LE ROYAUME D EDAM

Le Royaume d'EDAM

 


Shéhérazade commença ainsi cette nouvelle histoire au Sultan :


« Dans le fin fond de son empire, le Grand Moghol avait donné l'ordre que fût constitué un royaume qui serait celui des souris vertes. Ce royaume, il lui avait donné un nom : c'était le royaume d'Edam.

Au Royaume d'Edam, vivaient les souris vertes. Contrairement à ce que dit la chanson elles ne couraient que rarement dans l'herbe. elles vivaient dans un immense fromage que leur avait laissé le Grand Moghol lors de l'une de ses conquêtes. Là elles vaquaient indolentes et insouciantes tout en creusant des milliers de galeries.

La vie au Royaume d'EDAM était paradisiaque car fonctionnant de manière inversée au regard de ce que subissaient, à l'ordinaire, les sujets du Grand Moghol. Les souris vertes étaient_elles fatiguées qu'elles déléguaient à d'autres le soin de faire les trous dans la masse du fromage. Avaient-elles quelque problème ou voulaient elles se régaler d'autre chose qu'elles vendaient quelque mètres cubes de fromage. Lors d'un des nombreux colloques qu'elles organisaient sans relâche, elles s'étaient d'ailleurs interrogées sur l'origine et la destination des richesses et en avaient conclu que c'était le fait de grignoter qui faisait grossir la masse du fromage. Depuis lors elles grignotaient et les brouettes d'Edam quittaient par millier le fromage pour s'en aller vers des destinations qui pour être diverses et variées étaient cependant souvent les mêmes : aux portes du royaume d'Edam attendaient de nombreux clients voire même de »pauvres » qui vivaient de cette sportule des temps modernes. Ce qu'elles ignoraient , c'était qu'un immense pipe line reliait le royaume d'Edam au palais du grand Moghol et que les sujets de ce dernier devaient produire de plus en plus de lait pour satisfaire leur insatiable appétit.

Le Grand Moghol , quelle que fut sa magnanimité était prudent : il craignait quelque révolte et avait chargé un khalife de limiter les agapes . Ce khalife, appelé Dinkie Mouse était un modèle de sobriété et devait inciter le peuple des souris vertes à déployer maints efforts et surtout plus de vertu pour mériter les jaunes pâturages que leur avait promis le seigneur et maître. Il s'employa donc à inciter les souris vertes à produire elles-mêmes au moins une partie du fromage qu'elles consommaient. Certaines s'y employèrent , d'autres firent semblant de le faire tandis que certaines, plus rebelles , comme Ugly Horse, qui contrôlait toutes les communications du Royaume renâclèrent franchement, considérant qu'elles avaient d'autres chats à fouetter, ce qui ne manquait pas de courage et de logique s'agissant de souris.

Puis le Grand Moghol mourut et son successeur dut s'entourer d'autres concubines. L'une d'elle lui conseilla de couper la tête du Khalife ( ce qui fut fait ) puis de le remplacer par un janissaire qui avait fait ses preuves dans les batailles du passé. C'est alors que, renouant avec une pratique établie par l'un de ses ancêtres, le grand Moghol décida de mettre le Royaume des souris sous le commandement des Rats.

Ainsi, fut désigné à la tête du royaume d'Edam un certain Eselmauss . Rapidement il sut s'octroyer les services d'un certain nombre de collaborateurs dont Frankenmauss et Kallimauss.(leurs noms étaient inspirés de Frankenstein et de la déesse Khali) Tous portaient des moustaches bien fournies ce qui était le signe de leur appartenance au clan au pouvoir.

L'une de leur première œuvre fut de trancher la tête de tous ceux qui étaient supposés être inféodés au précédent Khalife et notamment Mikie mouse qui était chargée de recruter ceux qui assureraient la puissance du seigneur.

Ils surent cependant se monter parfois magnanime voire digne d'une sorte de realpolitik avant l'heure en épargnant quelques têtes : ainsi celle du grand Argentier du Royaume. Ils craignaient en effet qu'il eût pu cacher quelque part une partie du trésor impérial et surtout du trésor royal et de n'en rien obtenir, même sous l'effet de la torture. Le grand argentier était pourtant réputé être trouillard, vicieux et carriériste. Il était une sorte de souris un peu hybride, que des langues mal intentionnées ou politiquement incorrectes auraient volontiers désigné comme le produit ou l'output d'une copulation mal contrôlée entre les souris et les rats. Il avait en effet une taille bien supérieure à celle des souris en même temps qu'il empruntait aux rats un faciès plein de suffisance. Cependant, et à la différence des sbires du grand Moghol, il n'avait pas de grande moustache et sa grande taille le mettait à l'abri des tapettes.

