Le camembert de précaution

                                         LE CAMEMBERT DE PRECAUTION (écrit en 2001)

 

 

 

La Commission Européenne s’ennuyait: après avoir pondu une enième directive sur la longueur des perchoirs à poule et le confort des animaux de basse - cour (elle aurait quand même pu s’occuper de celui des animaux de Cour, peut être moins nombreux, mais contraints, chaque jour que Dieu fait, d’ user leurs genoux et leurs mains à cirer les pompes), elle s’avisa d’innover.

Un obscur Commissaire suédois (entendons par là de ce pays sinistre ou naquit Big Brother et où il continue d’être vénéré comme héros national par une population devenue consentante à tout pour avoir été tant de fois décérébrée) s’avisa que le principe de subsidiarité devrait être utilisé de manière plus dynamique.

Le principe de subsidiarité signifie que chaque pays membre doit implémenter la législation européenne en s’appliquant à respecter ses buts mais reste maître des moyens utilisés pour y parvenir. Somme toute si le citoyen français, allemand ou belge doit être sodomisé, l’Etat a le choix de la taille du membre ou des lubrifiants, s’il souhaite y recourir.

Or c’est précisément dans cette situation que notre Commissaire voyait une forme de gaspillage des énergies qui comme chacun le sait sont le pétrole de cette population blondasse, insipide et inodore qui franchit cependant épisodiquement la mer Baltique pour se saouler à la Tuborg sur les plages danoises à l’abri du regard de ses mollahs fonctionnarisés. Tant de hargne à l’encontre de ces descendants des vikings ne tient pas à cette féroce rancune que nous réservons généralement aux Boches ou aux Roastbeefs , les premiers , coupables de s’inviter trop souvent dans notre beau pays, les seconds, d’avoir brûlé Jeanne d’Arc- ce qui, comme dit Laurent Gerra , témoigne d’une certaine humanité puisque, au regard de leurs pratiques culinaires, ils auraient pu aussi bien la faire bouillir. Elle n’est pas due non plus au fait que ces gens là disent haut et fort que la France est un beau pays et qu’il est dommage qu’elle soit habitée par des Français : En effet, imaginons ce que serait la France si ses habitants éructaient un langage qui doit être compris par les phoques et les ours polaires tant il est proche de ce que l’on peut entendre dans les parcs zoologiques .

Non ! comme il y a depuis plus de deux décennies et on doit faire avec, la République Islamique d’Iran, on a vu naître , sans trop s’en apercevoir le Royaume féminique de Suède , à cette différence près que l’on se demande ce qu’il fait en Europe alors que très manifestement il ressemble plus à un reliquat de pique-nique abandonné dans la déroute de l’Union Soviétique . C’est en effet un système qui tient un peu d’ un aggiornamento tardif de la dictature du Prolétariat estampillée par Lénine et consorts. A la différence de la démocratie libérale qui repose théoriquement sur la souveraineté des citoyens, la démocratie populaire est en effet organisée en deux classes : la première, appelée prolétariat a des droits ( enfin ceux du parti) !!tandis que la seconde , composée de bourgeois, de koulaks et autres exploiteurs du peuple a le choix entre le Goulag et une balle dans la tête . La Suède a aujourd’hui divisé la société en deux parties : les femmes , qui en sont –dialectique oblige – la fraction progressiste et éclairée mais souffrante parce qu’exploitée et les hommes composés justement d’exploiteurs, de voyeurs et de violeurs potentiels. La Suède qui est comme chacun sait la figure de proue de l’innovation sociale, qui a repris le rôle qui fut celui de la France révolutionnaire pour donner des leçons de morale urbi et orbi, a , qu’on se le dise, mis fin au plus vieux métier de l’Humanité : la Prostitution, et ce d’une manière radicale. Une analyse sommaire mais de bon sens conduirait à penser que , dans l’état de nécessité , l’homme est plutôt porté à voler tandis que la femme , plus faible ou courant moins vite devant les gendarmes préfère ouvrir ses cuisses à celui qui lui ouvrira son porte monnaie. Si le vol a toujours choqué plus que la prostitution, peut être parce que le volé est rarement demandeur, personne n’avait encore pensé à inculper le commerçant dévalisé ou le passant détroussé pour avoir en quelque sorte, tenté le voleur, sauf peut être quelques gauchistes mentalement dérangés . La social-puritanie suédoise , convaincue que le sexe doit être mis hors marché ( imaginons que demain les technocrates bruxellois , en mal d’espièglerie veuillent créer un marché européen du cul comme ils l’ont fait pour l’électricité !), mais soucieuse quand même de protéger le commerçant a choisi de punir le client . C’est une solution extrêmement simple que l’on pourrait extrapoler à d’autres domaines pour peu que les penseurs de la Gauche caviar veulent bien s’y consacrer : ainsi le dealer pourrait être déclaré victime du fumeur de hasch qui le harcèle et le brûleur de voitures victimes de Renaud ou Peugeot qui sont des exploiteurs de la misère morale et de coupables pollueurs. A ce compte là José Bové pourrait même être réhabilité et voir ses cendres aller au Panthéon plutôt que dans les farines animales pour avoir démonté son Mac Do après avoir vomi un hamburger .

