kelenborn

KELLENBORN

 


Eglantine König -Hedam jubilait enfin. A l'occasion du dernier remaniement ministériel, François Bachy Langlois, le Premier Ministre avait enfin fait appel à elle. Certes, elle n'était pas ministre mais secrétaire d'Etat à la lutte contre les discriminations, fonction gouvernementale nouvellement créée après qu'un rapport de l'observatoire national de l'intégration eut souligné l'étendue du mal et conclu qu'il s'agissait d'un fléau national.

Cela faisait déjà quelques années qu'elle faisait le siège du pouvoir avec une belle assiduité, ne manquant aucune université d'été et plus généralement aucune occasion d'être présente là ou l'on finirait bien par la remarquer. Adeline Dupoix- Bourgniol, chasseur de tête inégalé surtout lorsqu'il s'agissait de chasser dans les parties et pince-fesses branchés qu'organisait la République, l'avait remarquée et sponsorisée auprès de son vieux complice Paul Kurz, lequel avait l'oreille du Premier Ministre.

Aujourd'hui, son plaisir était double, car à peine trois jours après sa nomination, elle avait été conviée par une chaîne de télévision à exposer les grandes lignes de son action devant une poignée de journalistes de la presse écrite et audiovisuelle. La présence d'une caméra avait toujours eu sur elle un effet quasi orgasmique. Elle minaudait, ronronnait faisait assaut de ses charmes, elle qui par ailleurs était connue de ses collaboratrices et surtout de ses collaborateurs pour être une caractérielle notoire et ne pas supporter la moindre contradiction. Elle avait entrepris défendre la cause féministe dans sa version la plus amazonesque : le monde des femmes constituait une moitié du ciel séparée de l'autre par une frontière qu'il fallait verrouiller : car au-delà, s'étendait le monde du mal , des violeurs, des pervers et pour tout dire des exploiteurs de cette partie de l'humanité qui ne pouvait être que le parti du bien contre les forces du mal. Car , en progressiste convaincue, elle soutenait volontiers que, le futur ne pouvant que générer le mieux et la femme étant l'avenir de l'homme, la féminitude était nécessairement de polarité positive.

Les journalistes s'étaient plutôt montrés aimables, non qu'ils aient vraiment été triés sur le volet mais parce que Eglantine Kônig Hedam était parvenue à se présenter comme nouvelle et à présenter le chantier comme nouveau. Et puis, vu le sujet, l'œcuménisme du politiquement correct, impliquait plutôt que l'on en rajoute dans le haro sur les discriminations et que l'on s'abstienne de laisser poindre le moindre doute sur le bien-fondé d'une telle action , ce qui serait immédiatement interprété comme une tentation « athée ». Or l'athéisme, ni même l'agnosticisme sur ces sujets, n'est de mise ! Quant au ricanement n'en parlons pas ! il doit être assimilé au sacrilège et son auteur promis au bûcher. D'ailleurs, seuls quelques rares élus sont autorisés à pratiquer l'humour dans ce domaine comme Bedos ou Djamel !! En clair c'est aussi drôle que pouvait l'être la Grande Messe. Le rire est programmé et obligé .


La règle de l'émission voulait cependant que , dans les dix dernières minutes, arrivât un invité surprise, normalement peu acquis aux idées du principal invité, et qui pouvait se charger de poser les questions que les journalistes avaient coincées sous leur langue. Eglantine König-Edam avait confié son inquiétude à sa chargée de communication et à sa directrice de cabinet lors d'une réunion de préparation , organisée la veille -même de l'émission. On l'avait rassuré : sans doute choisirait-on un représentant de l'opposition parlementaire , lequel ne pourrait se laisser aller à trop de débordements. Sinon, on lui rappellerait utilement le beau combat que fit autrefois Sainte Roselyne contre les machos du RPR. Dans le cas où ce serait , par le plus improbable des hasards quelqu'un du Front National, il suffirait alors de refuser le débat au nom du respect des valeurs démocratiques dont le nouveau secrétariat d'Etat constituait la proue avancée.

Eglantine König Hedam allait pouvoir vérifier que ses craintes étaient justifiées. Cinq minutes avant même que n'entre l'invité, elle vit que sa chargée de communication qui était assise au premier rand des spectateurs , manifestait des signes de panique et essayait de lui faire parvenir discrètement un mot. Elle eut juste le temps d'y jeter un œil que déjà l'invité faisait son apparition. La secrétaire d'Etat sentit son sang se glacer quelques secondes puis elle comprit qu'il lui fallait réprimer la rage qui l'envahissait. Ils avaient osé l'impensable : en face d'elle s'asseyait maintenant celui qui constituait son pire ennemi, la plus infâme des créatures que le monde des mâles ait pu produire : Martin Kellenborn en personne.

Martin Kellenborn était un écrivain sulfureux, auteur d'ouvrages à forte connotation érotique pour ne pas dire pornographique. La critique littéraire s'accordait cependant (et c'est ce qui faisait enrager périodiquement Eglantine König Hedam ) à trouver de grands talents d'écriture à ce provocateur « pornarchiste » comme l'avait décrit Libération.

Mais il y avait au surplus un contentieux personnel entre lui et Eglantine. Lorsque cette dernière avait demandé que fussent punis les auteurs de violences symboliques à la dignité des femmes (voir chapitre « la responsabilité objective »), Kellenborn, invité à une émission littéraire s'était, devant Abel Kellig , le nouveau Pivot de France 2 qui en était resté interloqué , livré à une attaque sanglante contre König-Hedam. Selon lui de telles déclarations traduisaient clairement le fait que cette « poufiasse » était une « mal baisée ». Puis prenant un ton de conseiller, il lui avait fait , en son absence mais devant les caméras , un cours de cinq bonnes minutes sur les avantages comparés de l'utilisation ou nom de la vaseline pour préparer la sodomie , qui constituait selon lui le meilleur médicament pour soigner les « connes » dont elle était incontestablement le chef naturel.


