LE MINISTERE DES VACANCES ET D

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LE MINISTERE DES VACANCES ET DU RÊVE

 

 

Jules s’est finalement retrouvé il ne sait trop pourquoi au fond , au Ministère des vacances et des rêves.

Le ministère des vacances et du rêve est un petit ministère . En fait comme les vacances sont par définition du non-travail , qu’elles sont justement l’occasion d’oublier le travail et la tronche du chef, il n’était à priori nul besoin de créer un ministère des vacances. Comme les rêves viennent pendant que l’on dort et repartent comme ils sont venus sans que l’on puisse décider de ce que l’on rêvera et sans même qu’ils laissent des archives, il n’était pas besoin de faire un ministère des rêves. Sinon, pourquoi ne pas créer un ministère du vent et des marées ou un ministère de la cuisine ?

Mais la France , depuis Descartes et les Lumières est ainsi : l’Etat , dépositaire de la Raison et de l’intérêt public se doit de tout contrôler ou à tout le moins de tout administrer.

En fait , la réalité est beaucoup plus prosaïque : s’il y a un ministère des vacances et du rêve, c’est aussi parce qu’il faut caser un ministre !

Les grands partis politiques comme le parti socialiste, le RPR ou l’UDF ont pris l’habitude de s’entourer de petits partis groupusculaires qui leurs permettent de ratisser , à la marge les voix de quelques électeurs. C’est le rôle du parti radical qui a même réussi à se couper en deux, ce qui présente quand même l’avantage non négligeable d’être toujours au pouvoir. Comme le Roi de France accordait quelque fief à ses fidèles serviteurs, le Premier ministre désigné se doit d’accorder quelques fromages à ses alliés . Le ministère du rêve fait partie de ces fromages tout comme le ministère des anciens combattants qui n’en finit pas de cesser son activité faute de combattants.

Cette année là , le gouvernement a décidé de récompenser un cacique du sud ouest, à l’accent qui fleure bon le cassoulet bien arrosé de Cahors.

Le ministre prend possession de son ministère et en découvre la pauvreté : à peine un demi-milliard de francs : une misère !!! C’est qu’année après année les infâmes têtes d’œuf de Bercy taillent dans le jambon qu’ils effilent tranche par tranche. Le rêve tourne au cauchemar car le ministère des vacances n’a pas les gros bataillons de l’éducation nationale qui ont le don de se multiplier comme le feraient les gremlins . Une fois que les personnels ont été payés , il ne reste plus grand chose pour entamer des actions qui permettront au Ministre de laisser un nom dans l’histoire .

Le ministre doit d’abord se constituer un cabinet : tous les membres de son parti sont attirés par l’odeur de la soupe qui fume et bien que le parti compte très peu de membres ( ce qui s’explique sans doute par la maigreur de la soupe) ils sont quand même relativement nombreux, surtout qu’ils doivent aussi faire la place à des membres nommés par le parti majoritaire qui veut quand même savoir ce qui se passe et par de banals fonctionnaires car il faut quand même des gens pour travailler . Le cabinet du ministre tend donc à enfler comme la grenouille face au bœuf et atteint bientôt quinze pour cent des effectifs totaux du ministère. Comme il faut bien qu’ils s’occupent et comme surtout , ils doivent donner l’impression que le ministre est très actif, ils passent leur temps à organiser des réunions sans fin et même sans finalité , consommant ainsi allègrement le temps et la patience des agents du ministère . Le courrier le plus anodin doit, avant d’être expédié , transiter par le cabinet où il fait l’objet d’un examen attentif de la part d’un obscur membre qui pour bien marquer l’étendue de son pouvoir le renvoie corrigé , la dite correction étant éventuellement agrémentée de fautes d’orthographes . Car c’est une affaire des plus importantes que de savoir si le Ministre doit écrire «  Vos yeux, belle marquise, me font mourir d’amour » ou « d’amour belle marquise vos yeux me font mourir »

La Communication est toujours, depuis qu’elle a été inventée et qu’elle sert à donner du travail à quelque copine ou à quelque maîtresse un jouet magique à qui l’on prête le pouvoir d’être un Sésame universel. Le ministre va donc lui réserver cinq pour cent du budget total du ministère dont plus de la moitié pour sa communication personnelle. Car, tel un fermier général , qui sait fort bien que les choses importantes se décident à la Cour mais qui se paie sur la bête, le ministre considère avant tout la charge qui lui a été donnée comme une récompense politique et entend s’en servir comme telle.