La Suède a réussi ce que les apprentis fossoyeurs de la démocratie n’avaient encore jamais osé faire : créer une citoyenneté à deux vitesses : des droits différenciés selon le sexe auquel on appartient ! Il est vrai qu’à l’époque de la loi salique , tuer un gallo-romain coûtait moins cher que tuer un Franc. Peut être cette propension au délire est-elle le lointain résultat d’un virus ramené de leurs lointaines incursions ? A moins que la longueur des nuits d’hiver ait fini par provoquer chez ces gens des mutations génétiques et que finalement la répression du sexe soit un signe avant coureur d’un passage à une reproduction asexuée comme le font les paramécies. Un cauchemar !!! imaginons que demain on clone les Suédois !!!

Ces féministes insipides et leurs suppôts masculins auraient pu penser tout simplement à mettre du bromure dans l’Aquavit, puisque cela n’aurait pas franchement altéré le goût du breuvage. On se consolera en se disant que ces gens-là sont bien étranges qui considèrent que les femmes sont si bêtes qu’il faut les protéger contre leurs propres actes.

 

Mais revenons à nos moutons !

 

Pourquoi , en effet , laisser subsidiaire ce qui pouvait au contraire constituer une dynamique pour faciliter la production de règles. Ordinairement, quand la Commission réglemente, les Etats rechignent, oublient, tergiversent, bref, traînent la jambe. Or, c’est un principe élémentaire que l’homme est beaucoup moins efficace si on lui impose des chaînes que lorsqu’on le laisse organiser lui même les conditions de sa servitude. Et puis les fonctionnaires européens, bien que nombreux, ne pouvaient, sauf à s’exposer à un risque d’amortissement accéléré , penser sans cesse des réglementations de plus en plus perverses.

La subsidiarité devait donc s’étendre à la conception même des projets : en clair, il fallait y penser; on allait demander aux Etats membres de cogiter eux mêmes les futures réglementations.

Sitôt dit, sitôt fait: le Président Giscard d’Estaing avait enfin réussi à faire valider son incomparable mérite par une ultime nomination à la tête de la Commission à l’âge de 85 ans. Il n’avait cependant accepté cet anté-ultime honneur qu’à la condition que lui fût affecté un hôtel particulier et que fût créée une garde spéciale de la Présidence. Il annonça que chaque Etat - membre serait invité à réfléchir à un projet de réglementation communautaire, dans un domaine de son choix et dans la cadre des principes communautaires, avec, bien sur l’aval de la Commission.

« Cette tâche devra être effectuée dans le cadre des principes fondamentaux de notre droit européen, c’est à dire le principe de précaution dans le cadre d’un développement durable. Le principe de précaution d’abord car chacun sait qu’il faut être précautionneux, qu’il faut faire attention: vous savez que je ne suis pas auvergnat pour rien. Le développement durable ensuite car vous savez que la croissance est éphémère si elle n’est pas durable et, comme j’aime bien, vous le savez, les choses qui vont par trois, dans le cadre. En effet, le principe de précaution est inhérent au développement durable car sans précaution le développement ne saurait durer. »

Je puis d’ores et déjà vous dire que j’ai eu, ce matin-même un entretien avec le Président de la République française qui m’a assuré de son soutien et m’a proposé que la France s’associe à notre démarche en choisissant comme thème de sa réflexion ce qui constitue une véritable institution nationale c’est à dire le Camembert. Un groupe de travail sera donc constitué, demain, pour s’interroger sur l’avenir du camembert dans le cadre d’un développement durable soumis au principe de précaution. Je crois savoir d’ores et déjà que le gouvernement espagnol devrait, dans les mêmes conditions , s’interroger sur la Corrida tandis que les Danois le feront sur l’obligation d’utiliser l’énergie éolienne pour toutes les compétitions sportives mais cette dernière information doit être confirmée. « 

 

Ainsi fut dit et le Président VGE lança ses plus fins limiers sur l’affaire. Arnaud Fourcade - Labeyrie fut chargé, en accord avec le Premier Ministre de diriger un groupe de travail qui serait en charge de produire un rapport et des propositions. Car il était clair que dans cette affaire, l’honneur de la France, grand timonier de la conscience et de la raison universelle, exigeait que l’on produisit une prestation exemplaire et de nature à faire rougir d’envie nos partenaires européens.

