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PEREGRINATIONS

JURIDICO-ADMINISTRATIVES

 


La juridiction administrative est une de ces spécificités que seul peut avoir produite le génie français. Dans d'autres pays, l'Etat et l'Administration sont finalement soumis à la loi commune. Dans le nôtre ce serait impensable. Imaginez un peu que le service public et ses prêtres puissent être obligés de s'asseoir sur le même banc que les chauffards, les pickpokets et les voleurs de poules !

La grandeur de l'Etat exige l'existence d'une juridiction spéciale qui au plus haut niveau est d'ailleurs celle qui conseille le gouvernement. Même avec le talent qu'ont les Français pour se tirer une balle dans le pied, les dits juges ne vont quand même pas cracher dans la soupe et s'en prendre à celui qui récompensera, le moment venu, leur dévouement sous forme de postes et de distinctions prestigieuses . Jules était un peu naïf mais son Président de chambre , un brave homme venu des terres du Nord, là où les blessures de la vie vous ont inculqué le sens du concret, l'a remis sur les rails : apprenez Mr Chevrollier que le juge administratif n'est pas là pour juger de la légalité des actes de l ‘administration mais de la régularité de l'action administrative. Nuance, somme toute importante : le condamné qui attend au pied de la guillotine ne doit avoir aucune illusion sur ses possibilités d'échapper, in fine, au grand rasoir national, mais en revanche, il peut espérer que le juge suspendra pendant dix minutes le bras du bourreau si on ne lui a pas offert une cigarette. L administration peut en gros faire ce qu'elle veut, mais à condition de le faire proprement !

Evidemment, la Cour de Cassation met le désordre dans ce bel édifice. Elargit-elle la responsabilité des cliniques que le Conseil d'Etat résiste, pendant de nombreuses années. Mais peut-on longtemps admettre que les victimes soient plus mal traitées à l'hôpital qu'à la clinique ? Il lui faut céder. Tel Conseiller d'Etat peste contre la Cour Européenne qui périodiquement taille des croupières à la jurisprudence du Conseil. Elle dit n'importe quoi !

Oui, sauf que là encore il faut passer sous ses Fourches Caudines quand décision après décision , elle explique que la Raison d'Etat n'est pas compatible avec les engagements européens de la France.

C'est pourtant presque dommage de devoir se résoudre à voir disparaître une si belle institution. Car il y a du génie chez ces magistrats dont la stricte obéissance aux oukhases du Conseil n'empêche pas de remarquables fantaisies

 

Il s'agissait d'une modeste affaire de remembrement. Par deux requêtes distinctes, Mr et Mme Jean Pierre Besnard d'une part, Mr et Mme Jean Charles Besnard d'autre part, en l'occurrence le père et le fils demandaient l'annulation de la même décision: celle portant constitution du bureau de l'association foncière de la commune de Montreuil -Poulay en date du 5 février 1990.

La chose serait somme toute banale si les deux affaires n'avaient été jugées le même jour, sur instruction du même rapporteur, après conclusions du même commissaire de gouvernement et si elles ne portaient préalablement sur la question de savoir si la modeste décision incriminée avait été affichée dans les lieux réservés à cet effet à la toute aussi modeste mairie de la commune de Montreuil -Poulay.

A cette question shakespearienne " To be or not to be" le tribunal a donné la réponse "To bee and not to bee": une même décision peut selon les cas avoir incontestablement été affichée: le jugement signifie d'ailleurs à Mr Jean Charles Besnard qu'il est constant que la décision attaquée a fait l'objet d'une publication et rejette prestement ses prétentions pour forclusion. Mais dans la requête suivante, le tribunal constate qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision attaquée ait fait l'objet d'une publication et après quelques considérants supplémentaires condamne l'association foncière de remembrement à verser la somme de trois mille cinq cent francs au titre des frais irrépétibles. Ainsi, la même association, lavée de tout reproche dans un cas se trouve dans l'autre condamnée pour avoir à la fois publié et omis de publier la même décision.


Il serait bon à ce stade d'écarter les critiques qui ne manqueront pas d'être avancées par certains esprits:


En premier lieu, on fera sans doute observer que face à une question aussi shakespearienne, il était possible d'opposer les règles du théâtre classique: tout s'y prêtait en effet et même au-de la :

l'unité de lieu: le panneau d'affichage de la mairie de Montreuil Poulay

l'unité de temps : c'était la décision du 5 février 1990 dont le tribunal , réuni le même jour devait apprécier la réalité de la publication

l'unité d'action: le père et le fils attaquaient chacun de leur côté la même décision l'affaire étant jugée par les mêmes magistrats le même jour.