Kellenborn avait, conformément à une habitude dont il ne se séparait jamais, engrangé quatre ou cinq verres de whisky avant d'arriver . Il y avait quelque chose de « gainsbardien » dans ce personnage. Sans doute l'élocution était sensiblement plus claire et plus audible que celle du chanteur disparu mais il savait à merveille faire ce qui ne se fait pas normalement devant des caméras de télévision et surtout devant un représentant du gouvernement à fortiori quand celui ci est une dame. Un rien goguenard et réprimant à peine un rot il lança en s'asseyant : « Bonjour Madame Connigue » Glacée, elle répondit « Bonjour ! »

« Ben oui » fit- il « j'aime pas prononcer les trucs en allemand .... C'est allemand votre nom... alors... Comme on est en France je dis Madame Connigue !!!

L'animateur, agacé le coupa : » pouvez vous poser une première question à Madame la Secrétaire d'Etat. »

« Oui oui , n'ayez crainte : une chose m'intéresse ; ce sont les discriminations sexuelles : » De plus en plus ironique il ajouta « Non pas celles auxquelles vous pensez, et, je dirais même, ne faites que penser, ...non, je veux dire par la discrimination entre ceux à qui leur position sociale ou leur physique permet d'avoir des relations sexuelles quand ils le veulent et les autres qui en sont privés. Somme toute que comptez vous faire pour garantir un droit à baiser sans discriminations ? Je précise, si vous le permettez : notre démocratie puisqu'il paraît qu'on en est une crée des droits et des devoirs : elle a ainsi établi pendant deux cents ans que les mecs avaient l'obligation d'aller se faire trouer la peau dans des guerres que les mâles ne sont pas les seuls à avoir inventées - au passage j'ai pas vu la mère Halimi protester contre ça ! Pourquoi n'y aurait il pas pour les hommes un droit à la baise et par exemple pour les femmes un service du même nom pendant mettons allons un mois !... vous en dites quoi ?

L'animateur , abasourdi , reprit « C'est... cela ... votre question ? ... Madame la Ministre, vous souhaitez y répondre ?

Elle saisit qu'il lui faudrait occuper le terrain pour éviter ce qui pourrait devenir un désastre médiatique.

« D'abord, je voudrais dire que je ne conteste évidemment pas le droit des chaînes de télévision de faire leur travail d'information comme elles l'entendent et à ce titre d'inviter qui elles souhaitent . Qu'il me soit cependant permis de noter que les téléspectateurs, à qui on doit le respect étaient sans doute en droit d'attendre que la contradiction soit apportée par quelqu'un d'autre qu'un provocateur. Un tel déballage d'obsessions sexuelles surtout à une heure de grande écoute m'apparaît peu compatible avec certaines règles déontologiques . Au surplus, cela constitue quelque part une insulte à ceux qui, au gouvernement mais aussi dans les associations se sont donnés pour objectif d'en finir avec les discriminations dont les victimes sont toujours les mêmes c'est à dire les femmes mais aussi les étrangers et ceux qui sont en situation précaire... »

« Ben oui justement, à ce propos... »

« Laissez terminer Madame la Ministre, je vous prie »

Elle continua cinq bonnes minutes en reprenant dans une parfaite langue de bois l'argumentaire qu'elle avait développé auparavant devant les journalistes.

Kellenborn réussit à interrompre sa logorrhée

« Attendez, là, vous avez parlé des étrangers , mais les arabo-musulmans, eux , ils empêchent leurs bonnes femmes de baiser avec les européens, ce n'est pas une discrimination, cela ? Ce qui prouve bien d'ailleurs , comme l'avait dit Pim Fortuyn que l'islam est un truc d'arriérés. Alors que comptez vous faire pour garantir que les maghrébines aient un droit au sexe ? «


Eglantine König-Hedam ne put contenir sa rage . Elle lança la contre attaque sur son registre favori.

« Ce que développe ici Monsieur Kellenborn , sans le moindre des scrupules , c'est précisément ce discours qui attise la haine vis à vis des étrangers mais attise aussi les perversions pornographiques qui tôt ou tard débouchent sur le viol et les violences faites aux femmes »

« En fait, coupa Kellenborn, vous n'êtes qu'une bonne sœur castratrice et frustrée. Vous dites être progressiste, vous descendez en droite ligne des jésuites qui fustigeaient la masturbation . Vos semblables ont déjà imposé la ceinture de sécurité, vous ne tarderez pas à imposer la ceinture de chasteté pour les femmes et l'adjonction de bromure dans les boissons servies en discothèque » fit il en pointant son index en direction de la secrétaire d'Etat.

Cette dernière , aveuglée par la rage crut sans doute voir dans ce doigt tendu le redoutable pénis de ce violeur potentiel. Elle hurla littéralement.

« Ne me menacez pas ! il me menace ! c'est intolérable «

Puis elle se leva et quitta sans mot dire la salle.

Le présentateur bredouilla quelques mots et on mit en route le générique de fin d'émission.


La presse commenta largement l'événement . Si le Canard Enchaîné titra « Quelles Bornes dépasse Et Gland Pine ? » d'autres journaux se montrèrent moins tolérants devant autant de salacité. Le Nouvel Observateur , par la voix de Jacques Julliard, tout en se gardant de vouloir soutenir des positions rétrogrades souligna que Kellenborn était en fait un représentant patenté de cette France ringarde et macho, de cette confrérie de beaufs , qui croient trouver on ne sait quel plaisir pervers et morbide dans l'humiliation des plus faibles et au premier chef des étrangers et des femmes. Kellenborn était à la littérature ce que Dutroux était au plaisir sexuel : un détraqué et un pervers. Libération ouvrit même ses pages à Gabriel Cohn -Bendit. Celui-ci s'était fendu quelques années plus tôt d'un article remarqué dans ce journal où il expliquait aux jeunes gens qu'il valait mieux sucer et lécher que pénétrer. Tout en rappelant le caractère prémonitoire de ces écrits, il se lança dans une vibrante attaque contre l'index de Kellenborn, ce symbole machiste et fachiste , cet ignoble appendice sous les ongles crasseux duquel devaient se loger le sang des crimes commis contre l'humanité souffrante. Le Monde , qui ne s'abaisse jamais à descendre au dessous de la ceinture s'en teint à une critique plus esthétique contre le manque de bon goût et de tact d'un individu dans lequel on avait eu tort de voir un grand écrivain. Il invoqua la responsabilité des médias qui avaient pris le risque, par souci de l'audimat de mettre face à face le Ministre et le bouffon.