 

Deux mois allaient passer pendant lesquels on apprit que le pays serait désormais privé des prises de position du Professeur Cageot .Il était atteint de la maladie d’Alzheimer. Toute une vie militante consacrée à la défense de l’Hygiène qui allait se terminer dans la pisse de l’incontinence : un vrai gâchis qui mettait une fois de plus en doute l’existence de Dieu ou renforçait l’hypothèse selon laquelle il avait mis sa toute puissance au service du sadisme. Sans doute le Professeur était-il irremplaçable, mais que l’on se console, il avait fait suffisamment d’émules pour que ses combats ne soient pas oubliés et que ses croisades continuent.

Arnaud Fourcade- Labeyrie remit son rapport au Premier Ministre.

Avec un ravissement non dissimulé, on convoqua la presse pour lui faire part des conclusions du groupe de travail. Les ministres de l’agriculture et de l’environnement ainsi que le tout nouveau secrétaire d’état à la sécurité et à la qualité alimentaire assistaient le Premier Ministre pour une prestation qui devait être remarquable.

 

Le premier Ministre sut prendre la hauteur qui convenait:

 

«Cette initiative de la Commission et du Président Giscard d’Estaing est heureuse car elle nous rappelle non seulement les responsabilités qui sont les nôtres, mais elle est, de plus, l’occasion de donner un nouveau tournant à notre politique économique et aux choix politiques et moraux qui la sous-tendent. Nous sommes responsables devant nos enfants du monde que nous allons leur léguer. Celui ci devra ouvrir durablement la voie à un vrai progrès, respectueux de la Nature. En tant qu’espèce humaine, la plus évoluée des espèces animales, nous portons cette responsabilité spéciale consistant à préserver nos congénéres animaux des dangers qui les menacent. Le plus redoutable de ces dangers est lié à notre propre activité.

Le camembert est en soit symbolique dans un pays comme le nôtre et c’est pourquoi il fallait démontrer qu’en tant que symbole il peut et doit être en conformité avec la règle commune.

 

Les conclusions du groupe de travail peuvent être résumées en trois grands chapitres.

 

La première question porte sur les conditions qui doivent présider, en amont, à la fabrication d’un camembert répondant aux exigences du principe de précaution dans le cadre d’un développement durable.

Il va sans dire que le lait servant à la fabrication de ce camembert doit provenir d’animaux sains. Cette question doit être entendue dans toute la rigueur de ce que constitue le principe de précaution. Ainsi, il est apparu au groupe de travail que la détection d’une vache atteinte d’ESB devrait conduire à interdire l’utilisation de lait bovin dans un rayon minimal de 20 kilomètres autour du sinistre. Il convient d’ajouter qu’un tel exemple doit être étendu aux autres affections . Ainsi est il proposé que chaque animal dispose d’un carnet de santé sur lequel figureront les maladies qu’il a contractées depuis sa naissance. Chaque maladie serait affectée d’un nombre de points. Le système fonctionnerait comme le permis du même nom : au delà d’un certain nombre de points perdus, l’animal ne serait plus habilité à produire du lait servant à la fabrication du camembert. Ceci vaut évidemment pour le lait, composant principal. Le statut des autres inputs, y compris quand il s’agit de services devrait faire l’objet d’études approfondies et spécifiques par un groupe de travail ad hoc.

 

Il est apparu ensuite que ces animaux devaient recevoir une alimentation qui soit conforme aux principes du développement durable et précautionneux, ce qui signifie en fait, non seulement l’interdiction de l’utilisation de produits transgéniques, mais encore, et cela fait l’objet de discutions de zones où les rejets d’azotes, par exemple, dépassent les seuils admis.

 

Enfin, car nous sommes dans un monde sans frontières, la France compte proposer que dans le cadre de l’organisation mondiale du commerce, soit affirmé le principe selon lequel, aucun produit entrant dans la nourriture ou les soins des vaches, aucun produit entrant par ailleurs dans la fabrication du Camembert ne puisse provenir de pays ne satisfaisant pas aux exigences sus- mentionnées. Somme toute, il s’agirait d’ajouter à la clause de la nation la plus favorisée, une clause de la nation la moins précautionneuse, interdisant à tout état membre d’acheter des produits dans un pays ne respectant pas les règles en question.

 

Mais le développement durable et précautionneux ne concerne pas seulement les conditions de fabrication du Camembert. C’est la une approche classique et il faut y ajouter une approche délibérément nouvelle inspirée par les dernières avancées en matière écologique.