Le ministre raffole des cocktails et autres pince-fesses . Si l’exactitude est la politesse des rois il semble qu’avec la République cette vertu ait foutu le camp. Car le ministre se fait attendre , pour bien montrer à ses ouailles que la politique du ministère ne se mesure pas en nombre de kilomètres de petits fours . Une fois arrivé, et avec un sadisme consommé, il parle , il parle et reparle sans fin : des banalités que l’on a déjà entendues vingt fois avant de libérer la horde qui va se précipiter sur les coupes de champagne et les canapés .comme pour se déculpabiliser, certains commentent ses propos : on n’est quand même pas là pour goinfrer mais pour mettre en œuvre l’action du ministère !

 

Le ministre s’est installé dans un des palais de la République et a laissé aux fonctionnaires des locaux plutôt passe-muraille donc somme toute plus adaptés à l’austérité qui doit s’attacher à leur mission . Ces lieux sont sous la coupe de deux chefs qui se détestent . Paul Auroussé est le directeur des vacances tandis que Jacques Roux est directeur de la logistique du temps libre et de l’observation du rêve.

Paul Auroussé a des yeux de veau et son ADN contient manifestement le gène de la courtisanerie. C’est la seule hypothèse soutenable , même si elle surprendrait le milieu scientifique , tant il exerce ce don avec naturel ; comme s’il était sorti du ventre de sa mère tenant dans une main une brosse et dans l’autre une boîte de cirage. En l’absence du ministre, il parle de manière quasi- inaudible sans doute par crainte que celui ci ne l’entende . Mais , en présence de celui ci, il subit une véritable métamorphose, changeant de voix et se transformant en crêpe de marshmallow. Il fait irrésistiblement penser au personnage de Migue la Lune qui dans la Guerre des Boutons est tellement mort de trouille qu’après s’être fait délester de ses boutons il s’enfuit en laissant derrière lui une trainée malodorante.

Mais la comparaison s’arrête la : d’abord, Paul Auroussé n’est pas sous les ordres de Maurice Papon et n’a donc pas à appliquer des instructions qui révulseraient sa conscience . Il est sous les ordres d’un ministre bonasse , un peu gâté par sa maman et dont le seul véritable vice est de faire des caprices et de trépigner de colère quand il n’a pas son jouet. D’ailleurs , Paul Auroussé est socialiste, qu’on se le dise et ses convictions politiques ne doivent pas être mises en doute. Sans doute , ce qui est à lui est à lui et ce qui est aux autres est négociable mais le PS a ses martyrs, comme Pierre Bérégovoy . Sans doute Pierre Bérégovoy était il ouvrier tourneur et Paul Auroussé fait plutôt figure d’auto-stoppeur un peu louche que le parti aurait ramassé sur le bord de la route . Il préfigure la gauche plurielle dans le sens où celle-ci n’est pas avare d’ouvrir ses portes aux canailles. Il est un parfait clone de la mitterrandie , déjà sur le déclin.

Mais Paul Auroussé a une qualité remarquable : sa capacité de résistance qui est moins celle de la bernique , accrochée à son rocher que celle du culbuto qui se redresse dès que l’on relâche la pression ce qui amène ses interlocuteurs à jeter l’éponge par lassitude. Dans un aveu d’impuissance, le directeur adjoint de cabinet résume le personnage : « Auroussé, vous lui tapez dessus , il git KO par terre ; Vous avez à peine le dos tourné qu’il s’est déjà relevé pour aller vendre sa salade à d’autres « C’est bien là ce qui distingue les animaux politiques des autres : jeté par la porte (il retrouve un jour son bureau fermé à clé) il rentre par la fenêtre quelques mois plus tard Il est caractérisé par une totale insensibilité aux insultes et crachats, et a un sphincter si accueillant qu’il pourrait accueillir la bite du Père Dupanloup .

 

Le Ministre ne sait trop quoi inventer pour faire parler de lui . Plus exactement, ses conseillers, créatures de la Gauche Caviar sont toujours pleins d’initiatives généreuses à lui soumettre . Car la Gauche Caviar est surtout sensible à l’injustice quand elle est immortalisée sur la pellicule . Un cirque humanitaire est-il envoyé en Bosnie que le Ministre des vacances et des rêves ne saurait demeurer en reste. Il doit apporter sa contribution à l’humanité souffrante . On pourrait bien offrir des vacances à quelques pensionnaires de maisons de retraites en fin de vie ! mais vous voyez le ministre photographié au milieu d’un groupe de petits vieux et plus encore de petites vieilles incontinentes dont l’une risque de dire qu’elle n’aime pas la langouste et que le jambon purée du réfectoire leur a manqué !