Ainsi aurait-on pu en déduire que si la décision avait été publiée dans un cas ,elle devait être présumée l'avoir été dans l'autre

Mais la troisième chambre , présidée par le Président du tribunal administratif en personne ne s'est pas arrêtée à cette solution par trop audacieuse: le contentieux administratif est une chose trop sérieuse pour s'inspirer du théâtre et la justice n'a pas à être rendue sur les planches


En second lieu, on fera remarquer qu'ayant à juger le même jour de deux recours identiques et ayant le même objet, le premier émanant du père et le second du fils, le juge aurait gagné pour la clarté de sa solution à intercaler le saint esprit. Mais la encore, la justesse d'un jugement découle de la sagesse des hommes et ne saurait être empruntée aux mystères de la Sainte trinité.


En fait la seule interprétation possible et disons-le clairement, scientifique, est que cette audacieuse et surprenante décision n'est rien d'autre que la marque fondatrice du droit quantique . Comme il y a une physique quantique à laquelle à peu près personne ne comprend rien, il doit y avoir un droit quantique qui aura cet avantage de faire comprendre au citoyen le caractère complexe pour ne pas dire transcendant de la chose juridique.

Erwin Schrödinger, grand maître de la physique quantique est à l'origine du paradoxe du chat qui porte son nom. Le chat de Schrödinger est à la fois mort ou vivant.

La modeste décision de la Commission de remembrement de la modeste commune de Montreuil-Poulay est dans le même état et il est bien dommage que ses habitants n'aient pas été informés de cet événement qui devrait définitivement associer le nom de leur village à une révolution scientifique d'autant plus remarquable qu'elle intervient dans un domaine peu coutumier d'une telle approche.

X n'a pas attendu de savoir si la plume du Président du Tribunal avait ce jour là été portée par un nouvel Einstein. Exit le tribunal administratif !


Jules allait alors passer deux années en Syldavie , à Klaw, capitale de ce charmant pays d'Europe centrale.

La Syldavie est en effet un beau pays et les Syldaves sont des gens charmants. Leurs femmes sont longilignes comme peuvent l'être Herzigova ou Adrianna.

La Syldavie souhaite évidemment devenir bientôt membre de l'Union européenne, mais quarante années de communisme ont complètement vérolé la société qui est passée d'un totalitarisme mou à ce qu'il faut bien appeler la loi de la jungle. La corruption règne en maître et les citoyens ont quitté un monde où ils ne gagnaient pas grand chose mais ne travaillaient pas beaucoup non plus pour entrer dans un autre où les magasins sont beaucoup plus remplis que leur porte monnaie et où les employeurs peuvent les licencier avec autant de facilité que si on jetait des petits chats indésirables contre un mur.

L'Union européenne qui se veut au centre du monde civilisé quand ce n'est pas la force avancée de la civilisation a trouvé que cela ne ferait pas bien sur la photo et qu'il fallait inculquer à ces gens là des mœurs plus policées à défaut d'être politiquement correctes.

Elle en a déduit que la meilleure solution serait d'envoyer là bas des fonctionnaires des pays membres, chargés d'apporter la bonne parole dans tous les domaines possibles et imaginables.

On imagine bien évidemment ce qui se serait passé si on avait imposé les mêmes obligations aux anglais et aux espagnols quand ceux ci ont rejoint l'Europe. A vrai dire, on y aurait même pas pensé !

Mais fort heureusement , cette fois , la Commission a eu une idée et telle une bonne fermière, s'est empressée de jeter le bon grain à ses quinze poules que sont les Etats membres.

Aussi écervelés que le sont les poules, les Etats membres se sont jetés sur la pitance en essayant d'avaler le plus de grains possible. Chaque Etat membre a mobilisé ses troupes pour aller exécuter une danse du ventre auprès des différents ministères de ces pays en espérant être choisi.

Ensuite, le Ministère français des affaires étranges qui a obtenu que lui soit confiée la conduite de cette noble opération aligne les bâtons et l'œil rivé sur la ligne bleue des Vosges compare avec les bâtons alignés par les Allemands. Ne demandez pas , au fond, à quoi cela sert. La présence de la France à l'Etranger est un concept qui n'a pas à être défini et encore moins justifié puisqu'il se suffit à lui même . Sinon , pourquoi paierait on des coopérants et pourquoi , au fond serait on le pays qui doit avoir le plus d'ambassades à l'étranger ? car il est clair que si Robinson échouant sur un ilôt désert bourré de pingouins et d'ours blancs devait proclamer sa souveraineté sur ce territoire arraché à l'influence américaine, le Quai d'Orsay y enverrait immédiatement un ambassadeur.