 

Ainsi, le groupe de travail est-il d’avis que les animaux produisant le lait, composante principale du camembert précautionneux, devront être traités selon les principes écologiques les plus avancés. Sans prétendre à l’exhaustivité, je prendrai deux exemples:

  • On sait que les ruminants et tout spécialement les vaches, sont un gros contributeur, le plus souvent ignoré , à l’accroissement de l’effet de serre. Les vents qu’elles produisent- les pets pour être plus précis- sont abondants et sont composés de méthane. Cette situation est évidemment aggravée lorsque ces animaux ont un régime alimentaire favorisant la production de gaz.

Il est donc proposé que soient fixées des normes maximales en matière d’émission de vents. Une inspection sera créée et chargée de procéder à des contrôles, grâce à des pétomètres: en cas de dépassement des rejets autorisés, le lait produit sera déqualifié.

  • Il a été aussi suggéré par une forte minorité du groupe de travail – et on comprendra le caractère innovant pour ne pas dire révolutionnaire de cette approche – que l’on introduise des obligations en matière de respect du bien-être des animaux. Pour l’instant, je dois avouer qu’il ne s’agit que d’ idées diverses mais cependant très riches : ainsi, pourrait-on envisager que les animaux ayant contribué à la fabrication du camembert fassent l’objet d’une sorte de reconnaissance de la part des consommateurs. Celui ci pourrait prendre la forme de la mise en place d’un régime de retraite se substituant à l’actuelle formule, au combien cruelle, de l’abattage pour les animaux vieillissants. Pour ne pas imposer aux producteur des charges excessives, pourraient être créées des sortes de fermes de retraite pour ces animaux. Les créations d’emploi qui en résulteraient ne sont pas négligeables et j’ai demandé à la ministre du travail de procéder à une étude évaluative.

 

J’ajouterai bien évidemment que les principes qui ont présidé à notre action en matière d’environnement depuis plusieurs années doivent évidemment, non seulement s’appliquer mais être approfondis. Je pense notamment à la problématique de prise en charge des déchets.

Il faut, nous le pensons, saisir l’occasion pour procéder à des avancées fortes en la matière.

Ainsi, l’obligation de financer la récupération et le traitement des emballages ne suffit plus: tout déchet lié au processus de fabrication du camembert précautionneux doit être recyclé, en amont et en aval de manière écologiquement correcte: ceci vaut aussi bien pour les déjections animales que pour les déchets des laiteries mais aussi les emballages divers, ayant à tous les échelons, contribué à acheminer le camembert dans l’assiette du consommateur.

J’ajoute que contrairement à certaines critiques que j’ai entendues, nous ne sommes pas des ayatollas, et qu’il n’est pas à l’ordre du jour d’imposer des poubelles servant uniquement au dépôt des déchets de camembert, ou encore une obligation pour les vendeurs de récupérer les emballages des fromages vendus: le système serait ingérable et anti-économique. Je ne plaisante pas, il s’est trouvé certains détracteurs pour diffuser des informations mensongères selon lesquelles il serait interdit aux agents publics de consommer du camembert classique c’est à dire non précautionneux. C’est totalement faux et je démens cette information.

 

Pour conclure, je voudrais saluer encore une fois les travaux du groupe: il lui était demandé de faire des propositions d’expérimentation sur un sujet dont il faut bien reconnaître qu’il est sensible, à la fois économiquement et culturellement. Il l’a fait avec compétence et lucidité et je crois qu’après une nécessaire concertation avec les partenaires économiques et sociaux, il conviendra de faire en sorte que ses conclusions puissent être validées. J’ai demandé à mes services de proposer un projet de loi qui pourrait être soumis à l’assemblée avant la fin de la session parlementaire ».

 

Un journaliste demanda quel serait le coût d’une telle mesure, si celui ci avait fait l’objet d’une évaluation et bien sûr qui devrait payer la facture.

 

Le premier Ministre ne fut pas, outre mesure gêné:

 

«Votre préoccupation est légitime et est aussi la nôtre. Une évaluation a déjà été entamée mais vous comprendrez que dans la mesure où aucun programme définitif de mesures n’a été arrêté , il m’est difficile de vous donner des chiffres précis. C’est d’ailleurs une question qu’il revient au Parlement d’examiner. Mais surtout, j’insiste encore une fois sur le caractère expérimental de ce qui est proposé. Il ne s’agit pas de soumettre l’ensemble de l’économie aux principes que je viens de définir mais un produit déterminé qui bien que symbolique de notre culture apporte quand même une contribution modeste à nos fondamentaux. Il en résulte bien évidemment que les coûts liés à la mise en œuvre de ces mesures, si le Parlement les adoptait seraient couverts par le canal de la solidarité nationale et vous pouvez être certain qu’au nom du gouvernement, je m’y engage ».

