à ces gens une représentation propre qui leur permette de s'opposer à ce que la gestion des affaires se fasse contre eux. »

Quelques jours plus tard, c'était un collectif d'homosexuels qui se targuait de produire 200 000 pétitions réclamant une représentation propre. Elle se justifiait selon ses auteurs par le fait que la représentation nationale étant majoritairement composée d'hétérosexuels, leurs droits légitimes ne pouvaient être pris en compte. Surtout, une « affirmative action « était nécessaire pour asseoir définitivement la légitimité de cette catégorie. Alibert Duclos-Lafarge, président de l'association « Gay debouts » tenta bien d'allumer un contre-feu en rappelant que depuis l'époque où André Labarrère avait été le seul député affichant son homosexualité, les choses avaient bien changé puisqu'au moins quinze députés (douze hommes et trois femmes )étaient dans ce cas. Il ajoutait que le parti écologiste avait déjà pris l'initiative d'assurer une représentation minimale aux homosexuels en application de son programme sur la préservation de la bio diversité de l'espèce humaine. Surtout, il mettait en garde la communauté homosexuelle sur les risques d'une contagion de l'idée de représentation catégorielle , dans la mesure où ils étaient déjà fortement représentés dans les professions les plus attractives .

Il était cependant bien tard car vinrent à la pelle des demandes des agriculteurs qui s'estimaient lésés , au regard de leur moyenne d'âge élevée, par les dispositions de la loi Cerval, et qui surtout appuyaient leurs demandes sur le rôle fondamental que jouait l'agriculture dans la vie et la culture des hommes. Il fallait impérativement que cette catégorie qui avait nourri l'humanité fut représentée et même sur-représentée puisqu'après tout, elle représentait la Nature qui n'avait pas le droit de vote. Cet argument fit grand effet et l'un des conseillers les plus en vue du Premier Ministre, Martin Crémieux -Sauturon, salua cette idée dans un long article publié dans le Monde et dans lequel il écrivait notamment :

« L'une des faiblesses du système démocratique , celui là même qui est aujourd'hui en crise est qu'il repose sur des représentations qui ont été forgées il y a maintenant plus de deux siècles. Or, on ne s'est pas rendu compte des profondes mutations qu'ont connu nos sociétés. Le maintien d'un développement durable passe par la prise en compte d'acteurs qui ont été jusqu'ici écartés de la représentation démocratique. La Nature est l'un de ceux-la . Personne ne contestera qu'elle aurait été moins mutilée si elle avait eu le droit de vote. Il est temps, pour parfaire l'oeuvre de l'humanisme d'admettre que la Nature a des droits. Et faut il rappeler aux esprits chagrins et aux tenants du conservatisme qu'il a fallu de durs combats pour que le suffrage devienne vraiment universel. C'est cette tendance qu'il s'agit aujourd'hui de parachever.... Bien sûr, les mêmes esprits argueront de ce que l'on ne peut donner un droit de vote aux animaux puisqu'ils ne pourraient l'utiliser. Et bien, la solution consiste dès lors à faire assurer la représentation de la vie non humaine par des individus, des associations ou des groupes représentant effectivement les intérêts de la nature. » Et il ajoutait :

« Cette proposition a un caractère révolutionnaire. Pour autant, elle ne fait que reprendre en les améliorant certaines pratiques du passé. Ainsi, dans la monarchie , le roi -enfant était Roi mais représenté par le Régent. Qu'est ce qui s'opposerait à ce que la citoyenneté soit accordée à la Nature même si ce sont les Hommes qui l'exercent en son nom ? »

Dans le sillage , on vit le président de l'association nationale des propriétaires de chiens Pierre -René de Salivert-Grandlieu demander une représentation propre car l'intérêt de ces animaux n'était pas pris en compte dans les différentes instances décisionnelles .Il s'ensuivit une vive polémique : Nicky Ferron- Oblast , numéro 3 du parti écologiste fit remarquer que les chiens et les chats étant des créatures produites par l'Homme, il n'y avait nullement lieu de leur accorder une représentation spéciale.

Le gouvernement était, selon l'expression couramment utilisée, dans la seringue. Un groupe de travail fut constitué. Présidé par un conseiller d'Etat., il rendit six mois plus tard le résultat de ses ratiocinations.

Celles-ci allaient dans le sens d'une révision de la constitution permettant effectivement une meilleure représentation d'un certain nombre de groupes dont les intérêts légitimes faisaient qu'ils ne pouvaient être pris en compte dans le cadre démocratique classique. Le rapport rappellait d'ailleurs la génèse historique du problème qui se posait : la reconnaissance du peuple corse, puis la mise en place d'un statut de l'identité musulmane qui avait notamment consacré l'octroi d'une demi- journée de temps libre à tous les travailleurs de cette confession afin qu'ils puissent se consacrer à la prière, enfin plus récemment la modification de la constitution pour y introduire la reconnaissance par la République des droits des minorités.