Dès le lendemain, Le Premier Ministre réunissait à dîner Eglantine König-Hedam et Adeline Dupoix Bourgniol. Il fit part de ses préoccupations : quelles que fussent les réactions de la presse l'affaire était gênante et ne pouvait demeurer sans réplique. Adeline Dupoix - Bourgniol présenta son plan. Il fallait condamner d'abord Kellenborn à une sorte de mort sociale puis battre le fer pendant qu'il était chaud, c'est à dire annoncer les mesures qui empêcheraient que de tels débordements ne se reproduisent.


Trois jours plus tard, Adeline Dupoix-Bourgniol signait dans Le Monde un article intitulé : « Pour faire barrage à l'ignoble »

La mort sociale annoncée de Kellenborn était ainsi programmée :

« Le souci de l'audimat , à moins que ce ne soit le parti pris délibéré de choquer a conduit une chaîne de télévision à donner une tribune à un individu qui a pu penser qu'une notoriété littéraire acquise on ne sait trop comment ni pourquoi, le mettait au dessus des règles communes. On a ainsi, qu'on le veuille ou nom donné une tribune à ceux qui professent la haine religieuse, et font de l'agression sexuelle leur pain quotidien. On a qu'on l'ait souhaité ou non donné une expression à une sorte de macho-fascisme insidieux et rampant. On a conforté ce qu'il y a de plus vil dans ce qui constitue le cerveau reptilien d'une partie de nos concitoyens.

Il faut l'affirmer haut et fort. No passaran ! Ceci ne doit plus jamais se reproduire. L'immonde créature que l'on a sortie de sa bauge ne doit plus jamais avoir accès à un plateau de télévision , à une émission de radio ou à un journal. Face à l'immonde la société civilisée doit répondre par la mort sociale de l'intéressé. Les intellectuels et artistes hommes qui ont co-signé ou co-signeront cette lettre dans les prochains jours s'engagent d'ailleurs à boycotter tout média qui accepterait, dans le futur, de donner la parole à celui qui ne voient que la honte dans la représentation qu'il donne de leur sexe. »


Puis elle continuait, annonçant la contre attaque :


« Ceci vaut pour l'intéressé mais il faut évidemment penser à ses émules. Aussi, dans les prochaines semaines, le gouvernement entend déposer un projet de loi visant à sanctionner sévèrement les auteurs de tous propos qui soit en dénigrant certaines religions appelleraient à la haine religieuse et ceux qui, de la même manière , par leur propos, leur comportement ou leur activité porteraient atteinte à la dignité de l'autre sexe. Dans un plus long terme , la question du statut de la prostitution et de la pornographie dans une société comme la notre devra aussi être mise à l'ordre du jour. »


La lettre était suivie d'une liste d'une trentaine de noms parmi lesquels figuraient les frères Cohn Bendit, Alain Krivine , Paul Kurz, le professeur Testard, Monseigneur Boilot et un certain nombre de sommités intellectuello- médiatiques.

Le Monde publia encore dans les semaines qui suivirent des listes ponctuelles d'intellectuels à la mode communiste puisque y figuraient pour grande partie des responsables d'associations de tous genres , des syndicalistes , des professeurs de niveau divers et variés, des ecclésiastiques , des artistes de variété , des comédiens et même un chanteur de rap.

Kellenborn était fait comme un rat. Plus aucun média n'osa l'inviter dans les semaines et les mois qui suivirent. Seul Libération crut bon de se fendre d'une courte information selon laquelle il s'était exilé en Argentine. Et Télérama en rajouta en titrant même « en suivant les petits cailloux blancs laissés derrière eux par les nazis.... »


Dans les semaines qui suivirent, un débat opposa partisans et adversaires des projets de König- Hedam. On trouvait d'un côté les anciennes combattantes du féminisme ainsi que leurs thuriféraires mâles de service, tout ce que la République compte comme militants des causes politiquement correctes à qui Libé, Le Monde et La Croix offraient complaisamment leurs colonnes, de l'autre côté quelques esprits frondeurs qui soulignaient qu'une telle initiative rappelait les périodes les plus réactionnaires de notre Histoire. Sous le règne de Charles X , cracher sur un crucifix était puni de mort et l'initiative gouvernementale revenait à enterrer toute une tradition de plaisanteries anti-cléricales qui composaient quand même le patrimoine de la France. Paul Kurz, lui même, fut pris de remords , et considéra que le délit de dénigrement religieux ne devrait être constitué que lorsqu'il visait clairement à disqualifier une religion et à provoquer la haine religieuse. Devait être prise en compte notamment les convictions religieuses de l'auteur. Ainsi, affirmait il , un catholique qui plaisante sur le Pape ne doit pas tomber sous le coup de la future loi. En revanche, un musulman qui dénoncerait le judaïsme serait coupable, tout comme un catholique crachant sur l'Islam. On ne savait trop , à la lecture de la prose de Paul Kurz quel sort serait réservé aux athées dénonçant l'obscurantisme religieux . Interrogé par un lecteur, il répondit qu'un athée serait parfaitement en droit de dénoncer l'obscurantisme religieux en général , sous réserve de ne pas dénoncer l'obscurantisme d'une religion particulière. On sentait cependant qu'Eglantine s'était embarquée dans une galère. « Egland pine et rame « s'amusait le Canard.