 

La presse réserva une réaction faite de circonspection et de surprise:

Libération, toujours branché trouva osée l’initiative mais réserva une rubrique au chef de fil des Verts, Nelson Parmentier - Cresson , qui approuva sans réserve une initiative qui rompait définitivement avec l’approche traditionnelle de l’économique et du social. Enfin, le développement durable n’était plus affaire de mots.

 

Le Figaro fut plus critique, en donnant la parole au patron des patrons qui dénonça,une fois de plus, la perte de compétitivité que ne manquerait pas d’engendrer une mesure attentatoire à un fleuron de l’économie nationale.

 

Le Monde se fendit d’un article savant selon lequel la mondialisation était incontournable. Elle impliquait d’être à l’écoute à la fois de ceux qui montrent le chemin de ce que peut être un développement durable – bref celles de l’universalité - et de ceux qui souffrent pour accéder au développement. Somme toute le camembert précautionneux constituait à la fois dialectiquement le but à atteindre pour un monde meilleur et le moyen de faire accéder au développement les pays pauvres en renversant de manière décisive les termes de l’échange. Cela faisait longtemps, il est vrai que les masturbations du Monde, subventionnées par l’administration qui arrose, aux frais du contribuable, ses meilleurs fonctionnaires de la bonne parole distillait à chacun son quatre heures politiquement correct.

 

Les réactions politiques furent aussi ce que l’on attendait . Paul Kurz et Adeline Dupoix Bourgnol commirent , comme on pouvait s’y attendre,un article approbateur, pour une fois , et matière oblige, dans une feuille de chou de province. L’opposition de droite cria à l’emploi que l’on allait assassiner mais il lui fut rétorqué qu’elle avait elle même soutenu en son temps l’inscription du principe du développement durable dans la Constitution. Le Front National surprit une fois de plus ses électeurs, en tout cas, ceux qui pensaient, naïvement, que leur chef donnait aux hommes une priorité de traitement par rapport aux bêtes . Sans doute condamnait-il cette agression apatride contre un des symboles de la Nation mais son chef soutenait en revanche cette idée selon laquelle il fallait s’efforcer de rapprocher la condition des animaux de celle des hommes.

 

Ce furent évidemment les producteurs de Camembert, relayés par les élus locaux des départements de l’ouest qui se montrèrent les plus virulents . Ils firent observer que les mesures envisagées, lorsqu’elles prendraient leur plein effet devraient aboutir, à minima , à une multiplication par quatre du prix de ce qui deviendrait un précieux fromage. C’étaient au bas mot plusieurs dizaines de milliers d’emplois qui seraient menacés.

 

Le ministre de l’emploi et de la solidarité, Alesiane Lamotte Pridal , interrogée sur une chaine du service public se montra sensible à l’argument tout en soulignant l’importance de l’image de la France et conséquemment la nécessité de respecter les engagements pris. Une réunion des Verts fit cependant pencher définitivement la balance. Ces derniers , tout en souhaitant que fut traitée l’indemnisation des producteurs, dont ils rappelaient quand même le rôle de pollueurs , tenaient cette avancée écologique pour un élément crucial de leur engagement au sein de la majorité de gauche.

 

Il fallait donc une fois de plus mettre à contribution les crânes d’œuf pour trouver une solution . L’ ouest ne risquait pas de s’enflammer car il est trop humide. Mais échéances électorales aidant, pour taxer les vaches, il fallait bien trouver un cochon de payant. L’affaire devenait d’autant plus préoccupante que le parti communiste avait déposé un amendement intitulé « droit au camembert »

Le président du groupe communiste à l’assemblée , Bob Dupinson, s’était ainsi exprimé :

«  Nous souscrivons pleinement aux préoccupations qui ont pu conduire à promouvoir un camembert précautionneux. Les grands groupes internationaux laitiers, qui exploitent les éleveurs, portent une lourde responsabilité dans la dégradation de l’environnement. Cependant, celui-ci doit être entendu de manière plus large que ne le permet une approche strictement écologique. La ruine des éleveurs causée par des prix d’achat trop bas, les licenciements massifs que prépare le patronat dans ce secteur risquent de sinistrer des régions entières. Nous sommes évidemment derrière ces gens-là.