Le rapport proposait donc qu'une commission étudie la possibilité d'introduire la représentation des intérets de certains groupes. Il proposait aussi la création d'un conseil national de la représentation, composé de sages , et qui aurait pour fonction de dire quelle catégorie devait être représentée, un peu comme quelques décennies auparavant, le conseil supérieur de l'audiovisuel distribuait les fréquences herziennes.

Le conseil fut créé et mis en place prestement mais il mit rapidement en évidence les difficultés : comment trouver pour tel parti politique dans la première circonscription du Cantal un député « double » qui fût agriculteur, non chasseur, de sexe féminin, agé de 37 ans et homosexuel.

C'est alors que jaillit l'éclair. Martin Crémieux Sauturon qui était devenu entre temps Délégué général à l'observation et la promotion des minorités prit une nouvelle fois sa plume pour co-signer avec Marjorie Castoriadis -Dufour, ingénieur des mines et nouvelle directrice de l'INSEE un article qui allait être publié dans le Monde et Libération .

« La réflexion a , dans les derniers mois incontestablement progressé au point qu'aujourd'hui, un certain nombre de questions, jugées taboues il y a quelques années sont admises par l'opinion. Le dernier sondage publié par l'Ifop montre que près de 70% des français répondent oui à la question « souhaitez-vous qu'une représentation plurielle se substitue à l'actuelle représentation citoyenne, ?» Il convient donc que les difficultés techniques que nous rencontrons soient considérées comme ce qu'elles sont : un simple obstacle sur un chemin qu'ont choisi d'emprunter les français. ; ... »

et ils ajoutaient :

« En fait l'impasse technique dans laquelle nous sommes nous montre paradoxalement la voie à suivre. Dans cette affaire, les conservatismes de tout poil qui nous accusent de délire politico-constitutionnel seront surpris lorsqu'ils comprendront que nous ne faisons, après tout, que mettre en oeuvre les principes dégagés par Jean Jacques Rousseau il y a plus de deux siècles. De quoi s'agit il en effet ?D'assurer que la représentation nationale soit bien l'expression de la volonté générale.

Jusqu'à présent , les différents régimes démocratiques ont tâtonné dans cette voie. Les résultats sont imparfaits car alors même qu'il est impossible de recourir au référendum permanent dont les citoyens se détourneraient , la démocratie représentative ne garantit en rien que les décisions prises correspondent à la volonté générale. L'impopularité récurrente des gouvernements est là pour nous le rappeler. Sans doute , la parité homme femme, puis l'égale représentation des âges ont permis de mieux s'approcher du Graal qu'est la volonté générale, mais il faut maintenant faire le pas décisif. Il faut remplacer l'actuelle représentation nationale , élue au suffrage universel par un échantillon représentatif des citoyens et désigné par une autorité fonctionnant directement en relation avec les instituts de sondage. «


Après quelques longs paragraphes sur le fonctionnement technique du système , les auteurs en arrivaient à l'essentiel de leur argumentation.

« En fait ce qui est proposé aux français constitue indéniablement un renforcement de la démocratie. D'une part la représentation nationale est ,sauf erreur statistique toujours possible mais d'effet proche d'epsilon, véritablement représentative de la diversité des citoyens. D'autre part le système garantit que les décisions prises par cette assemblée seront effectivement conformes à la volonté générale. «


L'article embarrassa fortement la classe politique. Paul Kurz , interrogé par Le Nouvel Observateur salua le génie de l'initiative , après avoir rappelé qu'il avait été à l'initiative de la création du Haut conseil de la Démocratique . Il fit cependant observer que pour rassurer l'opinion qui pourrait être inquiète de voir disparaître le mode traditionnel de désignation des dirigeants ,il serait judicieux d'adjoindre à ce nouvel organe délibérant une seconde chambre, qui remplacerait le Sénat et aurait pour charge de conseiller les nouveaux députés,dont il y avait de fortes chances qu'ils soient inexpérimentés, en raison même de leur mode de désignation. Ces sénateurs pourraient être désignés par le Président de la République et choisis de préférence parmi les hommes et les femmes qui avaient servi la République.

Adeline Dupoix -Bourgnol , interviewée par TF1 fit part de son scepticisme : la politique était un métier et, malgré tous les garde-fous , le nouveau Parlement pourrait être amené à prendre des mesures inopportunes voire dangereuses. Surtout, c'était tout l'équilibre institutionnel qui était, selon ses propres termes soumis à l'incertitude.

Pour autant, on sentait bien que face à des sondages de popularité calamiteux, tous ces gens la avaient le choix entre un naufrage politique aux prochaines élections et un sabordage volontaire du bateau qui laisserait bien à certains la possibilité de trouver un radeau provisoire .La constitution fut donc modifiée . L'Assemblée Nationale était remplacée par le Conseil représentatif des citoyens et de l'intéret général tandis que le Sénat retrouvait sa dénomination passée de Conseil des Anciens.