Trois mois avaient passé. Alors que depuis plusieurs années, la France était restée à l'écart des attentats des terroristes islamiques, les sinistres barbus passaient à nouveau à l'action en s'attaquant à l'Occident dans ce qu'il a à leurs yeux de plus honni :le sexe .

Un communiqué de la trop célèbre organisation Al Qaïda, l'infâme pieuvre dont les américains avaient vainement essayé plusieurs années plus tôt de couper les tentacules, annonçait que depuis trois mois, et au nom d'Allah , les combattants islamiques avaient décidé de s'en prendre aux répugnants pêcheurs occidentaux. De nombreux produits infectés par le virus du Sida et notamment, horreur suprême , des préservatifs avaient été mis en vente dans les sex shops, mais aussi les grandes surfaces et les pharmacies. Dans le même temps, sous couvert d'action humanitaire , l'organisation islamiste avait fait distribuer aux prostituées thaïlandaises, philippines et vietnamiennes , des onguents destinés aux soins intimes et censés protéger contre les contaminations bactériennes. Les dits onguents étaient eux aussi bourrés de virus . Enfin, pour achever de ruiner le moral des occidentaux ramollis par la corruption, Al Qaïda affirmait qu'un millier de prostituées islamiques exerçaient leur métier dans les grandes villes européennes , sous de fausses identités et le plus souvent maquillées en blondes pour éviter d'attirer l'attention. Ces « martyres de la révolution » d'un nouveau genre s'étaient fait inoculer un virus modifié génétiquement et donc plus agressif encore et comptaient évidemment en faire profiter largement ces porcs infidèles. Le porte-parole d'Al Qaïda , affirmait que d'après les calculs de l'organisation, plus de trois cent mille personnes devaient avoir été directement infectées depuis le début de l'opération, ce qui, ajoutait il , constituait une amélioration sensible des résultats de l'attentat du 11 septembre 2001.

L'Occident avait appris , depuis de longues années déjà à vivre avec la maladie mais le choc fut d'autant plus considérable que les enquêtes épidémiologiques avaient relevé depuis quelques semaines une brusque croissance des cas de séropositivité que l'on ne pouvait, vu son ampleur et ses caractéristiques considérer comme conjoncturelle. Une cellule de coordination de la lutte fut mise en place à l'échelon européen. On fit retirer de la vente les préservatifs et on interdit la vente des produits divers et variés à usage sexuel vendus habituellement dans les sex shops. Le Ministère des affaires étrangères mit lui aussi en place une cellule de crise et d'information incitant nos compatriotes devant se rendre en Asie du Sud Est à un comportement responsable.

Les analyses faites sur les produits saisis ne révélaient rien de particulier, mais le Ministère de la Santé, prudent et se rappelant l'affaire du sang contaminé déclara qu'il ne fallait surtout pas en conclure à un canular , que l'organisation terroriste n'avait pas l'habitude de plaisanter et qu'en tout état de cause les produits contaminés pouvaient fort bien avoir été déjà écoulés.

C'est le moment que choisirent Eglantine König-Hedam pour convoquer la presse. Flanquée d'Adeline Dupoix-Bourgniol et du professeur Testard , elle commença par mentionner que cette affaire concernait l'ensemble du gouvernement même si le Ministre des affaires sociales était au premier rang.

Puis revenant sur les évènements passés, elle souligna , approuvée maintes fois par des hochements de tête du professeur Testard, à quel point elle avait eu raison de s'en prendre à ceux qui, par des procédés divers et variés font commerce du sexe. Finalement, ce qui nous arrivait n'était pas en soi étonnant. Le terrorisme était sans doute lâche mais il était intelligent et connaissait notre talon d'Achille. Elle se lança dans quelques couplets vibrants sur l'horrible sort fait aux femmes à qui on avait inoculé le virus et, ajoutait-elle « je ne veux pas faire de distinction entre celles qui l'ont voulu et celles qui ont été infectées sans le savoir, elles sont toutes femmes et victimes ». Puis tout de go, elle désigna le coupable qui n'était pas - oh surprise ( du moins ne le citai- elle pas) Al Qaïda mais les clients de cet infâme commerce sans qui rien n'aurait été possible.

Aussi, demanderait-elle au Premier Ministre qu'à la fois pour des raisons de sécurité et de morale ,on ferme les sex-shops , interdise la prostitution et le tournage de films pornographiques. La projection d'œuvre pornographiques existantes serait interdite , ce disait elle, afin de « mettre fin à cette culture de la décadence qui est une insulte à la moitié du monde » Pour faire bonne mesure, les clients des prostituées seraient, comme on l'avait fait en Suède , envoyés devant le tribunal en raison de leur responsabilité première dans l'existence de ce fléau.

Lors de la discussion, le professeur Testard approuva à nouveau vivement au nom de la Science ainsi que d'ailleurs de toutes les sciences dont il était depuis de longues années le ministre plénipotentiaire et se lança dans une démonstration à laquelle personne ne comprit couic sur le caractère asymptotique de la réduction de la mortalité due au Sida.

Il y eut quelques manifestations de prostituées et d'actrices de films pornos pour la défense de leur gagne-pain auxquelles il fut répondu que le gouvernement étudiait une solution sociale. Interpellée par l'une des portes paroles du mouvement, Adeline Dupoix- Bourgniol répondit que l'argumentation était irrecevable, que des femmes ne pouvaient raisonnablement réclamer le maintien de leur propre servitude et qu'il revenait à ceux que le peuple avait élu de faire le bonheur des gens , y compris quand ceux ci, aveuglés par l'idéologie dominante, ne se rendaient pas compte de la réalité de leurs intérêts.