Non , appartenant à un parti qui se veut résolument tourné vers l’avenir , incarnant la jeunesse et le progrès il lui faut soigner son image dans ce sens. Et si on invitait des enfants kurdes ? propose Annalise Pranchère - Duval conseillère branchée et grand échanson de la comm. au cabinet.  Non seulement ceux là ne risqueraient pas de se plaindre mais au surplus cela donnerait une dimension internationale au Ministre . On imagine cette fois le ministre , photographié au milieu de garçons et de filles aux yeux clairs et au teint basané : y a –t-il un plus beau symbole au service de l’anti-racisme , de la solidarité Nord –Sud et une plus belle communion avec la jeunesse et l’avenir de l’humanité ? Tout le monde approuve cette initiative particulièrement audacieuse . Le Ministre, pour faire bonne mesure donne son feu vert tout en soulignant que tout cela ne doit pas obérer ce qui reste la tâche principale : le travail avec les professionnels pour améliorer les performances du secteur car , même s’il faut développer la coopération internationale, nous sommes en guerre économique .

Mais la réalité est cruelle pour ce pauvre ministère strapontin où le bon sens est toujours en vacances et les rêves trop souvent brutalement interrompus. Le Ministère des affaires étranges ( comme ont dit parfois ici) dont les membres qui se respectent parlent toujours la bouche aussi serrée que leur sphincter et qui n’aime guère que l’on se mèle à sa place des choses internationales et le ministère de l’intérieur, contactés ( on ne vient pas du Kurdistan comme on vient de Bruges ou de Kaiserslautern ) ont moyennement apprécié cette initiative en rappelant que si la Présidente de la République a pu ainsi faire venir cinq cent kurdes dont doit s’occuper une vague préfecture auvergnate qui a ramassé le gros lot, le Ministère des vacances et du rêve n’est pas l’Elysée. Exit donc cette opération de promotion de la France en Asie mineure.

La conseillère branchée qui se voyait déjà en doctoresse Kouchner répondre à une interview de France 3 ou de Arte fait une ultime tentative : dans ce cas pourquoi ne pas inviter des enfants Roms ? Et quoi encore répond le Directeur de Cabinet : pour avoir à la fois des emmerdements avec les Hongrois et les Roumains et qu’ils dévalisent la moitié des magasins quand ils seront sur place. Tout en faisant une moue devant le caractère franchement politiquement incorrect de tels propos, mais en courtisane avertie, elle ramasse ses propositions dans son petit sac et on passe à autre chose.

 

Que le contribuable se rassure ! Les palais de la République ne sont pas uniquement le lieu de tant de futilités . Dans toute administration , le pouvoir change logiquement, et sauf exception , tous les trois ans. Le premier travail auquel se livre le nouvel arrivant, qu’il soit ministre, directeur , sous directeur voire même chef de bureau , est de réformer la structure dont il vient d’hériter pour la rendre plus efficace.

Ce comportement doit pouvoir trouver une explication scientifique et doit tenir partiellement, mais seulement partiellement, à cette partie reptilienne de notre cerveau dont parle Henri Laborit. Les chiens marquent leur territoire en pissant tout autour. Mais les hommes ne sont pas des chiens et ont des comportements plus civils et moins polluants. A la différence des chiens , ils ont conscience de l’existence de la mort et aussi de son importance et de sa représentation sociales.

Changer la structure revient donc à organiser symboliquement les obsèques de son prédécesseur et à faire du passé table rase pour construire sinon un monde meilleur, du moins un instrument plus efficace pour la conduite du service public. Très souvent , cette réorganisation s’accompagne de déménagements car le nouveau responsable entend donner une représentation spatiale à sa conception de l’organisation de son pouvoir . Chacun reçoit sa place plus ou moins près du maître Cela s’accompagne toujours d’un nombre incroyable de réunions aussi longues qu’ennuyeuses pendant lesquelles on encule les mouches pour savoir si le nouveau département doit s’appeler département de l’économie des vacances ou département de l’économie et des vacances . Après de longues semaines , voire de longs mois, on obtiendra un nouvel organigramme que le responsable pourra présenter à ses visiteurs , lesquels s’en foutent comme chacun se fout de ces brochures de présentation dont toute entreprise ou organisation continuent obstinément à charger le visiteur qui devra s’en délester dans la première poubelle venue.