Jules va donc se retrouver la-bas avec une fine équipe , de celles que sait aligner notre beau pays quand, coupe du Monde ou pas, il faut faire entendre la Voix de la France .


On a réussi à lui trouver un camarade de galère au sein d'ENFI , une de ces entreprises nationales qui continuent à rappeler au monde qui nous entoure que l'Etat est le meilleur des entrepreneurs dans le plus intelligent des pays du monde. Il s'appelle Auvenaud. ENFI a tenté à plusieurs reprises de s'en débarrasser, en le satellisant , mais la fusée était trop poussive ou la charge trop lourde et Auvenaud est revenu à chaque fois à sa base. ENFI a en effet les yeux fixés sur son développement international et sait que , même placardisé, ce gros balourd reste un cégétiste de facture basique, passant chacune de ses journées à organiser sinon les grèves, qui sont devenues rares, du moins les coups tordus dans lesquels il est devenu orfèvre.

Auvenaud est un porc dans tous les sens du terme. S'il a plusieurs fois divorcé, il a conservé en revanche une amitié indéfectible pour la bouteille , qui, pas ingrate , a transformé ce qui devait être un nez en une sorte d'étron vineux. De chaque côté pendouillent ce qui fait moins penser à des joues qu'à deux bavettes sorties de l'étal du boucher, ou plus probablement à deux hémorroïdes bien mures, hypothèse étayée par la présence d'excroissances poilues tout alentour. Somme toute tout donne à penser que de même que certains se couvrent d'une casquette ou d'un chapeau , Auvenaud devrait faire la même chose mais en utilisant un caleçon.

Auvenaud dit avoir quitté le parti communiste mais il reste un révolutionnaire . Cependant son altruisme et son dévouement à la cause des exploités de tous bords n'est pas situé , comme cela est généralement admis dans les représentations que l'on s'en fait, au niveau du cœur. Ce serait plutôt au niveau du rectum, même si on a du mal à établir à quel bout de son tube digestif se situe celui ci , tant on souhaiterait, après l'avoir humée que son haleine fut seulement fétide.

Pour Auvenaud , la lutte des travailleurs, c'est d'abord et avant tout la préservation des avantages acquis par les employés des entreprises nationales. D'ailleurs, cette préservation est absolument essentielle et révolutionnaire puisqu'elle permet aux salariés du secteur privé comme ceux de Moulinex ou de Lu de demander eux mêmes le bénéfice de tels avantages. Que pourraient ils revendiquer en effet si on avait pas préalablement démontré qu'il était possible de les obtenir ? Mais surtout , comment les usagers pourraient-ils obtenir des transports ou de l'électricité d'excellente qualité si les travailleurs de ce secteur bossaient plus de vingt heures par semaines et au dela de cinquante cinq ans ? Voilà bien une preuve que le capitalisme est exploiteur !

Auvenaud est un spécialiste des coups tordus et on sent qu'il devait avoir le premier prix à l'école du Stalinisme tant est grande sa capacité à organiser ses forfaits dans le secret de son micro-ordinateur. Cependant, comme pour la poule et l'œuf, on ne sait si c'est sa personnalité qui lui a permis de s'épanouir dans le monde cégétiste ou si c'est ce dernier qui l'a affecté de manière indélébile : Auvenaud est quasiment incapable de prendre la parole en publique sans insulter ses interlocuteurs. Des qu'avec ce qui lui sert de bouche, il tente d'articuler quelques mots qui constitueront une question, montent en lui des flots d'adrénaline. Il commence à haleter, le langage devient haché, il suffoque et il doit vite s'arrêter tant il est clair que le menace une crise d'apoplexie.

Auvenaud a des goûts de chiottes. Non seulement il trouve belles les voitures qu'a pu commettre Citroen comme les BX les CX et autres visas mais quand il invite à dîner , ses hôtes ont droit à la télévision russe pendant tout le repas. Car lors d'un passage dans les steppes ravagées des temps eltsiniens, il s'est acheté une femme avec laquelle il parle la langue de Tolstoï , moins comme il le prétend pour maintenir son niveau que pour éviter qu'elle n'apprenne le français. Dès fois que cela lui donnerait des idées de chercher moins répugnant.