Un mois passa encore . Un livre sortit qui fit l'effet d'une bombe. Son auteur était français , mais d'origine américaine et récemment naturalisé. Il s'appelait Kevin Craig et avait la soixantaine bien sonnée. Le visage entouré d'une large barbe blanche , mais l'œil plutôt vif, il s'exprimait dans un bon français à peine teinté d'un accent que l'on devinait de la côte est. Il avait quitté les USA il y a huit ans dans des conditions qu'il ne souhaitait manifestement pas élucider.

Ce qu'il contenait était en tout cas incendiaire. En trois cent cinquante page, il racontait l'histoire suivante.

En 1981 , Ronald Reagan qui venait d'être élu Président des Etats Unis avait décidé d'en finir une fois pour toute avec le système communiste. Jusque là rien de bien nouveau puisque chacun sait qu'en imaginant le projet de guerre des étoiles, il avait lancé un défi que l'économie de l'Union soviétique était bien incapable de relever en même temps que son armée se faisait étriper dans les montagnes d'Afghanistan.

Mais ce que Craig dévoilait était moins connu et faisait froid dans le dos. En mars de cette année, une réunion s'était tenue au Pentagone. Y assistaient trois membres de la CIA ,un ami personnel de Reagan , Andrew Lopez et le Président lui-même. C'est à cette occasion que fut créé un comité secret , auquel on donna seulement le nom de l'opération qu'il était censé porter et qui fut trouvée par le Président lui même : Red Hell.

Red Hell n'avait pas de siège mais une couverture et des moyens financiers. La couverture était une fondation à vocation humanitaire censée porter des actions dans le Tiers Monde et plus spécialement dans les zones sensibles, là où menaçaient des mouvements se réclamant peu ou prou du marxisme et prenant des formes pouvant aller de la simple contestation politique et syndicale à la guérilla en passant par le recours aux attentats. Cette fondation n'avait aucune façade qui put la désigner comme américaine. Elle semblait au contraire être le creuset de militants issus de la mouvance pacifiste et professait souvent sur place un anti-américanisme de bon aloi qui lui valait les faveurs de nombre de militants des causes tiers mondistes. On s'était bien interrogé sur son financement mais on s'était finalement contenté et même satisfait de la thèse selon laquelle elle recevait des fonds d'entreprises américaines ou non souhaitant s'acheter une bonne conscience en reversant une partie du butin qu'elles avaient extorqué aux pays pauvres.

Ce qu'il fallait surtout ajouter, c'est que Red Hell disposait dans une banque des Bahamas d'une dotation de plus de 100 milliards de dollars, versée secrètement et échappant à tout contrôle du Congrès. D'ailleurs, elle avait été constituée une fois pour toutes et il eût fallu être grand expert pour retrouver la trace de l'argent avec des méthodes de contrôle et d'investigation classiques.


La structure travaillait dans le plus grand secret et les successeurs de Reagan, non seulement, Bill Clinton, mais même Georges Bush ne furent jamais mis au courant de cette activité .

Reagan avait la conviction que le régime soviétique était le plus fragile, à la fois pour des raisons économiques et politiques. La capacité de la population à accepter des sacrifices restait sans doute forte mais le régime avait de plus en plus de mal à contenir le modèle esthétique que constituait l'occident au niveau des générations les plus jeunes. La Chine, c'était bien autre chose ; des millénaires d'un pouvoir sans partage , une insensibilité totale au prix de la vie humaine et surtout le cauchemar de cette énorme fourmilière dans laquelle les trois quarts des créatures écrasée, il en resterait assez pour vous dévorer. L'Amérique avait tiré de la guerre du Viet Nam cette hantise que suscite dans le cœur de l'Occidental, la capacité des populations asiatiques à aller au sacrifice mais aussi à se multiplier comme le font les gremlins.

Il était convaincu que la menace nucléaire américaine ne ferait pas reculer les masses chinoises. Il fallait , pour attaquer ce pays, un ennemi bien plus insidieux, qui put s'infiltrer dans une population toujours prête à se lever contre l'étranger maudit mais , somme toute, désemparée, quand le danger vient de son propre sein.

C'est ainsi qu'était née l'idée d'un virus. William Paul Stermitz, l'un des trois membres de la CIA , avait travaillé , au sein de celles ci au département des armes biologiques. Il savait que des études assez avancées avaient été conduites dans ce domaine, pendant la guerre de Corée et même au début des années soixante dix sans qu'à sa connaissance elles n'avaient pas été effectivement finalisées, pour des raisons politiques. Cependant, mettre au point un virus ne serait, selon lui qu'une question de quelques mois.

Fin août, il présenta à ses complices trois candidats au meurtre. Les deux premiers étaient de nature biologique et assez foudroyants. Cependant , l'un devait être « administré « par contamination de l'air , ce qui supposait une intervention aérienne, l'autre par voie aquatique, ce qui posait des problèmes logistiques considérables. Dans les deux cas , la, signature criminelle ne ferait aucun doute et les chinois ne tarderaient pas à désigner le coupable.

Il fallait une arme beaucoup plus discrète, sur la nature et l'origine de laquelle la communauté scientifique mettrait des années à s'interroger et contre laquelle il faudrait encore de nombreuses années pour trouver un remède. Il fallait une arme qui ne portât pas elle-même sa propre signature et qui puisse organiser ainsi autant de diversions.

W.P..Stermitz sortit de sa poche un petit flacon orné d'un bouchon rouge et ne contenant pas plus de dix centilitres de liquide incolore. C'était le candidat qu'il proposait d'appeler « Red Death » Pénétrant dans le corps humain soit par injection soit par contact avec les muqueuses , il s'y tapissait et passée une période d'incubation plus ou moins longue , il se réveillait et , en une année conduisait les individus à la mort. On retint le poison et son patronyme.