Dans le même temps, les mesures envisagées vont frapper de plein fouet les familles les plus modestes qui ne pourront plus s’offrir sans énormes sacrifices ce qui constitue un symbole du goût populaire. C’est pourquoi nous souhaitons inscrire dans la loi un « droit au camembert » comme la Constitution prévoit un droit à la santé à l’éducation et au travail 

Ainsi , proposons nous que chaque personne dont les ressources seront inférieures au plafond retenu pour les allocations familiales puisse bénéficier d’une allocation lui permettant de compenser le surcoût lié aux mesures qui seront prises »

L’affaire n’était pas évidente : fallait il donner des tickets camembert aux plus pauvres comme il y a des tickets restaurant ( mais quelle utilité pour ceux qui n’aiment pas le fromage ?) ou fallait il verser une allocation compensatrice qui pourrait fort bien être dépensée en divers baise couillons vendus par la Française des jeux ? Si, en revanche, on se hasardait à compenser les pertes des producteurs de Camembert, on tomberait inévitablement sous le coup d’une condamnation bruxelloise qui voue aux gémonies les aides d’Etat , au nom du droit de la concurrence.

 

L’amendement Camembert fut voté par l’Assemblée Nationale , l’opposition de droite s’étant abstenue. Les sénateurs tentèrent vainement de de l’amender. Une tête d’œuf de Bercy , en s’écrasant un bouton d’acnée avait trouvé la solution. Les dépenses en camembert seraient remboursées par la Sécurité sociale, dans la limite d’un certain montant correspondant à 135% de la dépense par habitant en fromage de ce nom ( ceci pour tenir compte de ceux qui n’en mangeaient jamais et pour ne pas pénaliser les amateurs) pour tous les citoyens qui n’étaient pas imposables sur le revenu. Les préfectures étaient invitées à mettre en place un système de gestion du dispositif pour informer les citoyens et mettre en place, en collaboration avec les caisses, les associations et autres acteurs locaux les procédures nécessaires .

 

Le responsable du groupement d’intérêt public des producteurs de Camembert , Gerard Lemasson jugea insuffisantes les mesures prises : La profession s’attendait à 65% de chute des ventes, même en prenant en compte l’accompagnement social. D’ores et déjà, une firme britannique se préparait à lancer sur le marché , un produit en tout point semblable sinon qu’il était fait du lait des vaches nourries des pâturages de l’Essex ou de Cornouaille et appelé le Royalbert .Encore une perfidie d’Albion qui faisait annoncer dans sa première campagne publicitaire à une créature coiffée d’un béret et à la gouaille parisienne que le Royalbert, c’était pas de la came. C’était toujours dans les moments difficiles que ces créatures rougeaudes , hypocrites et d’une perversité d’autant plus redoutable qu’elle était toujours masquée derrière un flegme arrogant nous donnaient le coup de pied de l’âne.

Les producteurs de camembert demandèrent à être reçu par Paul Auglesse, le secrétaire d’Etat à la sécurité et à la qualité alimentaires. Paul Auglesse avait milité un certain nombre d’années contre ce que l’on appelait alors la malbouffe , pourfendant l’Oncle Sam et ses représentants partout où ils osaient pointer leur nez. Défenseurs de tous les opprimés , fussent- ils quelquefois plutôt oppresseurs et seulement oppressés par leur propre pourriture, il estimait que finalement , tout ce qui pouvait s’opposer à l’Amérique, à ses Mac Do , son Kentucky chicken et ses cookies , surtout quand ces derniers sortaient des fourneaux de microsoft, devait être soutenu.

C’est dire s’ils espéraient pouvoir obtenir un soutien dans leur combat.

Paul Auglesse les reçut . Il n’avait pas perdu le regard incomparable que lui donnaient ses yeux de bovidé. Non pas ceux de la célèbre vache qui rit sur la boîte de fromage et dont l’œil aguichant damnerait une horde de végétariens anti-mangeurs de beefsteaks, ni ceux de ces autres animaux cornus qui se demandant à quoi peuvent bien servir les trains qui passent et que l’on qualifie de bovino_ferroviaires.

Derrière des paupières épaisses et lourdes , l’œil était glauque mais on y devinait une absence totale d’émotion en même temps qu’une tranquille mais abyssale bestialité. Pas de cette bestialité animale qui fait un peu tache ! pas non plus de cette bestialité tranquille qui est, dans le silence des steppes, la seule trace de la vie et nous dit que nous ne sommes pas les seuls dans ce monde. Non ,mais bien plutôt celle qui émane de la tête de veau posée depuis trois jours sur l’étal du boucher : de la sensibilité bouchère ! De ces yeux dont on imagine qu’ils auraient pu être ceux des gardes rouges ou des sbires de Staline et de Trotsky chez lesquels le bruit de la mitraille que font les pelotons d’exécution ne provoque même pas un frémissement de paupière puisqu’on fusille pour une juste cause. Il fallait vraiment que la République soit mal en point pour que l’on ait pu confier un bout de pouvoir à ce qui devait être une trace génétique des êtres monstrueux dont sortit l’espèce humaine, avant même que ne commence la mémoire des hommes.