Paulette Dicoux (elle insiste pour que l'on prononce dicou-xe) est chargée de la logistique. Depuis qu'elle s'est faite engrosser par un macho méditerranéen peu après la grande révolution de 1968, on la sent braquée contre l'autre moitié du ciel. Sa fille Angela, ainsi nommée en l'honneur d'Angela Davis, est cependant la preuve vivante que l'on peut élever des enfants sans avoir besoin d'homme. Elle passe d'ailleurs son temps à assommer les gens en leur racontant ses vacances avec sa fille telle année dans le désert du Sahara, telle autre en Australie , telle autre encore dans la forêt amazonienne : ne manquent que la lune ou la planète Mars !

Somme toute , Paulette Dicoux se veut une descendante des fières amazones , sauf qu'au lieu et place de celles qui inspirèrent Wagner, Paulette n'a rien à voir avec les filles de Wotan et que ses aventures relèvent plutôt de la chevauchée des Vaches qui rient .

La pensée de Paulette Dicoux s'est d'ailleurs arrêtée au début des années soixante-dix. Elle a dû prendre son envol tant elle était légère . Elle aura rejoint la couche d'ozone dans laquelle, par aspiration, elle aura fait un gigantesque trou car la nature a horreur du vide.

Paulette Dicoux est une grosse paresseuse mais qui n'aime pas le laisser paraître. Ceci fait que ses conversations , quand elles ne portent pas sur sa fille Angela sont prétexte à servir un soufflé fait de ses immenses mérites et de sa contribution irremplaçable au projet. Laquelle, elle en convient est d'ailleurs modeste : sortir la disquette de l'ordinateur, mettre du papier pour imprimer, voire ranger l'impression dans les dossiers, cela fait cher la minute de prestation compte tenu du prix du voyage ! Allons ! deux SMIC mensuels pour avoir trimballé les fesses de madame pendant deux jours à visiter Klaw ce n'est rien au regard des enjeux et des intérêts de la France. Hein dit Paulette, heureusement que j'étais là pour ranger les transparents !

Paulette Dicoux partage avec Auvenaud un engagement politique au service des opprimés. Elle jure qu'elle en a marre de devoir voter pour le PS au second tour. A vrai dire , il convient de nuancer : Auvenaud défend surtout les travailleurs exploités des entreprises publiques. Chez Paulette, ce serait plutôt version « sans papiers » et réfugiés politiques . Mais qu'à l'autre bout de la planète , un stagiaire en dictature s'apprêtant à être titularisé , dénonce l'impérialisme yankee et Auvenaud, comme Paulette sortent leur stylo pour signer une pétition de soutien.

Auvenaud pense d'ailleurs que Saddam Hussein a été manipulé par Bush. Et la preuve qu'il administre est irréfutable : maintenant les américains sont installés dans la région : à qui profite le crime ? Jules lui fait quand même observer que c'est avec la même perfidie qu'ils ont débarqué en Normandie il y a presque soixante ans . Auvenaud vomit alors quelques insultes et conclut superbement : voilà bien la preuve que tu es pro-américain !


Auvenaud et Paulette Dicoux ont dû voter Laguiller et que ferait cette dernière sans les voix des travailleurs émargeant à plus de vingt mille balles par mois ? En fait Paulette aura plutôt voté Besancenot c'est à dire pour la version bobo de la révolution. Il faut quand même savoir évoluer ! Mais, qu'ils aient voté pour l'un ou l'autre, la contrepartie qui devrait rassurer les bourgeois est au fond, le caractère politiquement inoffensif de ces deux là. Le « Grand soir » pour eux se passe devant la télévision et , contrairement aux bolcheviks, ils n'ont pas de couteau entre les dents car cela les empêcherait de bâfrer.


Mais le meilleur des Pieds Nickelés est incontestablement Jaloude. Jaloude est chef du projet, c'est à dire que depuis Paris, il doit veiller à la bonne marche de l'opération.

Jaloude représente la courtisanerie dans son état de perfection. Paul Auroussé, on l'a vu, était un courtisan , mais quand il ne faisait pas des courbettes, ce qui lui prenait quand même beaucoup de temps, il essayait de se prendre pour Colbert, à tout le moins de faire croire à son entourage qu'il était dans cette lignée. Rien de tel chez Jaloude qui est un courtisan pur sucre ce qui veut dire que cent pour cent de ses activités sont des activités de cour. Voit-il l'ambassadeur que plus de cinquante pour cent de ce qu'il dit tient en trois mots : Monsieur l'Ambassadeur. Quant au reste , point de contenu mais des mondanités : « vous souvenez-vous , Monsieur l'ambassadeur de cette réunion à Florence où vous m'avez présenté Marbeau , le chef du service culturel auprès de M. l'Ambassadeur, n'est ce pas Mr l'ambassadeur ? « « Au fait, M.l'ambassadeur je vous transmet les salutations de Barbin , votre ancien adjoint à Santiago du Chili - belle carrière , Barbin, il est directeur à l'Unesco, sans doute grâce à vous M.l'Ambassadeur »