Il fallait cependant surmonter deux obstacles : d'abord tester « Red Death) en grandeur nature , car jusqu'à présent il n'avait envoyé au cimetière que quatre détenus d'une prison californienne qui avaient demandé et obtenu ( du moins le pensaient-ils) d'être vaccinés contre la grippe. Or , le mode de diffusion n'était pas évident, ce qui devrait d'ailleurs poser de grandes difficultés s'agissant de la Chine et c'était bien la le second problème . On imaginait en effet assez mal l'Oncle Sam, revêtu d'une blouse d'infirmière, une seringue à la main, proposer aux Chinois un vaccin gratuit contre la fièvre jaune.

Stermitz eut alors une idée : il se rappela que la contamination pouvait aussi se faire par les tissus et par le sang. Les périodes menstruelles pourraient constituer une « fenêtre « permettant au virus de s'engouffrer. Mais il fallait bien avouer que ce n'était pas simple non plus. Lopez , qui était originaire de Porto-Rico et se souvenait que Reagan avait été gouverneur de Californie eut un petit sourire et lança. « Je crois avoir trouvé nos candidats... et pour une revanche divine c'en sera une...de celles qu'apprécie Ronnie. Ils aiment forniquer dit-on et bien on va leur fournir la vaseline !!!

Dans les mois qui suivirent, on trouva dans les sex shops gays de San Francisco un lubrifiant baptisé « dive into heaven » et qui était supposé intensifier le plaisir sexuel en même temps qu'il facilitait la pénétration anale. Il était déconseillé pour la pénétration vaginale.

Dans le même temps , aux Antilles fut mis en vente un produit présenté comme miracle, une sorte de Viagra avant l'heure. On promettait à l'homme qui s'en enduirait la verge de pouvoir avoir jusqu'à cinquante orgasmes en une seule nuit...

On constata dans les mois qui suivirent une série de décès dans la communauté homosexuelle américaine tandis que de nombreuses personnes présentaient des signes de maladie. Le phénomène alla s'amplifiant. Un couple d'années plus tard, on allait donner à cette maladie et après qu'une polémique eut éclatée entre chercheurs un nom bizarre : syndrome immunodéficitaire acquis.

Craig livrait ainsi au lecteur la raison du mystère qui avait pesé sur la diffusion de la maladie. Pourquoi touchait-elle plus particulièrement les hommes homosexuels dans les pays riches ; pourquoi frappait elle indistinctement les deux sexes dans les pays pauvres ?

Le virus était efficace : encore fallait-il trouver le vecteur permettant sa dissémination au sein de la population chinoise. Or l'empire du milieu, sous l'emprise communiste n'avait pas la réputation d'être une réplique de Sodome et Gomorhe .

C'est alors que l'un des trois laboratoires travaillant de manière occulte pour « Red Hell » réussit à obtenir un virus modifié et intelligent qui pouvait sélectionner ses cibles. Il était conçu pour s'attaquer uniquement à des individus présentant un patrimoine génétique particulier. La Chine constituait depuis des siècles un monde plutôt fermé . Les Chinois se reproduisant entre eux, avaient donc des caractéristiques génétiques très proches. Ces dernières étant identifiées , il suffisait de désigner au virus quelques gênes cibles afin de lui permettre d'infecter la population sans grands dommages collatéraux comme on dit dans le langage militaire.

Red Hell avait la certitude de combattre pour le Bien. Aussi sa cruauté et son cynisme n'avaient pas de limites et ses dirigeants étaient insensibles au moindre remord. L'Afrique allait constituer un excellent terrain d'expérimentation : la présence d'ethnies différentes sur le même territoire permettait en effet de tester la capacité du virus à cibler ses victimes. Ainsi comprenait on, après coup, certaines caractéristiques de la progression de la maladie sur le continent qui étaient demeurées inexpliquées comme ces brusques explosions dans des régions non touchées et à l'inverse l'arrêt de la croissance de la contamination dans d'autres. Ces mouvements n'avaient rien d'erratique : ils étaient tout simplement orchestrés par l'infernal Red Hell .

Les faits allaient cependant provoquer une réorientation importante de la stratégie de Red Hell .

Vers la fin des années quatre-vingt, alors même que l'empire soviétique commençait son agonie, Ronald Reagan qui venait de quitter la Présidence mais continuait à être le chef d'orchestre de l'organisation acquit la conviction que la Chine allait , de même, progressivement évoluer vers un modèle capitaliste autoritaire et qu'elle constituerait de moins en moins un danger pour le monde libre. En revanche, la révolution islamique et plus généralement la montée de l'intégrisme étaient bien plus préoccupantes. L'idée que « Red Death « pourrait faire un raid dans les sables du désert plutôt qu'une croisière sur le Yang Tsé se fit jour.

Mais , plus encore que pour la Chine , se posait le problème de l'introduction du virus. La morale musulmane ne badine pas avec le sexe. Là- bas, pas de sex shop ou de lupanars !

Le Mossad fut très discrètement contacté. On savait que les Israéliens avaient été accusés quelques années plus tôt de préparer une arme du même type pour envoyer à la tombe leurs remuants voisins. La coopération avec les services secrets les plus redoutables du monde devrait permettre de trouver la solution.

La suite de l'histoire dépassait tout ce que l'on aurait pu imaginer. Le Mossad connaissait plus ou moins l'existence de Red Hell et avait fait le lien entre l'épidémie de Sida et l'activité de l'organisation secrète. Le virus était disponible et il restait à le diffuser. Mais ils avaient travaillé sur plus d'une dizaine de scénarii et en étaient arrivés à la conclusion que toute tentative était vouée à l'échec. Dans la meilleure des hypothèses, celle dans laquelle on inoculerait le virus aux jeunes femmes asiatiques travaillant comme employées de maison en Arabie ou dans les émirats, on pourrait toucher au mieux la partie de la population la plus riche . Encore fallait-il souligner que l'on ciblerait ainsi des Etats qui bien qu'islamiques n'étaient pas les plus dangereux. L'Iran, l'Irak , mais aussi le Pakistan étaient pratiquement impossibles à atteindre.