Mais il se trouve aussi des obsessionnels qui vont les archiver jusqu’à ce que leur bureau ressemble à une bibliothèque. Enfin des fainéants qui les accumulent dans leur cartable ou leur bureau et ne tardent pas à être envahis par ces éditions aussi onéreuses qu’inutiles. Car personne ne les lit et ceux qui le font devraient être légitimement sanctionnés pour perdre leur temps à quelque chose d’aussi inutile Mais avec la dictature de la Communication, qui oserait ne pas avoir sa brochure de présentation. Ce serait symboliquement une mort sociale . Qu’on se le dise , telle l’eau bénite à l’entrée des églises, on ne peut prétendre s’en passer !

S’il en va ainsi, si le Pouvoir n’a pas dit une fois pour toute que cela suffisait et qu’il existe des jouets plus intéressants surtout quand le rôle du Père Noël est assuré par le contribuable, c’est que finalement tout ce temps perdu permet aussi d’étoffer l’emploi du temps des agents . Aucune entreprise privée ne pourrait se permettre ces permanentes élucubrations organisationnelles sans connaître rapidement les affres de la faillite.

Mais l’administration est aux entreprises ce que les cellules cancereuses sont aux cellules normales  . Sa tendance naturelle est à la prolifération et à l’immortalité . La chirurgie y est quasi impossible , la chimiothérapie permet un temps de contenir la tumeur qui progresse à nouveau dès que la pression se relâche . Il faudrait sans doute inventer une sorte de thérapie génique qui permettrait de transformer les comportements des multiples cellules qui la composent mais ce n’est pas pour demain. En tout cas, que faire pour éviter qu’au vu des tendances observées , il y ait dans un avenir raisonnable plus de fonctionnaires au ministère de l’agriculture qu’il n’y aura de paysans !

Non seulement le ministère des vacances et des rêves n’échappe pas à la règle mais il excelle dans cet exercice. Chaque responsable de service démontre, par le biais de notes aussi substantielles que nombreuses qu’il n’est pas en mesure d’accomplir ses missions car il lui faudrait pour cela un effectif supérieur d’au moins vingt cinq pour cent . Sans doute les gardiens du temple de Bercy font-ils bonne garde : il n’y aura pas, cette fois d’effectifs supplémentaires : il faudra donc se débrouiller avec les moyens du bord. Un chef d’entreprise sacrifierait les activités qui sont les moins utiles ou les moins profitables. Dans l’administration, où les indicateurs de profit sont remplacés par un système de signe, rien de tel : on changera cinq fois l’organigramme mais l’affectation des moyens restera peu ou prou la même.

 

Ce matin, le Ministre est arrivé guilleret au ministère. Il a rencontré la veille le Premier Ministre. La situation est calme, lui a dit ce dernier. » Il faudrait peut-être en profiter pour faire une opération de communication qui mettrait en valeur des éléments de notre politique. Tenez, par exemple , dans quelques mois , cela fera quatre vingt ans que Paul Lafargue est décédé . Le Droit à la Paresse, vous savez ! Bon, d’accord 100 ans cela aurait été mieux mais je vous rappelle que les élections , c’est en avril de l’an prochain Cela pourrait être une bonne occasion de mettre en avant le Ministère des vacances, qui lui doit quand même beaucoup. Surtout que dans six mois nous avons la présidence française de l’Union . On pourrait envisager une commémoration de l’événement à l’échelle de la Communauté.

A neuf heures pétantes, il appelle Auroussé et Roux. Une réunion aura lieu au cabinet à 10 heures.