Par prudence, le grand argentier avait été recruté à l'étranger et s'appelait Duchamp. De méchantes langues avaient fini, au regard de ses comportements par l'appeler Du Chiant et finalement Dom Chiant. On n'avait jamais su pourquoi il avait été recruté tant sa paresse crasseuse et son absence manifeste de charisme ne le destinaient ni à être un bourreau de travail ni un bourreau des cœurs.

Il s'entourait de deux créatures : l'une était appelée Sœur Souris . Elle avait une propension obsessionnelle à compter les trous dans l'Edam et à décider de la manière sinon de les combler, du moins de les cacher aux regards obscènes. Si l'Eglise avait décidé qu'il était plus facile de passer au travers du châs. d'une aiguille que d'accéder au Paradis, elle devait être perdante dans tous les cas. La seconde était appelée Leporello , vraisemblablement au regard de la reconnaissance qui lui était faite d'être le fidèle serviteur du Grand Argentier. Leporello était affecté d'un don particulier . Il pouvait en effet observer deux endroits à la fois ce qui le rendait redoutable. Il parcourait sans relâche le Royaume d'Edam , comptant les fourchettes et les couteaux, surveillant et mesurant la taille des nouvelles galeries et surtout rapportant à son Maître tous les faits et gestes des souris vertes. Fort heureusement, sa flagornerie envers son maître et sa concupiscence le faisait tant baver que les souris vertes pouvaient ainsi repérer la trace libidineuse de ses passages et donner l'alerte à leurs consœurs.


Eselmauss avait pris rapidement la mesure de ce qu'il convenait de faire. Comme l'avait fait le Tsar Ivan le Terrible , il fallait d'abord anesthésier le pouvoir des Barines, c'est à dire, pour simplifier, l'aristocratie du Royaume d'Edam. Car, le Grand Moghol ayant décidé que les décapitations et les bûchers étaient désormais des procédés barbares susceptibles de nuire à l'image de son Empire, il fallait utiliser des méthodes différentes, ne produisant ni cris ni sang. Eselmauss décida donc que les Barines seraient drogués. Pour ce faire, il les soumit à un régime drastique de réunions en inventant une foultitude de séminaires, de comités, de lieux de réflexion et d'échange ... La tentative pouvait paraître osée ; elle était en fait fort bien adaptée à la réalité du Royaume d'Edam.

En effet, les souris vertes avaient, on l'a vu, une aptitude étonnante à défier les lois de la logique. Ainsi Eselmauss organisait des séminaires d'une semaine, chaque jour étant consacré à la déclinaison d'un thème central comme le montre l'exemple qui suit :

Lundi : « Pour une stratégie édamienne de capitalisation des acquis »

Mardi « Pour une capitalisation de la stratégie édamienne des acquis »

Mercredi « Pour une stratégie des acquis dans la capitalisation de l'Edam »

Jeudi : « Comment édamiser la stratégie de capitalisation des acquis »

Vendredi « L'Edam est à qui ou est il acquis ? vers une stratégie de capitalisation »

Comme le langage Edamien était à peu près aussi erratique que l'était la stratégie de creusement des galeries, les souris vertes étaient particulièrement à leur aise. Car dans ce type d'exercice, il importait peu de savoir comment étaient placés les mots. Pour construire leurs interventions les édamiens recourraient volontiers à l'utilisation de fonctions aléatoires qui étaient la version informatique des cadavres exquis chers aux surréalistes. Il suffisait de mettre des mots dans un sac et la machine faisait le reste.

Pour autant, les barines, rentrant le vendredi soir après avoir été gavés de tant de verbes perdaient le peu de raison que leur avait apprise le royaume d'Edam. Ils se soulageaient en signant tout ce que l'on voulait bien leur présenter.

Ainsi des milliers de tonnes d'Edam quittaient le royaume qui ressembla bientôt à une gourde vide. Eselmauss prit alors la parole et déclara que tout cela augurait du meilleur des mondes. Comme il était peu lettré, il commettait généralement de nombreuses fautes de langage.

