SPEAK WHITE!!!

                                                                                           SPEAK WHITE!


En voyageant sur le portail Europa du site du même nom ; celui de l'Union européenne, on peut y lire que l'UE compte 20 langues officielles, qu'elle travaille donc dans les langues choisies par les gouvernements des états membres et non dans une langue unique ou dans quelques langues qu'elle aurait elle même choisies et qu'une bonne partie de ses citoyens ne pourraient pas comprendre, que ce choix du multilinguisme officiel en tant qu'outil de gouvernance économique est unique au monde...

Rassuré d'être au cœur d'un modèle aussi original et si soucieux de ses citoyens, vous voulez sans tarder communiquer avec vos frères des autres pays européens et vous vous rendez sur la page « jumelages » . Surprise : le texte n'est plus affiché que dans dix langues et on vous explique que les projets de jumelage de villes sont désormais gérés par une agence exécutive que vous pouvez joindre en cliquant sur un lien. Et la, seconde surprise, vous tombez sur un texte en anglais. L'an dernier la demande de subvention pouvait être faite en anglais, français ou allemand !! Les réclamations ne pouvaient être faites qu'en anglais ! Cette année, pour recevoir un financement afin de faire se rencontrer les citoyens de Brie Comte Robert et ceux de Györ en Hongrie, il faut remplir le formulaire en anglais !

Les citoyens des nouveaux pays membres le savent depuis des années : la commission européenne ne s'adressait à eux qu'en anglais et quand ils voulaient réclamer des fonds européens , ils étaient et continuent d'être priés de le faire en anglais ! Donc, comme souvent s'agissant de la construction européenne, il y a les contes d'Andersen pour amuser les schtroumfs et la réalité qui n'est pas du même tonneau. La réalité est que l'anglais est en train de devenir progressivement la seule langue de travail de l'UE et la notion de langue officielle est remisée au rang des armoiries qui ornent les murs des châteaux dans le Royaume de sa gracieuse majesté .

Qu'en dit la classe politique française ? La pantalonnade atteint des sommets .Alors qu'au début des années 90 Jacques Toubon , manifestement immunisé contre le virus du ridicule , faisait traduire « pins » par « épinglette » et menaçait des pires foudres tout fonctionnaire qui utiliserait des termes anglais ( notons au passage que les deux tiers de l'anglais viennent quand même du français !) on a fait un virage à 180° ! Même le très moyenâgeux baron Ernest Antoine Seillière ose narguer notre Président préféré en s'exprimant en anglais, la « langue des entreprises ». Dans ce monde « bobotisé » ceux qui s'inquiètent des menaces pesant sur l'usage de la langue française sont voués à la ringardisation. D'ailleurs , si seuls ceux qui parlent anglais avaient eu le droit de vote, on n'aurait pas vu le Non l'emporter au référendum ! L'usage de la langue peut être réservé et toléré s'agissant d'exercices « druidesques » comme les dictées de Pivot ! Mais quand les choses deviennent sérieuses, il faut savoir vivre avec son temps

Mon propos n'est pas de rejoindre dans la défense de la langue française une Académie française décatie qui , en rigidifiant son usage, a été largement responsable de son déclin. Ce qui est en cause, c'est simplement le droit du citoyen d'exercer sa citoyenneté dans sa langue maternelle. Je ferai simplement un certain nombre de remarques.

Il fut une époque où les gouvernants s'adressaient, en français, au peuple des bouseux qui lui, parlait anglais : c'était l'Angleterre du moyen-age. Il fut une autre époque où , sous d'autres cieux, quand on s'exprimait en français, on avait droit à un cinglant « speak white ! » : c'était le Québec des années cinquante !
Il n'existe aucun exemple d'Etat démocratique qui ait pu durablement fonctionner en usant, comme langue officielle , de la langue maternelle d'une seule partie de ses citoyens. Les seuls cas existants sont d'anciennes colonies et la langue du colonisateur y fut imposée par la force dans un contexte où les langues locales n'étaient parfois même pas écrites et où les populations étaient analphabètes. L'URSS qui avait imposé l'usage du russe s'est effondrée.
On mesure à quel point la langue est un paramètre essentiel du fonctionnement de la démocratie. Le Canada n'a survécu que parce que les anglophones ont eu l'intelligence de faire des concessions aux québécois. La Belgique est secouée par l'opposition entre Wallons et Flamands les premiers ne comprenant pas les seconds et vice versa .Il n'y a à vrai dire que la Suisse qui ait réussi à maîtriser cette marmite avec il est vrai , une forte tradition de fédéralisme.