Le Ministre rapporte les propos du Premier Ministre et fait un tour de table . Chacun y voit une idée tout à fait intéressante mais on s’interroge sur les modalités . Paul Auroussé a rarement des idées : les courtisans ne sont pas là pour faire dans l’originalité . Ils sont au ministre et à tous ceux qui sont haut perchés ce que le Renard est au Corbeau. Jacques Roux fait profil bas. Il a très vite compris qu’il va devoir mobiliser une partie de ses troupes pour une opération qui tournera en eau de boudin mais peut être pas avant six ou huit mois. Il craint surtout qu’il faille trouver des sous et qu’il ait, dans ce cas, du mal à défendre les études thématiques qu’il a programmées sur les décisions des consommateurs en matière de vacances . Tenterait-il de les défendre que l’infâme Paul Auroussé ne manquerait pas d’aller rapporter au directeur de cabinet que son collègue traîne la jambe, pis qu’il savonne la planche du Ministre. Seule Annalise Pranchère- Duval est proche de l’orgasme . Quel beau programme que de célébrer la contribution du gendre de Karl Marx tout en mettant en évidence la vocation profondément sociale du ministère !

Elle laisse les participants échanger quelques propos complètement creux . Le Directeur adjoint de Cabinet propose une opération conjointe avec le Ministère de l’éducation nationale pour que Lafargue soit raconté aux enfants. Le Ministre fait observer que ,médiatiquement, ce n’est peut être pas très astucieux de louer, devant les têtes blondes et celles qui le sont moins le droit à la paresse. Pranchère –Duval , passant la main d’un air lascif dans ses cheveux surenchérit « C’est avant tout une opération de communication dont il faut maximiser les effets ». Paul Auroussé d’un petit sourire fait signe au Ministre qu’il approuve. Ne lui a-t-il pas dit ou plutôt laissé sous entendre que son directeur-adjoint était incompétent. ?

Au bout d’une demi-heure de vasouillage, Annalise prend la parole . «  Je crois que cette opération est une aubaine, si comme je le suppose, vous souhaitez, Monsieur le Ministre, inscrire votre nom dans la durée. Pourquoi ne pas imaginer que dans chaque département, si possible sur un site remarquable , ne soit érigée une sculpture à la gloire de Paul Lafargue, qui rappellera aux visiteurs la gratitude qui doit être la leur envers cet homme à qui ils doivent quand même d’avoir des vacances ?

Le Ministre enlève ses lunettes, reste silencieux dix bonnes secondes. L’assistance retient son souffle. «  Et concrêtement, comment voyez vous cela ?

«  On pourrait conduire cette opération avec le Ministère de la Culture mais les expériences que nous avons eues jusqu’à présent ne sont pas concluantes. Ces gens-là nous vouent un souverain mépris et ne sont intéressés que par l’argent que nous pouvons apporter, c’est à dire une misère. Non, je crois qu’il convient d’organiser un concours, de proposer à des artistes connus de réaliser une sculpture , de retenir la meilleure. Ensuite, il conviendra de vendre l’idée aux collectivités locales et là nous pouvons nous appuyer sur nos structures déconcentrées et nos partenaires de province. Imaginez le nombre d’inaugurations que vous pourrez faire, Mr le Ministre .

Le ministre hocha la tête.

Paul Auroussé, un peu vexé que cette espèce de pétasse , comme il le chuchotait parfois, ait eu la vedette souligna que l’idée était riche mais qu’il faudrait éviter, pour la communication de Mr le Ministre , que son nom ne fut associé à la paresse . Le message qu’il conviendrait de faire passer devait être positif , comme le droit au …vacances. Il avait marqué une hésitation car il avait failli dire temps libre c’est à dire offrir un cadeau à son adversaire détesté. Car Paul Auroussé était particulièrement attentif au choix de ses mots. Chaque terme était rigoureusement choisi comme l’araignée pose chaque fil de sa toile.

De retour dans son bureau , Auroussé convoqua ses collaborateurs de toute urgence car , pour lui, tout était toujours urgent. Il exposa brièvement le projet du ministre puis demanda qu’on lui préparât , dans les deux heures une note dans laquelle serait proposé un plan de conduite de l’opération dans laquelle la direction des vacances aurait bien évidemment un rôle central . Il fallait, absolument, dans son esprit, dépouiller les services de la Communication de la conduite de cette affaire. Il savait Annalise Pranchère-Duval plus portée sur le bavardage et le « m’as tu vu » que sur le travail et savait qu’il avait un avantage de ce côté.