Auglesse n’avait pas changé de visage mais il était devenu ministre encravatté de la République et cela , comme disait la publicité , ça vous change un homme.

Il écouta, puis déclara qu’il prenait bonne note et qu’il comprenait l’émotion des producteurs. Cependant, ajouta-t-il, je ne peux me désolidariser d’une décision gouvernementale dont l’objet est d’améliorer la qualité de nos produits. J’ai passé une partie de ma vie à combattre la malbouffe .Je vous soutiendrais si ce gouvernement la défendait. Mais ce qui est en cours vise au contraire à défendre une agriculture plus respectueuse de l’environnement et je crois que chacun doit y apporter sa contribution pour le bien de tous.

Les producteurs rangèrent banderoles et bidons à lait. Le Directeur de cabinet, regardant par la fenêtre se félicita que les abords du ministère fussent enfin dépollués de tant de ringardise aussi malpropre que déplacée. Mon Dieu, que c’était fatigant , cette obligation pédagogique qui pesait sur les hommes de pouvoir, cet éreintant travail de Pénélope qui vous obligeait chaque jour à expliquer et réexpliquer à des ploucs vraiment bouchés à l’émeri que les lendemains allaient chanter à la condition que chacun sache attendre les effets de décisions qui étaient de toute manière incontournables.

 

Le gouvernement, embarrassé, se tourna vers Bruxelles : après tout, c’était la Commission qui l’avait mis dans cette situation et il revenait à cette dernière de trouver les solutions permettant de sortir de l’impasse . On lui en proposa même une : il suffisait de créer un programme spécial consacré au développement durable et qui permettrait de financer les compensations dues aux producteurs.

La Commission, volontiers dispendieuse lorsqu’il s’agit de professer le développement durable mais plus terre à terre lorsqu’il s’agit d’éliminer les effets de ses diarrhées et logorrhées comprit rapidement l’étendue de la problématique . Elle considéra d’abord que la décision française relevait de la subsidiarité et qu’à ce titre les incidences budgétaires des mesures prises devaient être financées sur des ressources nationales. La Commission n’avait pas demandé aux Etats de se sacrifier mais de montrer leur capacité à assumer l’objectif de développement durable auquel ils avaient souscrit. Dans un deuxième temps, la Commission faisait cependant une ouverture : elle acceptait que le coût de telles mesures puisse être financé par elle , à condition toutefois que ce fût par redéploiement budgétaire du budget agricole ou par prélèvement sur les fonds structurels.

Enfin, au détour d’un paragraphe de trois lignes, elle rappelait qu’il y a quelques années, elle avait proposé l’interdiction des fromages au lait crû pour des raisons de santé publique et que , somme toute, faute de compréhension de la partie française, le dossier pourrait utilement ressortir.

C’était évidemment une solution politiquement difficile pour le gouvernement français, qui, comme on aime dire dans les ministères était « dans la seringue ».

 

Dans les campagnes, la résistance avait commencé : A Caen, à Rennes, à Laval des manifestants s’en prirent aux préfectures . En déplacement à Morlaix , pour inaugurer un musée consacré au génie de la femme bretonne, Adeline Dupoix Bourgniol fut victime d’une version nouvelle de l’entartage : elle reçut en pleine face le contenu d’un saladier rempli d’un mélange de camembert et de bouse de vache. Souhaitant sauver la face ( c’était la moindre des choses,) elle déclara devant la presse qu’il était de bien mauvais goût de mélanger ces deux produits avant que d’affirmer , dans un accès de colère que puisque certains reconnaissaient que leur produit était de la merde , on ne voit pas très bien de quoi ils se plaignaient. Ce dérapage verbal fut repris par la presse mais Adeline en avait vu d’autres. Telle une bernique accrochée au rocher, elle avait vu passer vents et marées et ce n’était pas de petits trous du culs qui allaient la priver de Champagne et de petits fours.

 

Pour autant, la solution n’était pas évidente. La proposition du gouvernement d’inscrire dans les règles de l’Organisation mondiale du commerce le principe de la Nation la moins précautionneuse recueillit les ricanements des Etats -Unis et de leurs alliés. Le Sun , pour une fois en français évoquait le bon Roi Camembert qui faisait un voyage en Enfer. Fallait il pour autant renoncer ?

 

La solution vint une fois de plus d’un obscur crâne d’œuf de Bercy et fut reprise par le Ministre de l’agriculture dans une conférence donnée à la presse. Il suffisait d’appliquer au Camembert les principes qui avaient permis , en rayant de la carte des centaines de milliers d’hectares de vigne, d’éradiquer les picrates les plus infâmes au regard du bon goût et de la santé publique pour les remplacer par des cépages plus nobles auxquels on associerait des AOC.