Quelles sont les motifs de tout cela ? Certainement pas la difficulté du dialogue entre les peuples : les allemands parlent rarement le français et les français encore plus rarement l'allemand ce qui n'a pas empêché le développement d'un sentiment de sympathie entre ces peuples autrefois ennemis. La véritable raison peut s'énoncer ainsi :
1.la démocratie est un système qui s'équilibre en aménageant des compromis entre des intérêts différents.
2.Or pour que ces compromis soient acceptés, il faut que chacun puisse avoir été à même de défendre ses intérêts et qu'il acquiesce à la nature du compromis.
3.On ne défend bien ses intérêts que lorsqu'on peut le faire dans sa langue maternelle.

Il en résulte qu'une Union européenne qui serait composée, d'une part, d'une aristocratie parlant anglais , d'autre part de multiples plèbes s'exprimant en français , italien ou polonais, n'est promise à aucun développement durable , pour utiliser la logorrhée chère aux eurocrates.
Pour l'instant, on cache la réalité aux citoyens : le Parlement européen , pour inutile qu'il soit, continue à bénéficier d'une traduction simultanée dans les vingt langues ( même s'il faut passer par l'anglais pour aller du portugais au slovène, ce qui fait que les slovènes reçoivent une traduction décalée dans le temps). A la Commission , en revanche , l'usage de l'anglais devient la règle entre fonctionnaires et tout le monde sait que là est le siège du pouvoir !

Comment s'étonner ensuite que surgisse un jour une directive Bolkestein. Ce n'est pas Jacques Barrot qui risque de s'en apercevoir : il ne parle pas anglais ! Nos députés européens non plus d'ailleurs...

Il faudrait demander à Royal , avocate du Oui, quel espace existerait pour sa démocratie participative quand les citoyens devraient poser les questions en anglais tandis qu'on leur répondrait en anglais. La dite madame Royal répondrait peut être, si elle a lu le projet de traité que celui ci disposait justement que tout citoyen a droit à ce qu'on lui réponde dans sa propre langue. Réponse exacte, par écrit !! sous quinzaine !!!
Etre citoyen, dans un Etat démocratique , ce n'est pas, en effet , pouvoir entendre et être entendu dans sa langue maternelle ( ce qui constituait le minimum même aux temps de Philippe Auguste et Jean sans Terre avant de faire intervenir les archers du Roy) . Etre citoyen c'est pouvoir participer au dialogue public dans toutes sers dimensions, pouvoir porter un débat contradictoire, pouvoir interpeller les gouvernants.
Il est vrai que si Lionel Jospin avait parlé anglais en 2002, ses interlocuteurs, victime d'un plan de licenciement, n'auraient pas entendu que l'Etat ne pouvait pas tout faire ! De même aurait on pu attribuer l'engagement de Sarkozy de ne pas privatiser GDF à une erreur de l'interprète .
En envoyant Olivier Duhamel et quelques éclopés du suffrage universel à Strasbourg, on ne peut pas dire que l'UMPS crée un « désir d'Europe » mais ces gens la imaginent ils un seul instant que les citoyens puissent accepter demain sans broncher que ceux qui fabriquent la norme, rue de la Loi, ne sont pas en mesure de les entendre car ils ne comprennent pas leur langue ! Retournons un seul instant au mythe fondateur du contrat social : Comment peut on imaginer que les citoyens remettent les clés de l'exercice du pouvoir à des gens avec lesquels ils ne se comprennent pas !
En attendant, la piteuse expérience libanaise de Bobolène devrait lui montrer combien grand est le danger de faire semblant de comprendre l'autre quand il ne s'exprime pas dans votre langue maternelle.