Auroussé harcela le malheureux sous-directeur qu’il avait chargé de la rédaction de la note . Il était en effet en permanence extrèmement anxieux et ne souffrait pas d’attendre, ce qui l’amenait parfois à réclamer trois fois en une heure le produit de sa commande. Sous le coup d’une heure et demi, Roucas,- c’était le nom du malheureux- déposa le fameux document. Il y apporta maintes corrections et après quatre aller et retour , après avoir tourné et retourné son stylo, il signa le document puis fit appeler un chauffeur afin de le porter lui même au ministre. Ce dernier étant à l’extérieur, il attendit trois bonnes heures avant de pouvoir lui remettre le parchemin . Se contortionant il lui tendit la lettre en balbutiant qu’il avait immédiatement mobilisé ses services pour la conduite de cette opération.

 

L’affaire fut mise en route et pilotée par les services d’Auroussé . On organisa le fameux concours. Cinq propositions parvinrent au Ministère et on en retint une , celle de Colli, un des artistes les plus branchés du moment, non sans de longs palabres. L’œuvre d’art ne représentait rien qui ressemblât à quelque chose d’identifiable . Mais Annalise avait emporté la conviction du jury , en soulignant que puisqu’elle ne faisait penser à rien, il faudrait y apposer une plaque commémorative qui fournirait l’occasion de rappeler pour l’éternité que cet hommage au père des vacances avait été rendu par le Ministre. Paul Auroussé ne pouvait évidemment rien trouver à redire à de tels arguments et se contenta d’aller raconter partout qu’il avait soufflé cette idée à la responsable de la Comm.

 

L’affaire avait cependant coûté quelques millions de francs qu’il fallait trouver. Le ministre prétexta que son budget communication était déjà engagé et qu’il serait bon que les services apportent leur contribution. Les craintes de Jacques Roux étaient fondées. Ses dotations furent dévastées sur l’initiative d’Auroussé qui mit en avant la dimension onirique de la sculpture. Or , le rêve relevait de la compétence de la direction de Roux !

 

Deux mois plus tard, le Ministre, la moitié de son cabinet , Auroussé et Roux ainsi que leurs principaux collaborateurs, soit au bas mot une trentaine de personne rejoignirent Montpellier par un vol Air Inter puis , de là se rendirent à Carcassone où ils furent accueillis par le Préfet. La veille, un autre avion avait acheminé Annalise Pranchère-Duval et la fameuse sculpture . Le maire n’ayant pas souhaité que cette dernière fut exposée en face de la mairie , c’est au pied des remparts qu’on lui trouva un emplacement. L’endroit était un peu à l’écart du passage des visiteurs et constatant le fait, le Ministre piqua une colère en menaçant ses collaborateurs de les virer sur le champs. Mais c’était bien tard. On avait du creuser une excavation d’un bon mètre pour poser cet imposant ouvrage dont la partie émergée avoisinait le double. A cette occasion, on abattit malencontreusement un infortuné panneau de signalisation Au pied de cette masse informe de couleur cuivrée était fixée une plaque bleutée de cinquante centimètres sur quarante. Y figurait en lettres d’or l’inscription suivante « En hommage à Paul Lafargue, à qui vous devez aujourd’hui le droit aux vacances et au temps libre, Henri Montensac, Ministre de la République a inauguré ce monument le 27 avril 1989 « 

 

Dans l’attente de l’avion qui les ramenait à Paris , Paul Auroussé s’étonna auprès du Ministre que Jacques Roux ait été à ce point inattentif quant au choix de l’emplacement. N’était-il pas responsable de la logistique ? Un tantinet agacé, le Ministre lui fit savoir qu’il devait s’entretenir avec une journaliste du Midi Libre qui n’était pas au rendez-vous. Auroussé lui proposa immédiatement , dans le cas où celle-ci serait en retard de répondre lui même à l’interview et de ne revenir que le lendemain. Le Ministre répondit sèchement : non c’est Pranchère qui va s’occuper de cela . Auroussé, prêt à déféquer, se répandit en propos approbateurs . Chacun monta dans l’avion et après cette journée de gloire on rejoignit Paris.

 

Dans les semaines qui suivirent, le Directeur de Cabinet convoqua Auroussé , Roux et Annalise Pranchère Duval pour leur demander quels étaient les résultats de l’opération Lafargue et notamment combien de départements avaient déjà choisi d’acquérir un exemplaire de la fameuse sculpture . Un silence gêné se fit jour . Content, pour une fois de rendre le coup de pied de l’âne, Roux fit observer que sa direction avait déjà apporté une importante contribution financière et que la mise en œuvre de la suite était l’affaire des services de Communication qui avaient eu cette intéressante idée . Annalise Pranchère – Duval , que l’on sentait déjà prête à dénoncer un complot sexiste, se contenta de rappeler qu’elle était membre du cabinet et qu’elle ne pouvait agir qu’avec le support des services . Auroussé nota alors que les relations avec les collectivités étaient plutôt de la compétence de la direction de la logistique ce que contesta Jacques Roux en rappelant qu’il avait affirmé l’inverse trois semaines plus tôt.