Tant de flatteries et de mondanités ne parviennent pas, malheureusement à compenser les dégâts causés par l'autre versant de la personnalité de Jaloude : son incommensurable paresse. Celle ci lui a valu de se faire jeter d'ENFI il y a quatre ans car , comme dit Auvenaud qui n'est pas avare quand il s'agit de donner le coup de pied de l'âne , chez ENFI , même si ce n'est pas comme chez les marchands de lessive , il y a quand même une obligation de résultat. Depuis, il change de travail tous les six mois tant, au sein de l'administration, on a envie de se refiler la patate chaude, que dire ! plutôt le bâton merdeux.

Jaloude est énarque et de temps en temps , les entreprises publiques font un petit cadeau aux fonctionnaires en leur offrant un salaire plus élevé que ce que leur propose l'administration. Mais quand la bête est décidément aussi inénarrable , le risque qu'elle ne virose la boîte est si grand qu'il faut recourir à la chirurgie.

Jaloude a un air de nabot avec des gros yeux globuleux qui font irrésistiblement penser à E.T. A bien y réfléchir, la comparaison n'est pas si absurde. Est ce la courtisanerie et les révérences qui lui sont associées qui lui tordent les boyaux ? Toujours est- il qu'il est étonnant de constater comment un personnage si frêle qu'Auvenaud pourrait le bouffer entre deux tranches de saucisson sans s'en apercevoir, peut, dès lors qu'il a quitté le bureau de M. l'ambassadeur se mettre à foirer comme le ferait une machine à faire les lignes jaunes sur une nationale , c'est à dire sans discontinuer. On se dit que l'émission d'autant de gaz devrait lui permettre , sinon d'être mis en orbite , du moins de léviter. A moins que Jaloude ne soit une version améliorée du marsupilami qui, au lieu de se déplacer sur sa queue, le ferait sur coussin d'air.


Jaloude craint par dessus tout Paulette Dicoux : c'est elle qui peut, d'un meuglement , provoquer un court circuit dans la pompe à finances et alors finis les voyages à Klaw, les petits dîners et les putes. Il déteste au fond Auvenaud , qui l'a engueulé deux ou trois fois en insistant sur sa fainéantise et a même eu l'outrecuidance , alors qu'il cherchait une chaise, de lui proposer le placard. D'ailleurs quand Jaloude mange une truite, Auvenaud engloutit deux steaks et un litre de vin blanc !

Auvenaud voue un profond mépris à Jaloude, enfin c'est ce qu'il veut bien dire. Pour Auvenaud, il y a deux sortes de personnages : les ingénieurs dont il fait partie et à qui la Raison a ouvert les portes de la compréhension du monde et les autres. La compétence se mesure pour Auvenaud à la capacité de calculer des dérivées et des intégrales, de faire des équations différentielles. C'est dire s'il méprise cette espèce de chose ,tout juste capable de dire que Ciceron plus Tacite plus Cesar, cela fait trois romains et n'ayant même pas immédiatement l'idée de calculer le barycentre de cet ensemble.

En fait Jaloude a fait l'ENA et pas Auvenaud qui dit avoir oublié qu'il aurait pu tenter le concours. C'est vrai qu'engueuler le jury en hoquetant vous laisse peu de chance d'accéder au Nirvanah et qu'au fond il n'a pas eu tort d'éviter une défaite supplémentaire.

Et puis cette ordure de Jaloude pousse le vice jusqu'à humilier Auvenaud. Quand Jaloude venait à Klaw , au tout début, il s'arrangeait toujours pour quitter l'hôtel avant les autres. Il payait sa chambre puis sous prétexte de retourner chercher ses affaires passait deux trois coups de téléphone en France qu'Auvenaud devait ensuite régler auprès de l'hôtelier.

Au fond, ce n'était pas vraiment par avarice mais plutôt , au nom de cette idée répandue chez nombre d'énarques atteints d'une excroissance du Moi que leur statut les autorise à trouver un con au sphincter si accueillant qu'il ressentira comme un immense honneur le fait de payer leurs petits oublis quand ce n'est pas leurs frasques. Car Jaloude, au fond, quand il laisse des ardoises , le fait sans doute pour se persuader que celui qui va les payer ressentira comme une profonde jouissance le fait de l'avoir fait , mais tout autant parce que lui même éprouverait un immense orgasme s'il pouvait être mis en telle situation vis à vis d'un Maître.