« le Grand Moghol, qui est bon, vous a pas donné ce fromage pour que vous le laissez moisir. Ce fromage il fallait donc le manger pour montrer au grand Mogol que parce que vous appréciez ses bontés vous souhaitez qu'il vous en donne plus. Donc en bouffant ou en faisant bouffer montrez au grand Moghol qu'il avait raison de vous faire confiance et qu'il faudrait qu'il en rajoute. Dépensez , dépensez car ce n'est que comme ça que l'on vous donnera »

Ainsi fut dit et ainsi fut fait: Les barines s'en donnèrent à cœur joie et Eselmauss et ses sbires organisèrent des fêtes somptueuses . On fêtait tout ce qui pouvait être fêté : les 10 ans du Royaume d'Edam, la fête du Fromage, la fête des vaches et bien sûr l'anniversaire d'Eselmauss.... Le grand Moghol qui voulait montrer à ses sujets à quel point il pouvait être généreux avec ses sujets les plus loyaux faisait le nécessaire pour que ne se tarit point le précieux fromage. Et tant pis si dans d'autres parties de l'Empire les sujets devaient suer sang et eau pour payer ces agapes !

Tout cela aurait-il une fin ? Le grand argentier du Grand Moghol s'étant avisé de prévenir ce dernier de l'étendue de la gabegie Eselmauss , qui avait des oreilles partout , lui fit savoir qu'il avait suffisamment l'écoute de l'empereur pour convaincre ce dernier de le jeter dans la fosse aux serpents . Le grand argentier fut d'ailleurs mystérieusement retrouvé étouffé quelques jours plus tard. C'est alors que l'on commença à réaliser que les galeries creusées au sein du fromage étaient désormais colonisées par les gigantesques tentacules d'une pieuvre aussi immonde que sans scrupule.


Jules se réveilla en sueur. Puis il se pinça. Non ! il n'avait pas vraiment fait un rêve : le Royaume d'Edam existe bien et il n'est nul besoin d'aller le chercher au fond des temps ou de l'empire du Grand Mogol. La République elle-même a créé un fromage peuplé de souris vertes et gouverné par des rats moustachus que pour la commodité on appellera l'Agence.

L' Agence semble avoir été faite pour inverser le mode de fonctionnement normal des structures telles que nous les connaissons dans les pays développés et industrialisés.

L'essentiel de son activité est consacré à des réunions . Ce qui s'y dit et ce qui en ressort est totalement creux mais cela n'a aucune importance . Jules a pu d'ailleurs y entendre , à la fin d'une réunion, un des cadres de l'établissement poser cette question ahurissante : sur quel sujet pourrait-on organiser des réunions ? Dans une structure normale on se réunit pour décider, au Royaume d'Edam , on décide de se réunir.

On pourrait imaginer que les employés ( plusieurs centaines) se fatiguent de ces incessantes réunions, censées non pas décider, mais aider à la réflexion sur la structure à construire au service d'une stratégie qu'il faudrait quand même déterminer. Non, ils ont subi comme une révolution culturelle , une sorte de myxomatose cervicale qui leur a interdit , à tout jamais, de distinguer l'utile de l'inutile. D'ailleurs, que feraient-ils toute la journée ? Comme dit un responsable du personnel à moitié illettré, à la maison on finit par s'ennuyer


L'argent y est abondant . Bien que paresseux ,peu instruits et dénués de toute utilité sociale les agents y perçoivent des rémunérations qui feraient palir d'envie la plupart des fonctionnaires . Oui, l'agence a décidément tout d'un fromage dont se régalent d'abord ceux, de plus en plus nombreux qui l'habitent. Une entreprise doit produire pour dépenser. L'agence est tellement occupée à dépenser qu'elle n'a manifestement pas le temps de trouver le temps de produire.

Cependant, la vocation normale de l'agence est de financer des actions d'intérêt général en apportant des aides . Elle finance aussi des études qui permettront aux décideurs de décider de manière plus éclairée.

Il n'est généralement pas très difficile de faire financer une étude par l'agence. Ainsi ce quidam qui voulait « solariser » l'agriculture et qui présente une note de quatre pages dans lesquelles figure cette formule délicieuse : « l'idéal serait de trouver une solution mais l'étude permettra sans doute d'en dégager plusieurs « Pour éviter qu'un tel génie soit plus longtemps ignoré on lui octroie cent mille francs. En fait il n'en recevra que cinquante mille à titre d'avance puisqu'il ne rendra jamais rien.