A Satan, Satan et demi : le Mossad allait monter un plan diabolique. La première phase et le préalable consistaient à se débarrasser d'une organisation désormais sans utilité mais dont il connaissait les membres et la logistique. Red Hell était devenu non seulement inutile mais un obstacle. Reagan atteint de la maladie d'alzheimer était sans doute hors course mais les autres pouvaient cracher le morceau tôt ou tard.Dans la foulée , on frapperait le ventre mou de l'Occident pour le faire basculer du côté de ceux qui étaient persuadés que seule une guerre contre le monde musulman pouvait amener une paix durable.

Il fallut plus de deux ans au Mossad pour monter la première phase de l'opération. Le but était d'éliminer toute présence de l'organisation Red Hell , sans laisser aucune trace sauf celles qui accuseraient l'ennemi.

Le Mossad avait largement infiltré les milieux islamiques mais la préparation de l'opération, de par son ampleur nécessitait un luxe de précaution et une attention de tous les instants.

L'un des avions aux commandes duquel conduisait un fou de Dieu , s'engouffra juste à l'étage où se tenaient les bureaux secrets de « Red Hell » Pour mieux convaincre le FBI que c'était l'Amérique et non une cible précise qui était visée, on avait envoyé un second avion détruire la seconde tour. Le contact israelien de Red Hell avait, dans les jours précédents, demandé que fut organisée une réunion, au cours de laquelle il devait leur présenter les plans d'une opération visant à faire de l'Irak, débarrassé de Saddam Hussein , une base pour la fabrication et la diffusion de Red Death .

Dans le même temps, un troisième avion s'écrasait sur la partie du Pentagone où avaient été entassées certaines archives personnelles de Ronald Reagan . Il n'était pas certain qu'elles contiennent des documents faisant état de l'existence et de l'activité de Red Hell mais, précaution ne nuit jamais.

L'opération fut parfaite , à un détail prêt, que le Mossad avait négligé, on ne sait trop comment. Le contact s'était sans doute assuré que l'ensemble des membres du groupe, à l'exception de Ronald Reagan serait là. Ce dernier était frappé par la maladie mais même s'il recouvrait la lucidité, il ne trahirait jamais le secret. Un agent du Mossad avait même été chargé de vérifier leur arrivée. Cependant, un quart d'heure avant l'attentat, un des membres , s'apercevant qu'il n'avait plus de cigarettes , décida d'aller s'approvisionner au bar situé au rez de chaussée. Il allait remonter quand les sirènes retentirent : il se hâta de quitter l'immeuble. Il s'appelait Michael Craig. C'était le frère de Kevin Craig.

Craig comprit très rapidement que son intérêt était de disparaître, ce qu'il fit. On savait que le Mossad l'avait activement recherché pendant plusieurs mois . Puis , tout s'apaisa, jusqu ‘au fameux communiqué dans lequel l'organisation terroriste annonçait avoir frappé l'occident, en l'occurrence l'Europe à son point faible : le sexe.

Il n'était évidemment pas besoin d'être grand clerc, à ce stade, pour comprendre que derrière al Qaïda , se cachait le Mossad , qui espérait ainsi faire basculer l'Europe, trop souvent compréhensive à l'égard du terroriste Arafat dans le camp de ceux qui pensaient qu'une guerre de l'Occident contre le monde musulman était inévitable.

Si Craig fut le chouchou des media dans les jours qui suivirent la parution de son livre, un certain scepticisme dominait. Seule, une minorité de politiques et d'observateurs, ceux la-même qui sont toujours prêts à attribuer à l'Amérique toute la misère du monde, dénonçaient ce nouveau coup particulièrement vicieux et demandaient que les responsables soient traduits devant une cour internationale pour crime contre l'humanité. Dans l'ensemble cependant , l'attentisme prévalait et l'on attendait des preuves. Beaucoup jugeaient que vu la taille de la ficelle , c'était la moindre des choses que l'on pouvait attendre de Kevin Craig , lequel avait, en une semaine vendu son bouquin à pas moins de trois cent mille exemplaires.

Dans un premier temps, celui ci se retrancha derrière le fait que les preuves avaient disparu sous les décombres. On l'interrogea alors sur son frère. Il répondit qu'il craignait plus que jamais pour sa vie et ne souhaitait pas s'exposer.

Quinze jours plus tard, la responsable de la Communication d'Eglantine König Hedam fut discrètement contactée par Canal Plus. La secrétaire d'Etat était invitée à un débat auquel participerait Kevin Craig. Plus important, à cette occasion, il apporterait, sinon une preuve de ce qu'il avance, du moins un témoignage de la plus haute importance puisque son frère réfugié en France acceptait de sortir de la clandestinité pour parler.

Au cabinet d'Eglantine, on s'interrogeait sur la réponse à donner. Certains conseillaient à la Secrétaire d'Etat la prudence : que se passerait-il si le témoin attendu était un imposteur. Eglantine König-Hedam imaginait cependant les immenses retombées médiatiques dont elle bénéficierait si son nom et son image étaient associés à cette affaire. On lui conseilla de prévenir le Premier Ministre et son collègue de l'Intérieur dans la mesure où la participation à l'émission posait des problèmes de sécurité. Elle répondit qu'elle n'en ferait rien, sachant fort bien qu'en pareil cas, ceux qui n'avaient rien à gagner lui conseilleraient la prudence voire lui interdiraient de sacrifier à ce qu'ils savaient être son péché quotidien. Au fond, Eglantine était une narcomaniaque des caméras. Leur simple présence la mettait en transe et c'était bien la seule chose qui lui ait jamais provoqué un début d'orgasme. Elle prit donc la décision d'y aller.

Autour du modérateur, il y avait une poignée de journalistes. Kevin Craig avait l'air guilleret, comme s'il se félicitait du soulagement à venir. Eglantine était plus tendue, comme si un sixième sens lui signalait un danger qui pourrait être mortel.