Devant le courroux du directeur de cabinet, Pranchère-Duval fut obligée de confesser que les résultats étaient bien maigres. Les conseils généraux d’opposition soit n’avaient pas répondu, soit avaient fait savoir par des voies diverses que la célébration du droit à la paresse et d’un suppot de la Gauche marxiste ne faisaient partie ni de leurs valeurs, ni de leurs priorités. Quant aux Conseils généraux de gauche , ils faisaient aussi la sourde oreille, prétextant du prix élevé de l’opération , ou invoquant simplement le fait qu’ils auraient préféré faire travailler des artistes locaux. Certains élus, manifestement moins courtois, firent savoir ici et là que cette espèce de chose informe et ridicule n’aurait jamais dû voir le jour. Paul Auroussé proposa de charger le malheureux Roucas de relancer les autorités locales . Il suggéra aussi que le ministre cible plutôt ses amis politiques , c’est à dire des maires . Le Directeur de Cabinet lui rappela qu’ils n’étaient pas si nombreux et que leurs communes, souvent petites n’avaient pas les moyens de faire face à la dépense .

Le problème était grave : Le Directeur de Cabinet du confesser que le coût de la sculpture était plus important que prévu et que l’on avait escompté sur la commande d’un certain nombre de copies pour amortir le coût de l’original, lequel s’élevait en fait à 20 millions !

L’affaire tournait à la catastrophe pour le Ministre . Non que la somme fut importante à l’échelle du budget de l’Etat , mais elle l’était déjà beaucoup plus à l’échelle du ministère des vacances et du rêve et surtout, la photo de l’objet avait été publiée dans le Canard Enchaîné et suscitait les gorges chaudes de l’opinion.

Une semaine plus tard , un lundi à 19 heures 30 Montensac virait Annalise Pranchère –Duval . A vingt heures dix Paul Auroussé l’appela de sa voiture pour lui proposer qu’un service de la Communication fût créé au sein de sa direction . Le ministre eut un baillement de lassitude et lui raccrocha au nez.

Montensac ne savait pas, ce soir là, que trois ans plus tard, un vague directeur de la ville de Carcassone , devant organiser des travaux de réfection des remparts, fut avisé que les ouvriers allaient être gênés par la présence d’une décoration qui servant de perchoir aux pigeons était couverte de leurs excréments. Notre fonctionnaire municipal donna l’ordre qu’on l’enlevât, puis se rappelant les bienfaits du 1% culturel et aussi qu’il avait un ami, principal de collège , dans l’ouest du département , il lui passa un coup de fil pour savoir s’il ne voulait pas éduquer ses fils de paysans d’élèves aux secrets de l’art moderne, en déposant l’objet sur la pelouse à l’entrée de l’établissement.

Dès le lendemain, il envoyait un véhicule de la mairie livrer le précieux objet. On avait évidemment fait sauter la plaque pour éviter de laisser des traces de ce qui pourrait apparaître comme un enlèvement de bien culturel et on planta l’objet au beau milieu de l’herbe.

La salle des professeurs, bien qu’imprégnée du savoir et de la culture qui est propre à ce corps de métier, se demanda ce que pouvait être cet objet insolite. Quelle réponse pourrait on apporter à la légitime curiosité des élèves et des parents ? On se creusa la tête pendant une bonne semaine puis le principal lui même fut saisi d’une idée que chacun s’accorda à trouver, sinon géniale, du moins salvatrice. Cet objet, qui ne ressemblait à rien ne pouvait être qu’une météorite.

Ni Colli, ni Montensac, ni Analise Pranchère –Duval n’avait imaginé que la politique de Communication du Ministère finirait là où elle avait commencé : dans une dimension extra-terrestre.