L'agence n'est pas chienne avec ses co-contractants : sans doute les termes des contrats sont-ils rédigés dans toute la rigueur du droit. Mais l'application des peines est plus douce. Faut-il payer le solde d'un contrat que l'on signe un avenant au contrat.... 108 mois après la signature de ce dernier !


Nombreux sont d'ailleurs ceux qui ont quitté l'agence pour fonder leur propre bureau d'étude. L'agence sera leur principal client et les rémunérera grassement . Car à l'Agence, on aime les comptes ronds : une étude c'est au minimum trois cent mille francs ; quatre années de salaire minimum du prolo qui s'est fait licencier la semaine dernière, le tout pour arranger des banalités sur une centaine de feuilles de papier en comptant évidemment les quatre vingt quinze pour cent que représentent les annexes.


Ce jour la Groumot , le tout nouveau responsable de la Coopération reçoit deux représentants d' Elpis., société de conseil que les nouveaux dirigeants de l'Agence ont ramené dans leurs valises . Groumot doit gérer quelques projets de coopération financés par la Commission européenne . Groumot est un gros con. La connerie est à Groumot ce que le bois des tonneaux est au vinaigre balsamique : il s'en nourrit chaque jour que Dieu fait. Groumot veut y voir plus clair dans cette histoire et a demandé à Elpis de l'assister dans la gestion de ces projets. D'ailleurs , Groumot est au fond persuadé que recourir à cette société ne fera que souligner son sérieux et sa compétence. Il dit souvent que son action est guidée par le principe de précaution cher à l'agence. Il faut identifier les obstacles avant d'agir et prendre le temps de la réflexion . Il est vrai que chez Groumot, la réflexion, pour faire son chemin, doit franchir bon nombre de flaques et de nids de poule et qu'elle finit toujours là où elle a commencé, c'est à dire dans le caniveau. Chaque question posée à Groumot entraîne infailliblement pour réponse un « heu » d' une seconde et demie. Il fait insensiblement penser à ces ordinateurs qui quand on les met en route semblent broyer du café pendant une bonne minute avant d'afficher la page de garde. Sauf que sous le crâne de Groumot, il n'y a ni disque dur ni software , même pas la sauce blanche qu ‘est devenu le cerveau de l'oncle de Boris Vian dans la Java des bombes atomiques, mais bien plutôt une sorte de fossile un peu rance de cette soupe primitive dans laquelle naquit ,dit-on, la vie ;

La société a délégué un jeune communicant aux allures de bobo branleur qui est assisté d'une souris dont on devine qu' elle a rejoint la Communication après avoir échoué en Sciences Eco un an après un bac L. Après une brève présentation d'Elpis , accompagnée comme il se doit de diapos Power point portant des schémas dont on sent qu'ils sont inspirés des cadavres exquis , il passe la parole à celle dont on découvre qu'elle est le cerveau de la proposition faite par Elpis. Elle lit la quinzaine de pages qu'elle a distribuées aux participants . Un mélange de pisse d'âne et de menstrues de ribaudes dont voici les principaux extraits.

« Le programme peut être défini comme un ensemble de projets ou d'actions qui concourent à sa finalité «

« La réussite ne peut être obtenue que par un positionnement clair sur les finalités du programme et de son organisation, s'appuyant sur une motivation et une efficacité de l'ensemble des acteurs participants et partenaires »

« Elpis propose quelques axes de réflexion permettant d'approcher un cadrage des lignes de force qu'il nous semble important de redynamiser »

« il faut créer et assurer toutes les passerelles nécessaires pour constituer le maillage des compétences, , la maitrise de la complexité et permettre le maillage de chaque fonction projet en un projet global »

« manager un programme et donc une somme importante de projets ou actions interactifs, c'est avant tout orchestrer l'action collective et individuelle en s'appuyant sur une organisation performante en constante adaptation »

« à l'opposé d'une planification classique bien gouvernée par les méthodes scientifiques, la caractéristique moderne du management de projet est de combiner ce qui est préparé à l'avance et ce qui va être intégré pendant le pilotage.Il y a dans les projets , comme dans la stratégie,du délibéré et de l'émergent. Le pilotage doit s'appuyer sur des outils qui permettent de modéliser les 80% de certitude mais aussi d'intégrer les 20% d'incertitude »