La conversation s'engagea. Elle était d'une grande banalité. On avait invité un orientaliste qui se répandit en propos abscons sur le statut du sexe dans l'islam . Eglantine approuvait manifestement le propos, soulignant que quelque soit l'ignominie des actions islamistes, il fallait bien admettre que l'Occident payait son obsession ostentatoire du « tout sexuel » et que l'on pouvait comprendre , à défaut d'approuver, que le terrorisme attaque l'Europe sur un terrain où il savait par avance qu'il recueillerait l'appui de l'opinion publique musulmane, outrée par l'étalage de tant de vices. Cela lui valut une réplique un peu molle d'un journaliste du Nouvel Observateur qui entendait démontrer que la liberté sexuelle et la démocratie ne faisaient qu'un et que ce n'était pas un hasard si des forces obscurantistes et haineuses de la liberté choisissaient ce terrain d'attaque. Eglantine laissa filer : au fond elle se disait que la liberté sexuelle n'était ici qu'un concept , cela ne bandait pas, n'éjaculait pas, donc ce n'était pas dangereux et il était inutile de se crêper le chignon sur ce point.

Vint le moment tant attendu où le modérateur se tourna vers Craig pour lui dire :

« Tout cela est fort bien mais bon nombre de commentateurs et aussi nombre de téléspectateurs s'interrogent : après tout, en dehors de ce communiqué d'Al Qaïda , dont certains mettent d'ailleurs en avant l'authenticité et de votre livre, nous n'avons toujours pas les preuves manifestes de l'existence d'un tel complot. Pouvez vous nous en dire plus Monsieur Craig. »

Celui ci , après un long silence commença.

« J'imagine bien que le public puisse s'interroger sur la réalité de ce que j'ai rapporté dans mon livre. C'est parfaitement légitime. Comme je l'ai dit maintes fois, les preuves matérielles ont disparu sous des monceaux de gravats. Il est inutile, vous l'imaginez bien, d'aller consulter le Mossad. Ils nieront jusqu'au bout .

Comme je l'ai dit, mon frère, Michael Craig , est le seul survivant du groupe Red Hell . Ceux qui ont travaillé pour ce groupe, dans les laboratoires ou sur le terrain non seulement ne connaissaient pas les dirigeants de l'organisation mais, de surcroît ignoraient même le but de leur activité . Car ces activités étaient cloisonnées en autant de compartiments étanches. Ceux qui ont fabriqué le virus pensaient travailler pour la recherche médicale. Ceux qui ont mis au point les vecteurs de sa diffusion ne savaient pas ce qu'ils manipulaient. Moi même, pendant toute cette période, je ne savais pas, évidemment, ce que faisait mon frère : officiellement, il s'occupait des relations entre le FBI et la CIA...

J'ai eu une discussion avec lui il y a quelques jours et j'ai réussi à le convaincre qu'apparaître au grand jour et dire ce qu'il savait, n'était tout compte fait pas plus dangereux que de continuer à se cacher comme une bête traquée, que les chasseurs débusqueront un jour ou l'autre. Il est ici, dans ces murs et va vous expliquer ce qui s'est passé avant de rejoindre une destination que la police entend tenir secrète. »

On vit alors entrer un homme portant de larges lunettes noires et entièrement vêtu de la même couleur. Une imposante barbe blanche faisait qu'instantanément on avait aucun doute sur le lien qu'il avait avec Kevin Craig.

Il s'assit et commença à s'exprimer dans un français hésitant qu'un fort accent américain rendait encore moins compréhensible.

« si çà est nécessaire , mon frère peut translater et je parle américain mais d'abord j'essaie de parler en français ... je remercie vous tous d'être venus »

« Je remercie aussi Craig de aider moi. Ça était difficile.. »

Puis subitement sa voix changea . La voix se fixait une quinte au dessous et l'accent disparaissait comme par enchantement.

« La mort qui menace n'est pas celle que vous imaginez »

Il fixa alors dans les yeux Eglantine König Hedam qui se sentait de plus en plus mal à l'aise , cherchait des yeux un secours auprès de sa conseillère en communication. Qu'était-ce donc que cela ? Que-se préparait il ?

Et soudain elle comprit comme si elle revivait un cauchemar.

« Vous et vos semblables condamnez volontiers vos adversaires à la mort sociale quand ils ont le malheur de se mettre en travers de vos moindres désirs. Et il y a ici suffisamment de gens pour vous prêter main forte... »

D'un geste brusque l'homme arracha sa barbe et sa perruque.

Eglantine n'eut même pas de sursaut ; dix secondes avant, elle avait d'un coup réalisé ce qui se passait. Elle avait croisé sa propre mort. Kellenborn était là pour la seconde fois devant elle savourant sa victoire.

« Et oui , madame Connigue, jeté par la fenêtre il rentre par la porte. Coriace hein ! Je remercie Craig pour avoir parfaitement joué la comédie pendant de longues semaines. Vous l'avez compris , mesdames messieurs, ce bouquin était un canular et votre serviteur en est l'auteur. Certains avaient deviné l'existence de quelques ficelles un peu grosses mais pas vous.... Vous êtes vraiment des accros de la société médiatique et je laisse juges les téléspectateurs de savoir s'ils doivent faire confiance à des Pieds Nickelés de votre espèce. Eh oui Madame Connigue votre rage à emmerder la moitié de l'humanité a fini par causer votre perte... »

Eglantine König Hedam se pinça les lèvres, se leva et sortit sans un mot.

Une demi-heure plus tard, un communiqué de Matignon annonçait sa démission.

On n'entendit plus parler d'elle pendant sept mois jusqu'au 27 mai de l'année suivante quand tomba un communiqué du Président de l'Assemblée Nationale déclarant qu'Eglantine König Hedam était nommée membre du Conseil Constitutionnel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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