Jaloude , malgré sa petite taille , bande comme le ferait un étalon , quand il peut se livrer à la seule activité qui vaille pour lui , c'est à dire présider. Présider, c'est le viagra de Jaloude : il pourrait tout présider : le bal des pompiers de Bressuire, le club des amis de Sheila, l'enterrement de Saddam Hussein et même un poulailler si le coq voulait bien chanter son nom. Un vague VRP d'une entreprise passe -t-il à Klaw et invite -t-il le groupe que Jaloude vire d'un air courroucé Auvenaud qui a eu l'impudence de s'installer au bout de la table pour pouvoir présider l'avenir d'un inutile dont il est l'architecte des arcannes. Le moindre strapontin, le moindre siège de chiottes sont autant de trônes pour lesquels Jaloude n'hésiterait pas à se damner à condition toutefois que son entrée en enfer soit fêtée par une cérémonie qu'il pourrait présider.


Voilà la fine équipe que la France a envoyé à Klaw : deux révolutionnaires d'avant garde, à condition toutefois que le cortège ne marche pas trop vite, et un marchand de cirage et de brosses à reluire qui vont apprendre à ces pauvres syldaves comment fonctionne l'économie de marché. Marx est mort et Lénine devrait finir par être envoyé au cimetiere mais manifestement, ils n'ont pas reçu le faire part. D'ailleurs ni Auvenaud, ni Paulette Dicoux ne semblent outre mesure incommodés par le fait que les communistes français sont aussi coupables de l'état dans lequel des années de plomb ont laissé le pays. Persuadés l'un et l'autre que le fait d'être révolutionnaire était en soit une preuve d'intelligence , ils ne voient pas comment les Syldaves pourraient se passer de leurs conseils.

Quant à Jaloude , il doit être persuadé que la principale source d'énergie qui fait marcher le monde est la vaseline et il sait que ,pour ce produit au moins, on ne fait pas meilleur VRP que lui !


Le temps passe. Auvenaud est assez nerveux. Il a en fait deux préoccupations essentielles :

La première concerne ses SICAV : elles ont perdu quinze pour cent depuis que son banquier lui a conseillé ce placement. Maintenant c'est trente pour cent ! Auvenaud passe plusieurs heures au téléphone, aux frais des Syldaves à engueuler son banquier. Car chez Auvenaud, la règle , c'est la règle : l'intérêt général est la somme de ses intérets et ce qui est aux autres ne l'est qu'aussi longtemps que ce n'est pas à lui. Jules lui glisse , perfide, que le capitalisme est au fond un système juste et moral puisqu'il lui reprend ce qu'il a extorqué aux usagers d'ENFI . Auvenaud , en réprimant un rot , maudit cette créature au service des exploiteurs.

Auvenaud aimerait bien rester à Klaw plus longtemps : il y gagne bien sa vie, sur le dos des contribuables européens et son travail se résume à fouiller Internet pour y trouver de la musique ou des photos de cul. Son désir rencontre celui de Cramer, directeur des affaires internationales d'ENFI qui verrait d'un bon oeil que soit prolongée de quelques mois la carrière de cosmonaute de ce sac à patates.

Pour ce faire, il faut au moins convaincre Malarovic ,Vice -président du Comité d'intégration européenne. Malarovic , depuis qu'il a été promu à ce poste s'est entouré des avantages indétachables de la fonction : un luxueux bureau auquel est annexée une salle de bain, sans que l'on sache si cette dernière sert à se laver les mains ou à laver l'argent sale. Il n'est quand même pas disposé à donner un beau bureau à ce sac à merde inutile autant que mal embouché et dangereux ( imaginons qu'il éclate lors de l'une de ses montées d'adrénaline et qu'il éclabousse le papier peint). Il veut bien discuter mais il lui faut une compensation.


Le Syldave a soif d'apprendre et la meilleure manière d'apprendre est quand même de se rendre là où se trouve le savoir, c'est à dire à l'étranger. Le Syldave est donc un accroc du voyage d'étude, pour peu qu'on lui paie son billet d'avion et autant d'indemnités journalières qui lui permettront d'arrondir ses fins de mois s'il peut trouver quelque Formule 1 ou solution équivalente pour se loger. C'est humain, au fond. Malarovic est ainsi un infatigable voyageur, connaissant maintenant parfaitement tous les Comités d'intégration européenne, y compris ceux de Californie, de l'Arizona et de Floride. Sa soif de savoir est si grande qu'il doit malheureusement renoncer à visiter le comité portugais car à la même période il étudie in situ les rouages du comité philippin. Malarovic demande d'ailleurs souvent si le comité d'intégration européenne de l'Ile de Pâques a déjà été installé. Mais il ne doute pas un instant que l'accumulation de tant de savoir lui permettra un jour de conseiller le gouvernement des Seychelles pour mettre en place une telle institution.