« Plus que l'exactitude des chiffres (connus à postériori) c'est la pertinence des tendances qualitatives, budgétaires ou de délai (système de gestion) qui doit constituer les supports d'anticipation de l'action afin d'atteindre le centre de la cible en restant toujours au plus près de la trajectoire choisie »

il faut « vérifier la cohérence des processus de mise en œuvre en intégrant leurs interface et dynamiser la mise en œuvre des délégations opérationnelles »


Dans Plateforme , Houellebecq décrit une scène dans laquelle un escroc en sociologie vient donner des conseils à une agence de tourisme en difficultés. On vire le crétin qui a quand même coûté cent cinquante mille francs à la boite. Mais Groumot n'est pas Houellebecq et n'a vraisemblablement jamais lu Houellebecq. . Il est au bord de la crise orgasmique, il bande comme un cerf : enfin des gens qui parlent le même langage que lui ! la rencontre des génies ! C'est exactement l'instrument qu'il lui faut . l'élucubration coûte six cent mille francs ? une broutille pour l'Agence !

 

L'Agence needs your money like uncle Sam needs you . Elle dispose de deux budgets: l'un dit de fonctionnement sert à payer les personnels, les voyages, les gommes et les crayons . L'autre , dit d'intervention est normalement destiné à financer ses missions, c'est à dire, en gros, à subventionner des projets. Mais à l'Agence, on n'aime pas avoir les mains dans la farine : on n'est quand même pas employé de l'Agence pour travailler déclare un syndicaliste de FO qui est depuis Coluche et comme chacun sait le syndicat qu'il vous faut. Alors , on fait faire ! Le gestionnaire de tel projet, réalisé avec la Commission européenne est-il incapable de retrouver les pièces justificatives exigées par ladite Commission pour payer - comme les billets d'avion par exemple- que l'on passe un contrat avec une boîte privée qui va se charger d'en retrouver au moins une partie : coût : 140 000 francs !!!! payés bien évidemment sur le second budget dit d'intervention. Si vous êtes d'une nullité abyssale et d'une fainéantise crasse, rejoignez l'Agence : elle vous accueillera d'autant plus facilement que vous ne ferez pas d'ombre à ceux qui y sont déjà !


La droite avait failli envoyer cette monstrueuse pompe à gabegie aux poubelles de l'Histoire . Elle ne l'a pas fait et comme un certain nombre d'autres établissements publics qui vivent des fonds du même nom à l'abri des regards indiscrets, la bête s'est transformée en hydre monstrueuse aux nombreuses protubérances . Plus elle est inefficace et plus elle embauche car dans ce type de structure la faible productivité est évidemment mère de l'emploi.


Le moindre pince-fesse organisé par la Commission européenne à l'autre bout de la planète est l'occasion d'aller y représenter l'Agence. La dernière fois c'était Quito , cette fois ce sera Harare.

Madame la Directrice promotion parité exige - va exposer sa soupe pendant une vingtaine de minutes, ce qui veut dire qu'elle va bafouiller devant des gens qui baillent et s'ennuient en faisant semblant d'écouter l' exposé intellectuellement eremiste sur la stratégie de l'Agence qu'elle a déjà exposé pendant les vingt dernières réunions où on a bien voulu la laisser parler. Pour cette prestation qui est l'occasion à ne pas manquer , elle a besoin de sherpas et c'est une délégation composée de pas moins de huit personnes qui va prendre l'avion.

Une semaine en Afrique australe, aux frais du contribuable : qui a dit que la vie n'était pas belle à l'Agence . Groumot est évidemment du voyage car quand Groumot n'est pas en formation, il est en voyage. D'ailleurs , Madame la Directrice protège Groumot . Ce n'est pas qu'elle se fasse d'illusions devant ses compétences mais, avertie comme il se doit de la rigueur du principe de précaution, elle sait que la découverte d'une vache folle conduit implacablement à l'abattage de l'ensemble du troupeau . Alors chacun est prié de ne rien avoir remarqué.


Ce jour-là, Groumot est descendu à Amiens , futur siège délocalisé de l'Agence qui n'en finit pas de se délocaliser - car enfin qui voudrait aller à Amiens ? Il va rendre visite au Directeur du développement urbain durable puisque la Direction du développement urbain durable a été la première délocalisée ce qui est quand même normal compte-tenu de son objet. Il s'est fait accompagner de Helin, Jugon et Pifard , un trio de choc ! parmi les meilleurs Pieds Nickelés de l'institution !