Après quelques cafouillages liés à la mise en place de l'institution (notamment autour de la légalité de la constitution de groupes), celle-ci commença à voter les premières lois. C'est alors qu'éclata une vive polémique. Le CRECIG ayant voté une loi, au départ d'apparence anodine , sur l'obligation faite à tout citoyen de mettre ses ordures ménagères dans des sacs spéciaux (comme cela se faisait depuis longtemps en Suisse) un quotidien révéla le lendemain que selon un sondage , 67% des français étaient opposés à cette mesure. Le commentateur se fendait en même temps d'un article mettant en cause la représentativité du Conseil. La responsabilité de l'INSEE était sinon engagée ;du moins directement mise en cause. Marjorie Castoriadis Dufour, interviewée le jour même , assura chacun de la représentativité du Conseil. L'INSEE était si attentive qu'elle avait , pas plus tard que la semaine précédente, opéré une correction pour tenir compte de la baisse du nombre des protestants et des chasseurs dans le pays. On pensa bien à faire trancher la question par le Conseil Constitutionnel, mais il avait été supprimé au motif que, par définition, le peuple étant souverain et le nouveau Conseil représentant le peuple, il ne pouvait prendre de décisions qui soient contraires à la volonté populaire.

Martin CREMIEUX -SAUTURON , auquel le Monde avait ouvert ses colonnes se déclara surpris par les interrogations du monde politico-médiatique. Cette situation n'avait selon lui rien d'étonnant.

« Un sondage n'a rien à voir avec une élection ou avec un vote : l'expérience du passé l'a bien montré. Dès lors que la représentation des citoyens est scientifiquement assurée , c'est la décision de l'institution qui doit prévaloir sur l'opinion populaire dont on ne sait d'ailleurs si la question lui a été bien posée et si elle a été correctement informée. Cette question n'a même pas à être tranchée par on ne sait trop quel contrôle de constitutionnalité. Qu'y aurait-il à contrôler d'ailleurs , puisque le décompte des votes a été correct et que le Conseil s'est prononcé par 533 voix contre 456 et 21 abstentions pour l'adoption de cette mesure. En revanche, je pense que pour la clarté , il serait bon que dans l'avenir, on interdise la publication de sondages d'opinion lorsqu'une affaire est en discussion ou vient d'être discutée par le Conseil. Une telle mesure n'est en rien attentatoire aux libertés mais résulte d'une simple démarche logique : On ne peut poser en même temps deux fois la même question aux citoyens.... »

L'argument ne convainc pas tout le monde et au premier chef le quotidien du même nom pourtant habitué à légitimer toutes les hardiesses. Le quotidien posait clairement la question de la signification profonde de la démocratie.

Adrien de Maupas, député du Morbihan proposa que la question posée fut soumise à référendum afin que fût connue la véritable vox populi. Le Premier Ministre monta à la tribune pour s'opposer à une telle solution qui déstabiliserait nos institutions en même temps qu'elle ne prouverait finalement rien : Le Conseil représentatif des citoyens pouvait très bien , à un moment donné avoir voté un texte dont rien ne démontre qu'il n'était pas représentatif de la volonté populaire . Quelques mois plus tard celle-ci pouvait avoir changé . Il était donc préférable de reposer la question , à nouveau au Conseil, ce que la Constitution amendée permettait de faire.

D'une courte tête 454 voix pour, 451 contre , la Conseil confirma son premier choix. Mais 105 de ses membres s'étaient abstenus.


Les élections municipales qui suivirent furent un désastre pour le gouvernement qui perdit 80% des villes de plus de 50 000 habitants qu'il contrôlait. La crise était profonde.

La modification constitutionnelle, en même temps qu'elle avait créé le Conseil représentatif des citoyens avait conservé un exécutif amoindri au sein duquel le Président retrouvait le rôle qui avait été le sien sous la troisième République. On avait quand même maintenu le principe d'une élection au suffrage universel et, de justesse , un amendement d'un député à la loi constitutionnelle, avait permis d'équilibrer la perte du pouvoir de dissoudre l'assemblée ( qui n'avait plus aucun sens) par la possibilité de faire appel au référendum lorsqu'il jugeait que les institutions étaient bloquées. C'est ce qu'il fit après avoir accepté la démission du Premier Ministre.

Le 22 septembre, la participation atteignit un niveau inégalé : 87 % des électeurs s'étaient rendus aux urnes. Par un score digne des meilleures périodes du socialisme ( 92,8%) les électeurs se prononçaient pour le rétablissement du système antérieur et supprimaient les quotas de toute sorte.

Aux élections législatives qui suivirent, l'opposition engrangea 80% des sièges de la nouvelle assemblée.

Paul Kurz , tout en rappelant les réserves qu'il avait formulées, se félicita de ce qu'il appelait un ordre plus conforme aux principes de base de la démocratique et termina ainsi : « Finalement, que démontre cette affaire, sinon que les citoyens font confiance à la classe politique ! »