Malarovic demande donc que pour étayer les conseils d'Auvenaud , qu'il n'a d'ailleurs pas écouté pendant un an ,quelque voyage d'étude en France soit offert à lui même et à ses ouailles . mais comme cela ne suffit pas, il exige que l'assistante que partagent Jules et Auvenaud et dont il a remarqué qu'elle parlait remarquablement anglais et français rejoigne le comité. A défaut d'écouter Auvenaud, il pourra utiliser ses services.


Jaloude est en transes : Cramer en personne lui a demandé ce service. Quelle occasion de servir , de plaire au maître et, au passage de ramasser quelque bénéfice comme une présidence par exemple.

Sans doute, la chose rappelle -t-elle à Jaloude quelques souvenirs cruels. Il y a quelque années, son directeur lui a demandé de le représenter pour présider le congrès des cadres retraités d'ENFI au Puy en Velay. Il s'y est rendu en train un samedi matin , car le Directeur n'a même pas voulu lui laisser le chauffeur qui convenait à cette importante mission et le tout pour s'apercevoir qu'il s'agissait en fait du bal des retraités d'ENFI du département de la Haute Loire. Ils ont même chanté des chansons à boire pendant son discours ou plutôt sa tentative de discours. Ils ont tenté de le saouler et personne ne l'a accompagné le dimanche matin à la gare.

L'autre fois, quand ENFI avait sponsorisé la fête de l'âne et du baudet dans la Vienne, il a, de même été envoyé représenter l'entreprise. On a bien failli lui demander de payer l'entrée. Puis il a fait une chute en glissant sur les excréments d'un âne et il ne s'est trouvé personne pour l'aider à nettoyer son costume. Pis, ce petit connard de directeur de cabinet du Préfet lui avait glissé dans l'oreille qu'il valait peut-être mieux, vu l'état de ses vêtements, qu'il rentre à son hôtel et qu'il évite le cocktail qui était organisé au Conseil Général : le Ministre de l'Agriculture était là et cela aurait fait un peu caca .Jaloude avait insisté pour y aller : ne pouvait on lui prêter un costume ? Devant le peu d'empressement des organisateurs il dut se résigner et assista au cocktail dans un coin, privé de photographie officielle.

Cette fois, cela ne se passerait pas comme cela : une aussi importante et difficile mission méritait récompense.

Il fallait qu'il adopte une stratégie et ,sans que cela provoque chez le maître quelque agacement qui eût pu lui être préjudiciable , qu'il lui montre à quel point la tâche était compliquée.

Il fallait qu'il le convainque qu'il avait marqué des points là où nul autre n'aurait pu le faire , que la prochaine étape serait décisive mais qu'il était optimiste, enfin le culpabiliser juste un peu avant de lui glisser qu'ENFI organisant une opération de communication en marge du prochain sommet de Johannesburg , il était sans doute bien placé pour présider cette manifestation. Si cela n'était pas possible , il restait aussi la présidence du « club des poêtes « ( autre amuse-nigaud financé par ENFI pour peaufiner son image, pas toujours reluisante, auprès de l'opinion) . Mais au fond cela ne gênait pas Jaloude : peut être pourrait il être interviewé par Arte ou par I. télévision , par Télérama même !


Il fallait cependant trouver de l'argent car Auvenaud , comme tous les cadres de cette entreprise était grassement payé et ce qui restait de son budget ne suffirait pas à financer une prolongation à laquelle il fallait ajouter les gâteries exigées par Malarovic.


Qu'à cela ne tienne, on va pomper tout cela dans le budget de Jules. Ce dernier proteste-t-il que Jaloude s'en moque : les désirs de Cramer sont des ordres.

Devant l'opposition marquée de Jules, Jaloude et Auvenaud communiquent désormais uniquement par portable, afin que Jules ne soit pas au courant de leurs démarches. Quand sonne le portable d'Auvenaud, celui ci va se réfugier dans les toilettes- son environnement le plus familier - pour entamer une conversation laborieuse.