C'est là, à coup sûr, un bon plan pour organiser une réunion d'au moins trois heures et demie . Helin passe son temps à geindre. C'est une sorte de Calimero vivant . Il passe de longues journées à porter sa croix dans un monde qui se refuse à reconnaître l'immensité de sa contribution. Il peut aussi être redoutable et il faut par dessus tout éviter de lui soumettre le moindre problème à résoudre , voire de solliciter son avis. Il a une capacité à transformer en usine à gaz la chose la plus simple et il peut y passer des heures. Comme si, au fond, le désintérêt prévisible que les autres manifesteront vis à vis du résultat était une preuve supplémentaire de ce qu'ils lui en veulent.

Jugon est un escroc de haute voltige. Avec un accent du sud-est , il vous explique à chaque instant qu'il est « toujoureu charetteu »

Et on le comprend aisément ! le cherche -t-on à trois heures de l'après-midi que la secrétaire répond qu'il n'est pas encore revenu de sa partie de tennis. Son assistante, car les tâches herculéennes qui lui ont été confiées requièrent une assistance corrige le tir : non il a eu un rendez-vous tardif et n'est pas rentré de déjeuner.

Pifard est différent : il a fait au moins dix-huit fois le tour du Monde aux frais de l'Agence et donc du contribuable. Mais Pifard ne rend jamais un rapport et personne ne sait donc ce qu'il fait . Lui demander un rapport serait d'ailleurs peine perdue. Pifard a une capacité à se retenir qui est proprement surhumaine. C'est une sorte de trou noir : rien n'en sort, même pas (et surtout pas) la lumière !

Du côté de la Direction du développement urbain durable , il existe aussi des talents. Ce type de rencontre réunit tous les cadres de la structure plus deux ou trois personnes supposées apporter une contribution technique à l'opération.

Ce genre de réunion a lieu tous les six mois environ. Infailliblement , elle commence par des exposés supposés résumer l'état d'avancement des projets. C'est là que les talents d'Helin et de Pifard se révèlent irremplaçables. L'un et l'autre excellent dans la distillation de l'ennui . Au bout de quelques minutes, les auditeurs potentiels ont décroché : l'un pense à ses vacances prochaines, un autre calcule ses impôts... Mais tant d'inattention ne s'explique pas seulement par le caractère soporifique des propos. Il faut aussi ajouter que nos deux sbires n'ayant strictement rien fait de nouveau, exposent ce qu'ils ont déjà raconté la dernière fois et ce qu'ils raconteront la prochaine fois. Quant à Jugon, il n'a d'autant plus rien fait de nouveau qu'il n'a jamais rien fait ! Mais il n'a pas d'égal pour balancer , avec la plus agile des langues de bois quelques formulations absconses qui achèvent de tuer l'auditoire. Aveuglé par la sciure projettée , ce dernier demande grâce, enfin pas tout à fait car, cette fois, l'anesthésie a partiellement raté.

Cette fois, Hardouin, le Directeur interpelle quand même Pifard. « Fort bien, tu nous a expliqué le problème sur le Brésil , peux-tu nous dire maintenant ce que tu vas faire » Somnolent, Pifard répond « Ce n'est pas ainsi qu'il faut aborder le problème « et il rabache à nouveau ce qu'il a précédemment dit telle une cassette audio que l'on aurait fait défiler en arrière et repartir. Hardouin fait une seconde tentative « mais enfin peux tu nous dire ce que tu comptes faire » Le résultat est le même, il baisse les bras et se rend compte qu'il est midi. On a terminé ? oui ? d'autres problèmes ?

Helin reprend la parole et Groumot ajoute quelques commentaires. L'adjoint d'Hardouin, Plumail se lance dans des explications sans intérêt. Il est une heure. Bon , c'était une bonne réunion , on va aller déjeuner . Pifard veut ajouter autre chose . Une heure et demie, on se lève enfin : Quatre heures et demi de réunion : voilà du travail constructif comme on sait en faire au sein de l'agence.

En fait qui a dit que le développement durable ne créait pas d'emplois ?

Depuis la mort du Khalife, le Royaume d'Edam a vu sa population augmenter de cinquante pour cent . On y travaille moins qu'avant et on y est plus riche. Voilà un défi jeté aux économistes ! Chaque jour qui passe voit l'agence étendre ses métastases et cancériser tout ce qu'elle touche. On peut bien traiter la tumeur qui touche l' Etat mais les planètes dont ils s'est entouré sont autant de lieux où prospère la malignité.