Mais il faut aller plus loin : l'omnipotence de l'anglais n'est pas sans influence sur les politiques. Une langue est d'abord le produit d'une culture et véhicule une vision du monde ; une Weltanschauung » comme disent les allemands. Ce n'est sans doute pas un hasard si l'Europe des années soixante ne ressemble pas à celle du début de ce siècle. Le tarif douanier extérieur commun (en fait la préférence communautaire)est une dimension majeure de la première .Avec l'entrée du Royaume Uni commence une longue dérive libre échangiste et environnementaliste liée à l'histoire économique et religieuse des pays anglo-saxons. La mondialisation est sans doute un facteur de cette dérive mais elle n'est pas la seule . Le fait que l'on ait réfléchi et travaillé dans la langue des thatcheriens n'y a pas peu contribué !

J'entends déjà les lieux communs habituels :

1.Si cela était si gênant, les citoyens de l'Europe auraient déjà réagi !: Sans doute, sauf à faire observer que le système communautaire ressemble à du jamais vu auparavant. Formellement ce sont bien les Etats membres qui décident dans le cadre du Conseil des ministres. Pratiquement, tous ceux qui connaissent la réalité communautaire savent que c'est la Commission qui fait la loi .Lorsqu'un texte arrive devant le Conseil, l'affaire est ficelée ! La dite Commission fonctionne ainsi depuis un demi-siècle et n'a du rendre des comptes qu'une fois, grâce, il est vrai, à l'inénarrable incompétence de Madame Cresson ! Le Parlement est cogéré par les libéraux et les socio-democrates. Les citoyens continuent à penser que ce sont les Etats qui font les lois quand la matrice de ces dernières est élaborée en toute opacité dans les cornues bruxelloises. Pourtant les Non hollandais et français montrent que les opinions se réveillent. D'où l'urgence de ficeler le débat démocratique en faisant que tout cela reste une affaire entre élites.

2. l'Europe serait une tour de Babel si on ne lui trouvait pas une langue fédératrice. La belle affaire !

D'abord la belle a perdu de ses charmes : associée en tant que projet à l'idée de paix, elle l'est de plus en plus( quand on veut bien demander l'avis des peuples et pas seulement celui des élites) à celle d'une zone d'impuissance, de déclin et de sous développement durable. Dans cette atmosphère de prohibition croissante on distille à l'usage du bon peuple un opium à dormir debout : la saga de l'Europe pacifique, libératrice et welfariste quand elle a remplacé la Turquie du 19eme dans le rôle de l'homme malade du continent qui porte son nom ! La réalité est d'ailleurs troublante et prémonitoire : le divorce entre le peuple et les élites tient grandement au fait qu'ils ne parlent pas la même langue.

Ensuite , il reste comme le soutiennent les souverainistes des possibilités de coopération entre pays européens sans que cela implique une intégration politique. Airbus, c'est peut être tout aussi efficace qu ‘un drapeau étoilé flottant sur fond de symphonie de Beethoven !

Enfin, si l'on ne veut pas faire son deuil d'une Europe fédérale ( mais il faudra dire aussi pour quoi faire) , il ne faut certainement pas sous estimer l'obstacle linguistique.
Dans cinquante ans , avec d'énormes investissements éducatifs et culturels mais aussi politiques, il n'est pas impossible d'imaginer une langue commune ,à condition , sans doute, de l'appauvrir. Mais cinquante ans, c'est le long terme et comme disait Keynes « à long terme on sera tous morts » !
Même si sa réalisation est difficile , il est quand même étonnant que l'on n'ait pas fait des investissement massifs sur un système de traduction automatique. On sait que l'exercice n'est pas simple mais ce n'était manifestement pas la priorité. Cela coûterait cher mais, après tout, l'UE a de larges marges au niveau des économies à réaliser en commençant par mettre fin au financement des terroristes palestiniens. Et puis, quitte à jeter le bébé avec l'eau du bain, il faut sans doute confier la Commission européenne et ses œuvres aux soins du Père Ubu ! C'est , après tout , ce qu'avaient fait les électeurs en jetant aux orties le TCE et surtout sa troisième partie ,le coucou de la Commission !

Ce qu'ont fait les Québécois mérite d'autant le respect qu'ils sortaient de l'oppression. Pour ce qui est de l'Europe, l'enjeu est de refuser le bâillonnement afin de pouvoir dire Non au déclin organisé. Mais ce n'est pas notre pauvre classe politique - Sarko soucieux de pouvoir montrer aux américains qu'il bafouille en anglais et Sego pressée de recueillir sans le texte les bons conseils de Tony Blair- qui seront d'un grand secours !