Jaloude est en effet totalement amorti . Pour lui le progrès technique s'est arrêté au fax et il est incapable de se servir d'un micro-ordinateur, encore moins d'envoyer un e-mail. Autant dire que pour lui , manipuler des chiffres relève d'une galère sur laquelle il ne peut que sombrer. On sent qu'Auvenaud se retient, mais il ne peut non plus lâcher son adrénaline contre celui qui reste sa seule roue de secours.

Les jours passent : on sent Jaloude de plus en plus nerveux . Car ce petit trou du cul est aussi un sale petit nain colérique qui tape de violents coups de poings sur un car d'Air France quand celui ci ne le mène pas assez vite à l'embarquement. On l'imagine volontiers faire son caca nerveux si sa secrétaire ne lui apporte pas assez vite son flamby. Quand il appelle Jules qui l'envoie volontiers se faire prendre par l'entrée la plus accueillante de sa personne il lui raccroche rageusement au nez non sans avoir failli s'étrangler de rage. Décidément, tout cela n'est pas bon pour lui : cela va lui donner des gaz !

Auvenaud est de plus en plus sinistre . Son front est maintenant aussi plissé que la peau d'un sharpei et sa tronche anxieuse et violacée est en soi le signe que la putréfaction a aussi métastasé le projet. On sent que ses rôts doivent désormais remonter des profondeurs de son fondement.

Pourtant Jaloude, d'ordinaire si fainéant se décarcasse. Cramer lui a certainement promis la direction de l'entrepôt d'ENFI à Brie- Comte- Robert à moins que ce ne soit , par le biais de ses relations le poste de délégué régional du tourisme à Saint Pierre et Miquelon, où il ne rencontrera aucune concurrence sérieuse pour présider l'assemblée générale annuelle des phoques ! Mais enfin, cela fait bien deux ans qu'il n'a pas présidé : Jaloude est en manque : il présiderait une assemblée générale des sans papiers , le congrès des culs de jatte, voire s'il fallait la créer, l'association des défenseurs des péteurs .

Il est vrai que dans les fonctions qu'il occupe à Paris , Jaloude a du temps à tuer. Comme dit Auvenaud , si on ne peut le joindre, c'est qu'il n'est pas arrivé ou qu'il est déjà parti. On lui a même enlevé son ordinateur , qui , il est vrai lui était aussi utile que le portrait de Marianne peut l'être à un secrétaire de mairie.

Le couperet de la Commission tombe : c'est niet ! Il est vrai qu'entre temps, Jules qui avait eu on ne sait quelle intuition avait fouiné dans les documents de la Commission pour s'apercevoir qu'ENFI, en tant qu'entreprise commerciale bien que publique n'était pas éligible au titre de cette opération. Il l'avait bien sûr discrètement cafté à la délégation locale qui pour une fois était sortie de sa torpeur.

Auvenaud quitte une dernière fois le ministère en traînant péniblement sa grosse carcasse merdeuse. On l'oubliera vite tant on n'a jamais su pourquoi il était la et seules les chiottes regretteront ce père nourricier.

Chez Jaloude, au contraire, aucun remord ou aucune pensée qui pourraient l'affecter. Etonnamment , l‘odeur du jus de boudin l'incommode moins qu'elle n'incommode Auvenaud pourtant habitué à tripatouiller des étrons comme on peut langer son bébé. Jaloude , tel ces créatures diaphanes sorties tout droit de quelques délires d'un poête surréaliste qui aurait trop fumé, a déjà oublié . Il a oublié les francs qu'il doit changer en euros comme il l'a promis a Durkovic qui lui avait demandé ce service, il a oublié les voyages d'études promis à tout le monde alors qu'il n'en avait pas parlé à Paulette, il a oublié les rapports qu'il devait rendre et n'a jamais rendus ( mais la Commission ne s'en est même pas aperçu), somme toute, il a tout oublié sauf qu'un petit voyage à Klaw lui ferait bien plaisir.

Il n'ose guère plus appeler Jules . Il tente une dernière fois sa chance : cela ne marchera pas. Tant pis : il trouvera bien les mots pour aller vendre l'inutile, pour faire oublier qu'il est dérisoire et même nuisible.

Mais à l'échelle de Bercy et du budget de la France , tant d'irresponsabilité aussi indécente n'est rien , du moins pas de quoi enlever un poil du cul au ministre.

Jaloude garde de beaux jours devant lui et ses probables clones ont déjà passé commande du terreau où ils pourront prendre racine. Si possible, cette fois sans Auvenaud mais qui sait ?

 

 

 

 

 

 

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