 

 

Quelques mois avaient passé pendant lesquels Paul Auroussé s’était répandu en de nombreuses et frénétiques tentatives visant tantôt à annexer des missions relevant de la Direction adverse, tantôt à créer des doublons au sein de sa propre direction . Comme les Capétiens n’avaient eu de cesse d’agrandir, roi après roi le pré-carré du comte de Paris, il tentait d’agrandir son dérisoire Royaume . Avec des résultats nuls ou insignifiants qui auraient découragé même le chat le plus acharné à la chasse aux souris. Mais Auroussé, lui, ne se décourageait jamais , comme si quelque chose lui avait été enlevé dans la prime enfance qu’il lui fallait récupérer au prix d’un harassement aussi permanent qu’odieux de ses collaborateurs et de courbettes auprès du ministre. Le plus étonnant était que ce dernier continuât à supporter cette carpette sur laquelle il avait du tant de fois s’essuyer les pieds qu’elle était désormais vouée au statut de serpillière.

 

Mais les élections vinrent, caractérisées par une raclée mémorable de la Gauche , qu’elle soit caviar ou pas . La droite revint , moins vengeresse que quelques années plus tôt, parfois même au grand soulagement de fonctionnaires de gauche qui espéraient le grand nettoyage des écuries d’Augias.

Le nouveau ministre avait cette fois désigné une sorte de maire du palais : Bernard Helter. On lui prêtait une réputation de sérieux, de gros travailleur en même temps qu’un tempérament requinoïde . Certains ne manquaient pas d’annoncer que le temps était bientôt venu , ou comme dans les « dents de la mer », on apercevrait, au milieu d’une grande flaque sanglante la face de Paul Auroussé , figée dans l’horreur d’un ultime supplice. On annonçait que le requin avait goûté ….

Paul Auroussé prenait rarement des vacances car il savait que sa carrière exigeait une présence de tous les instants, moins pour éviter les mauvais coups des nombreux ennemis qu’il s’était fait que pour inlassablement préparer de nouveaux coups tordus et savonner la planche de ceux qui, ayant eu le tort de s’absenter, se retrouveraient qui, déchargés d’une mission, qui amputé d’un poste budgétaire . De plus, dès qu’il avait le dos tourné, un imprécateur , dans le plus lâche des anonymats affichait de fausses notes du directeur le ridiculisant de la manière la plus cruelle. Il avait bien tenté d’interroger ses collaborateurs les plus directs sur l’identité du misérable . Devant leur mutisme, il avait même fait une ultime tentative : si vous ne voulez pas me dire qui c’est, dites moi au moins qui ce ne peut pas être ! sans aucun résultats.

Paul Auroussé n’osait même plus s’absenter ne fû-ce qu’une journée tant il pétait de trouille . Il avait cette conviction confuse qu’aussi longtemps que ses fesses réchaufferaient la chaise qui se tenait derrière son bureau, rien ne pourrait lui arriver. A tout le moins, il pourrait résister, envoyer quelques notes de diversion puis bloquer la porte pour empêcher l’entrée du bourreau , s’accrocher enfin à son bureau car… tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir !

 

Paul Auroussé avait toujours fait du téléphone un usage hypertrophié . Il était courant que recevant un interlocuteur pendant une heure, ce dernier ne put s’expliquer ou dialoguer que pendant cinq minutes, les cinquante-cinq minutes étant consacrées par le Directeur à répondre aux incessants appels extérieurs. Même si quelque charlatan comme notre époque en produit à la pelle avait pu établir qu’une pratique aussi intensive de cet appareil était dangereuse , voire que le répondeur pourrait finir par s’enraciner en métastases d’abord dans son oreille puis dans sa cervelle, il n’aurait pas renoncé . Alors il téléphonait de plus en plus comme pour se rassurer ou pour prévenir tout événement . Le résultat n’était pas toujours à la hauteur. Ayant demandé son sentiment à une connaissance assez influente, qui était un proche d’Helter sur ses chances de survie, il se vit répondre laconiquement : « aucune » !!!

 

Le requin faisait des ronds dans l’eau. Au fur et à mesure il se rapprochait . L’angoisse devenait insupportable mais la frappe fut brève. On ne vit même pas trop de sang. Entre temps, Auroussé avait passé ses derniers jours à envoyer des cartes de vœux (aux frais de l’administration et donc du contribuable bien sûr) . Il en envoya environ 3000 !!!

« Les dents de la mer » ont donné lieu à quatre épisodes, tout comme le Comte Dracula renaît de ses cendres et tout comme Alien sait se réincarner . Paul Auroussé n’avait pas manqué, avant la fin du film, de préparer les conditions de son retour.