La solution était même d’une simplicité bien plus grande puisqu’il n’était point besoin d’arracher les pis des vaches comme on l’avait fait pour les vignes. Il suffisait simplement de subventionner la fermeture des exploitations et des fromageries ne répondant pas aux critères de précaution prévalant pour la fabrication du Camembert précautionneux.

Dans les mois qui suivirent, la résistance mollit dans les campagnes normandes : les enveloppes proposées par les Préfets pour calmer le jeu étaient assez étoffées et bon nombre de producteurs laitiers en profitèrent pour mettre la clé sous la porte. Le Ministère de la Culture fut même mis à contribution puisque l’on créa un musée du Camembert dans les locaux d’une fromagerie désaffectée dans le Calvados . Mieux encore, le ministre obtint de l’UNESCO qu’il inscrive le Camembert en tant que composante du Patrimoine commun de l’humanité.

Hildelune Stohl –Becker, secrétaire d’Etat à la Santé et Paul Auglessse purent ainsi inaugurer la première fromagerie produisant le nouveau camembert. Celle-ci déclara :

«  Cette entreprise constitue un modèle pour le monde futur que nous défendons : elle l’est à trois titres :

  • d’abord au titre de l’écologie : ce gouvernement est le premier à montrer que la notion de développement durable n’est pas un vain mot mais qu’il s’inscrit désormais dans un projet politique visant à soumettre l’économique –qui revendique parfois le titre de science mais peut être un discours de pouvoir- à l’écologique dont personne ne conteste aujourd’hui que ses conclusions et recommandations doivent être prioritaires, parce qu’il repose sur une analyse incontestable du réel.

  • Ensuite au titre de l’emploi : on l’a trop peu souligné, mais la technologie qui est à la base de la conception, de la production et même de la commercialisation du camembert précautionneux est deux fois plus riche en emploi que celle qui prévalait dans le système traditionnel. Et je ne parle même pas des développements annexes que cette innovation va entraîner que ce soit au niveau du recyclage des différents extrants ou encore des programmes sociaux et culturels qui devront l’accompagner ! Le musée du Camembert , qui montre de manière particulièrement pédagogique comment les pratiques humaines ont su évoluer dans ce domaine va créer à lui seul et dans un premier temps vingt sept emplois !

  • Enfin, le Camembert précautionneux constitue une nouvelle manifestation du génie français en même temps qu’il montre que notre appareil productif doit s’orienter de plus en plus vers des produits à haute valeur ajoutée, cette dernière étant la contre-partie du savoir-faire français et de la rétribution qui y est justement associée. Il montre qu’il n’y a que peu de risques à laisser aux pays en voie de développement la possibilité de se spécialiser dans des produits de qualité moindre , associant des technologies plus pauvres en ingenierie écologique , sociale et culturelle : bien au contraire car, ce faisant nous favorisons leur développement tout en garantissant le nôtre  »

 

Hidelune Stohl Becker avait grandement raison : dans l’année qui suivit, les magasins français et étrangers furent rapidement envahis par des camemberts qui ressemblaient à des camemberts , avaient le goût du camembert mais n’étaient pas des camemberts . Un article du Figaro énuméra la liste de ces intrus : il y avait notamment le polmembert ( en fait vendu sous un autre nom) et fabriqué en Poméranie, le moldembert , initié grace à un projet Tacis par la Commission européenne et qui était produit en Moldavie , le Patamembert, qui ,comme son nom l’indique était produit en Patagonie et même le Membergol produit dans les steppes mongoles.

 

Mais le Camembert précautionneux avait résisté .

 

Sans doute sa consommation était elle réservée aux grandes occasions : il avait ainsi acquis, sur le plan culinaire le statut du foie gras et de la truffe. On en exportait même. Mais c’étaient surtout les pince-fesses de la République , toujours animés par Paul Kurz et Adeline Dupoix- Bourgnol qui constituaient le meilleur soutien pour le produit . On distribuait d’autant plus de cartons d’invitation que l’on avait désormais cette bonne conscience d’œuvrer pour le développement durable. D’ailleurs , après cette affaire de la maladie du corail, on avait aussi une excuse : le produit était sain et ne risquait pas d’altérer la santé. Au surplus , on avait même créé des emplois !

Paul Kurz , savourant un carré de camembert répliqua au journaliste un peu sceptique qui l’interrogeait sur le bilan de cette opération : «  mais enfin, si les français ne nous aimaient pas, pensez vous qu’ils nous éliraient ! »